Madagascar Tribune : - Sans occulter les responsabilités des acteurs malgaches, selon vous, quelles pourraient être les responsabilités de la communauté internationale dans la situation d’instabilité cyclique à Madagascar ? N’aurait-elle pas dû à diverses reprises tirer la sonnette d’alarme plus tôt ? Ses divisions sur les modalités d’action ne sont elles pas allées à l’encontre des grands principes universels proclamés à l’unisson ?
Jean Marc Châtaigner - Très honnêtement, je ne pense pas que l’ensemble des pays et des organisations internationales et régionales partenaires de Madagascar, que vous appelez génériquement « communauté internationale », soit la cause des problèmes de gouvernance que peut connaître la Grande Ile. Les problèmes de votre pays, pas plus d’ailleurs que les solutions, ne peuvent venir de l’extérieur, ni de Paris, ni de Washington ou encore de Pékin ou Pretoria. C’est à Madagascar de trouver sa voie pour un développement durable et démocratique, en tirant peut être d’ailleurs mieux parti des leçons des expériences externes. Je me réfère au décollage économique foudroyant de pays comme le Viet Nam, l’Indonésie ou le Brésil dont personne, il y a 20 ou 30 ans, ne pensait qu’ils arriveraient à devenir des pays émergents. Les facteurs structurels de la crise malgache me semblent avoir des ressorts économiques, avec des inégalités sociales que peu de pays pourraient gérer et une extrême pauvreté déstructurante, des racines démographiques (comment répondre aux aspirations et à la demande d’une population de plus en plus jeune et en quête de repères ?) et des origines aussi politiques et sociales. Il convient de fixer un cap de développement qui s’inscrive dans la durée et dont les objectifs soient bien débattus et partagés avec la population. Les bailleurs de fonds ne peuvent en aucun cas se substituer aux autorités malgaches dans cette responsabilité politique nationale.
MT - Est-il exact de dire que l’existence de crises africaines avec des risques géopolitiques plus élevés qu’à Madagascar peut faire que la communauté internationale se désintéresse de la crise malgache et en bâcle la sortie ?
JMC - Pour moi, chaque crise est différente. Elle est liée à l’histoire, à la culture, à la géographie du pays concerné. Je voudrais d’ailleurs insister sur le fait que la crise en elle-même n’est pas l’apanage des pays en voie de développement. Les pays développés connaissent aussi leurs tensions, y compris des crises de gouvernance, on l’a vu lors de la récente crise financière, dont les conséquences peuvent être dramatiques et systémiques. Fort heureusement, la crise malgache n’est absolument pas identique à de nombreux conflits à travers le monde et n’en a pas les conséquences humanitaires et humaines. Madagascar ne connaît pas de guerre civile. Les dirigeants malgaches n’ont jamais entrepris de massacrer ou d’exterminer leur population et je crois profondément, quels que soient leurs différends politiques ou leurs antagonismes idéologiques, qu’ils n’en auront jamais l’idée. Des clivages ethniques ou religieux existent, mais ils sont, c’est un avis personnel, loin d’être prédominants et initiateurs par eux-mêmes de violences sociales ou a fortiori sociétales. Face à la crise politique malgache, qui ne représente pas une menace pour la paix et la sécurité régionale (au sens de la Charte des Nations Unies), qui ne peut pas non plus justifier d’un devoir d’ingérence face à un drame humanitaire (comme en Libye ces dernières semaines), les partenaires de votre pays doivent nécessairement se placer dans une logique d’accompagnement et de recherche d’une solution politique acceptable par le plus grand nombre.
MT - L’apaisement maintes fois annoncé tarde à venir. Les lacunes de la feuille de route du Dr Simão ne présentent-elles pas le risque d’être un terrain fertile pour une crise ultérieure ? Les divergences sur le calendrier de mise en place du gouvernement d’union nationale semblent en être un premier exemple.
JMC - Il est toujours possible de critiquer les termes d’un accord politique. On ne peut d’ailleurs manquer de constater que les critiques les plus vives émanent de ceux qui n’ont pas joué le jeu de la négociation et des nécessaires compromis. Je rappelle sur ce point que tous les acteurs politiques malgaches avaient été invités par le Président Chissano et le Dr Simão à négocier la feuille de route et à apporter leurs amendements et commentaires. Ce qui me semble essentiel, ce qui la différentie aussi de certains accords antérieurs, c’est que la feuille de route rédigée avec le soutien de la médiation de la SADC fixe un horizon et un objectif réalisables pour la sortie de crise, à travers notamment l’organisation rapide d’élections. La lassitude de la population malgache par rapport à l’absence de solution de sortie de crise depuis maintenant deux ans est palpable : il est important de passer à une nouvelle phase. Si les élections ne résolvent pas en elles-mêmes tous les problèmes, il est également évident à l’opposé que sans élections, il ne peut y avoir de démocratie, ni appréciation de la réalité du rapport de forces politiques… Au-delà des élections, je forme le vœu sincère et l’espoir que tous les acteurs politiques et sociaux malgaches s’attachent, c’est leur responsabilité et non pas celle des pays partenaires et amis de Madagascar, à la mise en place de véritables mécanismes de réconciliation et de dialogue, à l’établissement et à la garantie de vrais contre-pouvoirs pour éviter les dérives passées de gestion autocratique et autoritaire de l’État, et enfin à la consolidation de l’État de droit et à la mise en place d’un système judiciaire performant, transparent et accessible à tous.
MT - Vous arrive-t-il de manifester auprès des autorités de transition des préoccupations sur des violations des principes de la démocratie, des droits de l’homme ou de bonne gouvernance ?
JMC - Il y a lieu de rester prudent sur le caractère péremptoire de telles affirmations : violations des principes de la démocratie, des droits de l’homme ou de la bonne gouvernance... et donc ne pas caricaturer à l’extrême. Il faut garder le sens des proportions : les violations des droits ne sont pas érigées en système à Madagascar. Des dysfonctionnements de justice, parfois très graves, existent dans tous les pays, y compris, je le reconnais bien volontiers, dans les pays occidentaux et en France. Les problèmes de gouvernance démocratique que peut connaître Madagascar ne sont pas non plus forcément nouveaux. Je pense notamment à la persistance, difficilement compréhensible pour l’observateur extérieur que je suis, d’un système de castes discriminatoire ou encore à la situation très préoccupante du système pénitentiaire malgache à la réforme duquel, avant la crise, l’Union européenne avait décidé d’apporter son soutien. Pour en venir précisément à votre question, oui, je peux vous confirmer que je suis intervenu personnellement auprès des autorités de la transition pour faire part de certaines préoccupations lorsque certains principes fondamentaux du droit paraissaient ou paraissent remis en cause. En d’autres circonstances, et en d’autres temps, j’évoquerais simplement l’emprisonnement, après les événements de 2002, de l’ancien Premier ministre Tantely Andrianarivo, la France s’était aussi manifestée. Ni « indifférentes », ni « ingérentes », ces interventions ont eu lieu pour inviter les autorités malgaches passées et présentes à garantir effectivement l’indépendance de l’autorité judiciaire, qui est d’ailleurs consacrée par la nouvelle Constitution en son article 107, et les grands principes d’État de droit : respect du secret de l’enquête et de la présomption d’innocence, impartialité du tribunal et respect du contradictoire (droits de la défense) dans le cadre de l’enquête et du procès. À cet égard, à Madagascar, comme en France ou partout ailleurs dans les pays démocratiques, la justice ne devrait pas subir les démonstrations médiatiques des enquêteurs en charge d’affaires pénales ou civiles qui sont menées sous l’autorité des magistrats, lesquels devraient être seuls habilités à communiquer le cas échéant sur les enquêtes judiciaires en cours.
MT - Sans user de la langue de bois diplomatique habituelle, sur quel principe de démocratie ou de droit se base la France pour apporter de manière plus visible que d’autres un soutien au régime de Transition depuis Mars 2009 ? A posteriori, ne regrettez vous pas d’être arrivé à Madagascar dès le 18 mars 2009 et d’avoir été reçu le même jour à Ambohitsorohitra, ou d’avoir présenté vos lettres de créance en Novembre 2009 sans attendre la mise en place effective du gouvernement d’unité nationale prévu dans les accords d’Addis Abeba ?
JMC - Sans user de langue de bois, diplomatique ou pas, le sens même de votre question me désole, car elle démontre très clairement que la position de la France n’est pas comprise, malgré mes nombreuses tentatives d’explication… Nous ne soutenons pas, et nous n’avons jamais soutenu, telle ou telle mouvance politique malgache, en dépit des campagnes de désinformation, conduites d’ailleurs très souvent de l’extérieur. Notre seule politique est celle d’un appui au processus de sortie de crise inter-malgache, à travers la mise en place d’un processus de transition conduisant à des élections observées internationalement et donc aussi transparentes que possible. Toutes les démarches que j’ai conduites depuis mon arrivée à Madagascar, tant auprès des autorités que de l’opposition, que l’on me reproche aussi dans certains milieux de trop fréquenter, ont donc été tournées vers ce seul objectif d’établissement d’un ordre constitutionnel et démocratique permettant au peuple malgache de faire le libre choix de ses dirigeants. En ce qui concerne les circonstances de ma nomination, je voudrais simplement rappeler que celle-ci a été formellement agréée au début du mois de mars 2009 par l’ancien Président Marc Ravalomanana.
MT - À diverses reprises, des diplomates français ayant à traiter de l’Afrique ont manifesté un agacement face à une « diplomatie parallèle » susceptible d’être polluée par les intérêts particuliers d’hommes d’affaires français. Les contextes ne sont sans doute pas identiques d’un pays à l’autre, mais le fiasco tunisien illustre le risque de myopie qui peut affecter l’ensemble d’un système. Vous même, en tant qu’ambassadeur, ne craignez vous pas parfois de trop fréquenter les salons ou un certain microcosme ? Et n’avez vous pas été gêné par l’action à Madagascar de certains ressortissants français ou binationaux ?
JMC - On peut sans doute me reprocher beaucoup de choses ! On peut me reprocher d’être un diplomate trop direct et trop franc, qui essaye de dire ce qu’il pense et de penser ce qu’il dit. On peut me reprocher d’avoir connu en tant que jeune administrateur civil au Ministère de la Coopération les derniers administrateurs de la France d’outre-mer. Il y avait, j’en témoigne, des gens vraiment exceptionnels parmi eux, à l’humanisme rayonnant et attachant. Ils m’ont notamment appris à écouter et à respecter les points de vue de tous les interlocuteurs, quels qu’ils soient. On peut me tancer d’avoir frayé avec les milieux du développement notamment à l’Agence Française de Développement (AFD), où j’ai eu le privilège d’être le directeur du pilotage et des relations stratégiques, et de ne pas croire que le sous-développement, la corruption et la mauvaise gouvernance soient des fatalités insurmontables. On peut me reprocher d’avoir été le directeur de cabinet d’un Secrétaire d’État à la Coopération, Jean-Marie Bockel, qui a voulu moderniser en profondeur les relations entre la France et l’Afrique. Mais je crois très sincèrement qu’on ne peut pas me qualifier comme étant un Ambassadeur de salon qui ne fréquenterait que certains milieux ou qui subirait des influences particulières ! Je considère ma fonction d’Ambassadeur comme un métier d’ouverture, celui d’un pont entre différentes opinions et cultures, celui d’un artisan d’un rapprochement et d’une meilleure compréhension mutuelle. Je vis ma fonction d’Ambassadeur comme un véritable métier de terrain, à l’écoute de mes compatriotes et de leurs opinions, à la rencontre également de tous les opérateurs économiques français, mais aussi malgaches, des représentants des ONGs, des acteurs sociaux nationaux, mais bien sûr aussi politiques, bref, de tous ceux qui essayent, à leur niveau, de changer et d’améliorer les choses. Seule la conjugaison démocratique de tous ces efforts, c’est vrai à Madagascar mais aussi dans mon pays et partout à travers le monde, peut permettre la réforme, le progrès et l’amélioration du quotidien de millions de personnes qui souffrent de la pauvreté et de l’exclusion. Quant au cas de certains particuliers français ou franco-malgaches, pour être bref, on ne peut pas imputer à la France la responsabilité d’actions ou de propos qui n’engagent évidemment que ces derniers.
MT - Certains véhiculent la thèse qu’il faut reprendre l’aide internationale car le coût de l’inaction serait encore plus élevé. Comment se positionne la France par rapport à cela ?
JMC - D’abord, je crois important de préciser que l’aide internationale à Madagascar ne s’est jamais arrêtée. Elle a pu être ralentie ou prendre des formes différentes pour certains pays ou organisations, avec par exemple davantage d’aide humanitaire directe pour les populations et moins d’aide institutionnelle. L’aide budgétaire à l’État malgache a ainsi été suspendue dès le mois de décembre 2008 suite à la découverte de certaines opérations extrabudgétaires liées à l’achat par Marc Ravalomanana d’un nouvel avion présidentiel. D’un point de vue strictement français, nous avons pris la décision en 2009, pour moi courageuse et lucide, de maintenir notre aide, voire dans certains cas de l’accroître, en l’orientant davantage vers le financement de l’économie et des entreprises, l’accès au crédit et les besoins sociaux de la population. Nous avons par exemple affecté notre aide financière sur des points précis, comme le financement des cantines scolaires du Programme Alimentaire Mondial (PAM), ce qui a ainsi permis à plusieurs dizaines de milliers d’enfants malgaches de poursuivre leur scolarité. Par ailleurs, la France a maintenu à Madagascar ses assistants techniques dans des secteurs importants où les réformes, initiées depuis plusieurs années, étaient en cours avec des acquis de modernisation déjà actés : un arrêt brutal de nos appuis dans ces domaines essentiels (Justice, police, fiscalité, foncier…) aurait assurément induit des reculs regrettables et fâcheux pour l’avenir. La France a décidé en cela de suivre les recommandations du Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE qui sont tout à fait explicites en situation de crise : il faut tout faire pour éviter de pénaliser la population et pour ne pas créer un sentiment d’abandon ou d’injustice. A titre personnel, je regrette que les bailleurs de fonds dans leur ensemble n’aient pas pu trouver un consensus pour suivre la même démarche. Mais j’espère aussi que nous pourrons nous retrouver ensemble le moment venu dans l’accompagnement de la mise en place de la feuille de route !
MT - Les manœuvres pour s’opposer au retour de Marc Ravalomanana auraient-elles été acceptables dans un pays qui se considère démocratique comme la France ? Peut-on imaginer que la France lui accorde le même genre de protection qu’elle a accordé en Février 2009 à Andry Rajoelina ?
JMC - Il ne faut tout de même pas oublier que c’est Marc Ravalomanana qui lui-même a décidé de quitter Madagascar en mars 2009. La France lui avait proposé à l’époque une assistance pour quitter le pays et offert de l’accueillir en exil, je m’en rappelle très bien, c’était le jour de mon arrivée, propositions qu’il a finalement déclinées. En ce qui concerne l’éventuel retour à Madagascar de l’ancien Président, le Ministre français en charge de la Coopération, Henri de Raincourt, a été très clair en février dernier lors de son passage à Madagascar : cette question relève de la seule souveraineté de votre pays.
MT - En juillet 2010, Hubert Védrine et Alain Juppé signaient ensemble dans le journal Le Monde une chronique déplorant la réduction des moyens du réseau diplomatique et culturel de la France (http://www.lemonde.fr/idees/article...). Au moment où l’un de ces deux hommes est redevenu ministre des affaires étrangères et européennes et où des inquiétudes pèsent sur la survie des lycées français de Fianarantsoa et d’Antsiranana, quelles peuvent-être les priorités de la présence française à Madagascar ?
JMC - Je voudrais être précis sur ce point où il y a aussi beaucoup de mauvaises surinterprétations ou d’instrumentalisations. Nous ne sommes pas à Madagascar dans une approche de réduction des moyens budgétaires de la présence diplomatique ou administrative française. Nos financements pour Madagascar, que ce soient dans les domaines consulaires, culturels, scolaires ou de développement, ne connaissent pas de contraction. Nous sommes en revanche résolument engagés, c’est vrai, dans une phase de rationalisation et de modernisation de nos réseaux pour renforcer le service public que nous rendons à nos compatriotes. C’est bien le sens des réformes engagées en France même par le Chef de l’État et le Gouvernement. La fermeture programmée en 2012 de la section Lycée de Fianarantsoa (67 lycéens – aucune section lycéenne en France n’existe avec un tel effectif), et non pas bien entendu de l’établissement dans son ensemble, s’inscrit dans cette démarche. Je relève, et cela prouve que notre engagement pour le réseau scolaire français à Madagascar ne faiblit pas, que de très importants travaux d’extension du Lycée français sont prévus à Tananarive, avec un budget d’investissement immobilier compris toujours pour 2012 entre 6 à 8 millions d’Euros. Cette évolution doit en revanche sans doute faire l’objet d’échanges et d’explications renforcées avec toutes les parties prenantes concernées afin que son intérêt et ses objectifs soient mieux perçus.
Interview réalisée par e-mail du 18 mars au 4 avril 2011 par Ndimby A. et Patrick A.
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