Des lycéens manifestent devant le parlement, à Athènes, jeudi 29 septembre. AP/KOSTAS TSIRONIS
Surtout, continuer de se lever tôt. Depuis un an et demi, Dimitra Mareta est au chômage et s'impose le même rituel : réveil à 8 heures avant de consulter sa boîte e-mail en buvant son café, à l'affût du courrier d'un éventuel employeur. Mais depuis quelques mois, cette Athénienne de 30 ans n'espère plus aucune réponse, elle envoie d'ailleurs deux fois moins de CV : il n'y a pas de travail. Cette habitude matinale sert uniquement à la maintenir "éveillée", explique la diplômée en communication et sciences politiques. "Je suis extrêmement déçue, j'essaie de penser que mon chômage n'est pas de ma faute, commente Dimitra, avant de reprendre : "Je me sens en colère. Mais je ne me sens pas seule."
Dimitra est en effet loin d'être seule. En Grèce, les premières victimes de la crise économique sont les jeunes. Alors que les bailleurs de fonds internationaux sont de nouveau à Athènes jeudi 29 septembre pour boucler le projet de budget 2012 et surveiller le programme d'austérité mis en œuvre par le gouvernement, alors que le pays est marqué par des grèves des transports publics, des chauffeurs de taxis ou des employés du ministère de la finance, les plus jeunes payent en silence le plus lourd tribut au chômage. Selon les statistiques officielles (PDF), 32,9 % des 15-29 ans sont demandeurs d'emploi. Un taux qui atteint 43 % chez les 15-24 ans, selon Savas Robolis, professeur d'économie à l'université Panteion d'Athènes. En comparaison, le taux de chômage des Français de moins de 24 ans s'élève à 22,1 % au premier trimestre 2011.
En Grèce, le taux de chômage réel est de 22 %, selon Savas Robolis. Et un chômeur sur deux a moins de 29 ans. Les jeunes femmes sont particulièrement touchées : 38,3 % d'entre elles sont sans emploi. "Les vingt dernières années, 80 000 personnes arrivaient sur le marché du travail, l'économie en absorbait 40 000. (...) Depuis 2008, seulement 20 000 personnes parmi ces nouveaux arrivés trouvent du travail chaque année, et tous les postes créés après 2006 ont été détruits depuis la crise", explique le professeur, qui prévoit une aggravation du chômage des jeunes en 2012.
50 000 PERSONNES ONT QUITTÉ LE PAYS DEPUIS 2008
Pour beaucoup de ces jeunes, la solution est évidente : partir. Mihail Papadogonas a un diplôme d'avocat. A 27 ans, après cinq ans et demi d'études et de multiples expériences à l'étranger, il a bien trouvé quelques offres d'emplois depuis sa sortie de l'université il y a six mois, mais il a jugé leur rémunération insuffisante : 800 euros mensuels. En attendant, il travaille comme vendeur dans une boutique d'Athènes pour 700 euros par mois. "De quoi payer les factures", explique le jeune homme, qui partage un appartement à Athènes avec sa sœur grâce à l'aide financière de ses parents. C'est donc la solidarité familiale qui permet à Mihail de joindre les deux bouts, ce qui est devenu courant dans le pays. De même que ces mots, repris par toute une génération : "colère", "pessimisme", "insécurité". "La majorité de mes amis pense à partir à l'étranger, dans des pays européens, parce que c'est plus près, mais aussi en Australie," explique le jeune homme. Mihail a choisi la France. Il s'apprête à chercher un emploi qui ne correspond pas à ses qualifications, comme serveur ou barman, en espérant trouver mieux, plus tard.
Les femmes de moins de 29 ans sont particulièrement touchées : 38,3 % d'entre elles sont au chômage.
Depuis le début de la crise économique, en 2008, environ 50 000 Grecs ont migré, confirme Savas Robolis, également expert en migration. Le professeur estime à environ 80 % la part des jeunes dans ces départs. Une dynamique qui se serait accélérée ces derniers mois. "Les ingénieurs, les informaticiens, les architectes partent surtout en Grande-Bretagne, où il existe des opportunités avec la préparation des Jeux olympiques", note le chercheur. Si les flux sont difficiles à mesurer, il estime à environ 10 000 personnes les départs vers le Royaume-Uni. "Les autres partent en Allemagne, environ 8 000, dans les pays européens et enfin en Australie, avec environ 4 500 départs".
Un attrait pour l'étranger confirmé par les statistiques du site Europass qui doit faciliter la mobilité des Européens : sur la même période entre 2008 et 2011, le nombre de Grecs ayant utilisé ce service a quasiment doublé (pdf 2008). Plus de 60 % des personnes ayant publié leur CV sur le site ont moins de 30 ans (pdf 2011).
LA FUITE DES CERVEAUX
La sœur de Dimitra envisage ainsi un départ en Australie avec deux amies. L'importante communauté grecque présente dans ce pays des antipodes pousse les migrants à tenter leur chance. "Moi, je serai peut-être obligée de partir, mais je ne le souhaite pas : toute ma vie est ici", affirme vivement Dimitra. Un rire gêné pointe lorsqu'elle expose les projets de sa sœur et de ses amis. Une gêne que Dimitra met un temps à expliquer. "Encore ! soupire la jeune femme après une pause. Quelle ironie, il y a un demi-siècle nous immigrions, et maintenant nous pensons de nouveau à devenir des immigrés. C'est l'Histoire qui tourne en rond", regrette Dimitra.
Pas tout à fait, rectifie Savas Robolis. Contrairement aux années 1960 où des milliers de Grecs quittaient leurs pays vers l'Europe du Nord pour occuper des emplois peu qualifiés, il s'agit cette fois une poignée de jeunes gens hautement diplômés. L'Australie vient ainsi de lancer, en Grèce, le programme intitulé "Les personnes qualifiées dont l'Australie a besoin". Le secrétariat de l'immigration organise ainsi des journées d'information le mois prochain pour les citoyens intéressés par l'émigration, rapporte le quotidien grec I Kathimerini. Le département de l'immigration de Canberra a déjà posté en ligne les secteurs dans lesquels la demande est forte, notamment l'ingénierie et la santé. "C'est plus compliqué pour les diplômés en sciences humaines", commente Savas Robolis, qui rapporte ces scènes récentes : des étudiants "pessimistes" et "nerveux" s'enquérant de contacts pour un travail, quelque part en Europe.
"Il s'agit d'un véritable 'brain drain'" commente le chercheur, qui anticipe des conséquences très négatives sur l'économie : "d'après nos estimations, à partir de 2013, on notera une légére reprise de la croissance. C'est à ce moment là qu'on aura besoin de personnes qualifiées. Mais elles seront déjà parties."
"POUR CEUX QUI RESTENT, C'EST LA PRÉCARITÉ"
Les autres, ceux qui restent, devront donc affronter une économie en récession . "Et il n'y a pas d'Etat providence en Grèce", renchérit Savas Robolis. Dans le pays, les indemnisations chômage durent douze mois et s'élèvent à environ 400 euros mensuels. La demande des syndicats de prolonger cette période ou d'augmenter les allocations est oubliée depuis la crise. Cela fait donc six mois que Dimitra vit sur ses économies et grâce au soutien de sa famille. Elle pense peut-être retourner au village de ses parents, comme certains de ses amis. Des "migrants de l'intérieur", qui travaillent dans l'élevage ou l'agriculture, en rupture totale avec leur vie urbaine et leur formation. D'autres acceptent le travail qu'ils trouvent, moins qualifié et sans rapport avec leurs études. "On voit dans les îles, pendant les trois mois d'été, des jeunes travailler dans le secteur du tourisme pour gagner un peu d'argent", note Savas Robolis.
Les jeunes Grecs qui restent ont le choix entre le chômage et la précarité, estime Savas Robolis, professeur d'économie.
Pour eux, c'est donc le chômage ou la précarité, résume le chercheur, qui relève une précarisation qui s'étend aux autres classes d'âge. Evgenia Grmatikopoulou, 36 ans et professeure de littérature française à l'université, affirme ainsi ne pas avoir reçu de salaire pendant tout un semestre l'année dernière. Comme 800 autres professeurs, l'affectation à son poste est suspendue. Elle se compare à des collègues, recontrés en France lors de colloques, qui à son âge "ont déjà deux ou trois enfants". "C'est inimaginable pour moi, financièrement", s'indigne la professeure, exprimant sa "peur" devant ces personnes de son âge contraintes de retourner vivre chez leurs parents. "Cette crise nous maintient dans un état inférieur à notre âge", résume-t-elle.
Comme Dimitra, elle envisage de manifester lors des prochaines journées de mobilisation, prévues les 5 et 19 octobre. Mais les jeunes femmes ne se reconnaissent plus dans leurs responsables politiques. Elles les accusent d'avoir mal géré la crise. Et la conviction qui a habité Dimitra lors des manifestations précédentes, sur la place Syntagma, l'a désormais quittée. "La violence de la police est telle lors de ces mouvements de protestation... A quoi ça sert ?" Mihail, lui, pense également au mois d'octobre, mais à une autre date. Le 9, celle de son aller simple pour Paris.
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