Bien que d’aucun se soit attendu à ce que le Gouvernement d’union nationale, étant donné sa composition hétéroclite, pourrait ne pas fonctionner comme une horloge suisse dans ses actions et décisions, on était loin d’imaginer que certains de ses Départements en arriveraient, sur un seul et même sujet, à afficher un total désaccord, à un tel point qu’ils s’opposent ouvertement et publiquement. Depuis novembre 2010, des conteneurs de produits forestiers, fins prêts à l’exportation sur le plan légal, se trouvent bloqués au Port de Mahajanga. A la source de cette situation, un face – à - face entre deux ministères, celui de l’Environnement et des Eaux et Forêts d’une part, et celui des Finances, à travers la Direction des Douanes, d’autre part.
Le premier, au vu d’un Arrêté interministériel publié en 2007, qui n’a été, ni abrogé, ni modifié jusqu’à ce jour, a donné son agrément à l’exportation desdites marchandises. Le second, pour des raisons qu’il gagnerait à mieux asseoir, s’oppose mordicus à l’embarquement des conteneurs. Malgré de multiples descentes conjointes des deux Départements dans la Cité des Fleurs, le problème n’a pas pu être débloqué jusqu’à ce jour. Pire, la « solution » préconisée est tout simplement inique et pourrait porter un sérieux coup à la crédibilité de toute l’équipe gouvernementale - et du pouvoir de Transition par la même occasion - dans sa gestion des « affaires courantes ».
L’Arrêté interministériel 10.885/2007 du 3 juillet 2007, après avoir instauré l’interdiction de l’exportation de bois de forêts naturelles, « toutes catégories confondues à l’état brut et semi travaillés », a énoncé dans son article 2 que seuls les « produits finis » font exception. Et l’article 3 de préciser que par « produit fini », on entend « tout bois façonné, transformé pour une utilisation définitive et ne pouvant plus subir d’aucune modification ».
En réalité, ce qui apparaît comme étant le nœud gordien de cette affaire consiste à savoir, d’une part si les produits litigieux correspondent bien aux exceptions édictées par l’Arrêté interministériel ci - dessus et d’autre part, en cas de désaccord - ce qui ne devrait nullement se produire si les instances en charge du dossier faisaient preuve de cohérence dans leur décision - laquelle des autorités concernées serait habilitée à se prononcer, en dernier lieu, sur la nature des produits en question.
Une énumération non exhaustive
Dans le cas d’espèce, le ministère de l’Environnement et des Eaux et forêts, après aval du ministère des Travaux public, a donné son agrément aux opérations d’exportation estimant donc que, techniquement, les contenus des conteneurs sont bien conformes aux exceptions édictées par la réglementation en vigueur. Le ministère des Finances, ou plus précisément la Direction des Douanes, s’oppose à cet avis de son homologue en estimant que, selon ses propres appréciations, les marchandises concernées ne sont pas en tous points conformes aux conditions requises pour être éligibles à l’exportation.
On s’apercevra, à ce stade de l’analyse que, logiquement, en ayant en son sein les compétences à même de se prononcer techniquement sur le sujet, ce serait plutôt l’avis du ministère de tutelle de la filière, celui de l’Environnement et des Eaux et Forêts, qui devrait l’emporter. Le rôle de l’Administration des Douanes devrait se limiter à contrôler les agréments obtenus par les opérateurs, d’inspecter physiquement les marchandises et en faire un état, de plomber les conteneurs de telle manière à ce que les contenus ne soient plus modifiés et d’encaisser les recettes correspondantes. Pour prendre un exemple plus significatif, s’il s’était agi de ressources minières, il n’appartient nullement aux Douanes de contredire le ministère en charge des Mines qui a déjà donné son agrément, en affirmant que tels ou tels minéraux devrait être classés précieuses ou semi - précieuses, industriels ou semi industriels.
A signaler qu’en l’espèce, le principal point d’achoppement entre les deux ministères porte sur des matériaux de construction, cités expressément par l’Arrêté interministériel du 3 juillet 2007 comme étant éligibles à l’exportation. Le texte avait donné une liste des produits autorisés dans ce cadre mais l’énumération étant non exhaustive, l’interprétation du terme « produits finis » requiert l’intervention technique de spécialistes en travaux de bâtiment du ministère des Travaux publics. Ce qui fut chose faite.
Perte colossale pour… l’Etat
Certes, on pourrait convenir avec l’Administration des Douanes que de telles dispositions devraient être remises en cause, en ne s’alignant pas toujours avec ses propres nomenclatures. Néanmoins, le texte (de niveau interministériel, incluant de surcroît le ministère des Finances) n’ayant encore été abrogé, ni modifié dans aucune de ses dispositions, il devrait s’appliquer aux opérations en cours. Et même si, au vu de cette remarque, un autre Arrêté vient annuler ou modifier le premier, en vertu du principe de non rétroactivité, la nouvelle réglementation ne pourra être mise en œuvre que pour l’avenir.
Les opérateurs confrontés à cette situation, qui n’a que trop duré, en appellent actuellement à de plus hautes instances car il semblerait bien que le bras de fer entre les deux ministères est en train de tourner, non pas au détriment de l’un ou l’autre, mais à leur total désavantage et à celui de l’Etat, finalement. En effet, à l’issue de rencontres - qui auraient été plus ou moins houleuses, le conditionnel est de rigueur - entre les délégations des deux Départements ministériels, la solution qui a été avancée auxdits opérateurs serait d’écouler leurs marchandises sur le... marché local. Or, il faut savoir qu’à l’exportation, les produits en question sont prévus être vendus à 2 700 000 Ariary le mètre cube, contre seulement 500 000 voire 400 000 Ariary sur le marché intérieur. Et eux de se demander « combien gagne l’Etat en bloquant notre exportation, et combien perdra – t - il en donnant son accord ? ». Une matière à réflexion. Sans compter que les mêmes opérateurs sont déjà condamnés à payer la somme de 9 Euros par jour et par conteneur à titre de frais de magasinage et il en est de même pour la Compagnie de navigation pour l’immobilisation de ses conteneurs depuis le mois de novembre 2010. Ceci, bien évidemment, à côté des éventuels recours de leurs clients et autres partenaires locaux.
Recueillis par Hery Mampionona
Les raisons d’un refus
L’Arrêté 10.885/2007 du 3 juillet 2007 avait inclus les matériaux de construction parmi les produits constituant les exceptions à l’interdiction d’exportation. L’une des principales raisons sur lesquelles le ministère des Finances assoit sa décision de s’opposer à l’embarquement des conteneurs litigieux, est sans doute que ce Département estime que les articles qui lui ont été présentés ne peuvent être considérés comme des produits finis. L’affaire qui nous intéresse a donc requis l’intervention du ministère des Travaux publics, à travers sa Direction régionale, pour que celle - ci donne son avis sur les produits inclus dans les conteneurs en question, notamment s’ils étaient conformes et soumis aux normes exigées, à partir de plans types validés par un ingénieur de cette Direction. Autrement dit, il s’agissait de voir si les marchandises concernées sont bien des « produits finis » conformément à la pratique reconnue dans le métier et auquel cas, sous quelles dimensions et formes, elles peuvent se présenter. Il faut préciser que cette entité publique est la seule habilitée à émettre cet avis en matière de normes des Tbm (Travaux de bâtiments de Madagascar).
Quant à l’objection selon laquelle, les marchandises en question ne sont pas « exportables » en étant de qualité moindre, il va sans dire que c’est aux clients destinataires de l’apprécier. Et les opérateurs de se demander, « si par chance, nous avions pu vendre à de bons prix à l’export des bois de mauvaise qualité, n’aurait - on pas dû nous féliciter ? ».
Et ces mêmes opérateurs de signaler que, depuis l’entrée en vigueur de l’Arrêté du 3 juillet 2007, « aucun des trois ministères signataires dudit Arrêté qui se sont succédé n’a émis des réserves ni des objections sur la qualité ou la dimension de nos produits ».
Recueillis par Hery M.
Un « chassé - croisé » ministériel ?
Au vu de certains faits troublants, la situation pourrait bien être loin de résulter d’une simple différence d’interprétation et d’application de l’Arrêté interministériel du 3 juillet 2007 par le ministère des Finances et celui de l’Environnement et des Eaux et Forêts. Une affaire dans l’affaire, déclenchée dans des circonstances particulières, pourrait laisser penser que ces deux Départements, au sujet précis de cette opération d’exportation de produits forestiers, semblent se livrer à un véritable chassé - croisé dont, au centre, sont victimes les opérateurs de la filière.
Les faits : trois conteneurs, dans leur phase finale d’exportation, furent interceptés et saisis par le Service anti - fraude des Douanes au motif qu’ils contiendraient des « produits prohibés ». Un revirement surprenant car les conteneurs en question, auparavant, avaient déjà subi sans anicroches tous les contrôles douaniers d’usage (scanner, inspection et plombage) effectués par le... même service des Douanes suscité. Est - ce à dire que, au moment de ce premier contrôle, les agents du Service des Douanes n’auraient pas remarqué qu’il s’agissait de marchandises interdites à l’exportation ? Mais là où les faits sont troublants, c’est que ce volte - face de l’Administration douanière est intervenu juste au lendemain du jour où 49 conteneurs avaient été surpris par un Service des Eaux et Forêts, sur le point d’être exportés illicitement, au nez et à la barbe des Saervices douaniers. Pourrait - on voir dans ce revirement spectaculaire et inexplicable de l’Administration des Douanes une une simple coïncidence ?
Recueillis par Hery M.
Quelle solution ?
Il convient de noter que les destinataires des produits bloqués au Port de Mahajanga sont exclusivement des Chinois et des Mauriciens, en étant les seuls à être prêts à les acheter au prix de 2 700 000 Ariary le mètre cube. Le risque, évidemment, c’est de voir les contrats y afférents être résiliés si le problème persiste, avec comme dégâts collatéraux, la perte de crédibilité des opérateurs auprès de ces clients potentiels, ainsi que le discrédit jeté sur le pouvoir de Transition à cause de ce « couac » intervenu en son sein.
Aussi, les concernés sont - ils prêts à un consensus en proposant d’aligner les redevances qu’ils ont à payer sur les produits finis définis dans leurs agréments, de 1,5% à 4%. En contrepartie, ils supplient littéralement les autorités de prendre en compte leur situation et de les autoriser à embarquer les produits pour lesquels ils ont déjà obtenu d’agrément dans le cadre de l’Arrêté de 2007 qui régit jusqu’à ce jour leur profession. Ces opérateurs reconnaissent d’ailleurs la nécessité de refonte ou d’amendement de ce texte qui, selon leurs propres termes, est le « fondement des problèmes actuels ».
Un Sénateur, au courant du dossier mais qui désire garder l’anonymat, préconise quant à lui, de faire un tri parmi les produits en question afin d’autoriser l’embarquement de ceux qui, visiblement ne font l’objet d’aucune objection quant à leur éligibilité à l’exportation et de ne retenir que ceux qui sont litigieux, en attendant une contre - expertise à effectuer par un comité interministériel qui aura à statuer d’une manière tranchée sur ce quiproquo intervenu au sein de l’Exécutif.
No comments:
Post a Comment