Une ville entière qui demande à mettre la clé sous la porte. La scène paraît surréaliste mais vient de se produire à Detroit aux Etats-Unis, où la cité de plus de 700 000 habitants, grevée par une dette de quelque 18 milliards de dollars (13,7 milliards d'euros), s'est déclarée en faillite jeudi 18 juillet. Une commune en France pourrait-elle atteindre ce point critique ? L'hypothèse apparaît improbable et de nombreux garde-fous existent de ce côté-ci de l'Atlantique pour empêcher la descente aux enfers.
Spectaculaire quand elle touche une ville de la taille de Detroit qui fut, à son âge d'or, la quatrième ville du pays en termes de population, la procédure reste cependant rare : depuis les années 1950, seule une soixantaine de villes, de toutes tailles, ont été admises dans le "Chapter 9", le dispositif juridique qui permet la faillite. Ce processus n'est enclenché qu'en dernier ressort, lorsqu'aucune autre solution financière et/ou juridique n'a pu aboutir.
Depuis 2010, dans la foulée de la crise des subprimes, plusieurs localités tellesSan Bernardino et Stockton en Californie, ou encore Jefferson County en Alabama, ont été placées sous chapitre 9. Mais jamais une de la taille de Detroit – plus de 700 000 habitants –, même si New York ou Philadelphie ont, par le passé, elles aussi frôlé la catastrophe.
Face à ses difficultés financières, Detroit avait déjà été mise sous tutelle dès mars, avec la nomination par les autorités de l'Etat du Michigan d'un administrateur, Kevyn Orr, un avocat qui avait déjà planché sur la faillite du constructeur automobile Chrysler, ancien fleuron de la région. General Motors, l'autre pilier de cette ville qu'on surnommait, du temps de sa splendeur, "Motor city", avait par ailleurs fait au début du premier mandat d'Obama l'objet d'un sauvetage inédit, avec nationalisation par le gouvernement.
Plombée par le déclin de ses industries, Detroit n'a pas pu supporter les retombées de la crise de 2008 : plusieurs responsables de la ville blâment directement le système de foreclosure lié aux prêts immobiliers "pourris", qui a entraîné l'expulsion de centaines de milliers d'habitants de la ville, détruisant autant d'emplois et réduisant à peau de chagrin la base fiscale de la municipalité. L'obligation pour la mairie de s'endetter toujours plus et de tailler dans les servicespublics a grevé les finances et précipité le départ des résidents, qui ne supportent plus les rues sans lampadaires, les écoles sans enseignants et un centre-ville laissé à l'abandon.
DES CONDITIONS DE CANDIDATURE STRICTES
A sa prise de fonctions, en mars, Kevyn Orr doit gérer une dette de 18 milliards de dollars (dont 14 milliards de dette de long terme). Son plan d'actions (PDF), dans lequel il prévient d'ores et déjà que la ville se retrouvera à court de liquidités dans l'année, est sans surprise : privatisations, coupes dans les dépenses de santé, etc. L'administrateur y laisse déjà entendre qu'une banqueroute n'est pas àexclure. Ce plan est immédiatement jugé de mauvais augure par l'agence de notation Moody's, qui menace d'une nouvelle dégradation de la note de la ville (celle-ci est passée de A au début des années 2000 à CCC aujourd'hui, en catégorie hautement spéculative). Kevyn Orr se donne alors six semaines pourvoir comment ses propositions vont être reçues et les suites à envisager. En juin, la ville suspend tous ses paiements aux banques, laissant pressentir le pire. Detroit n'échappera finalement pas à la faillite.
Pour être placée sous chapitre 9 – qui est l'équivalent du chapitre 11 sur les faillites des entreprises, mais à destination spécifique des municipalités (ce peut être une ville, un comté, un système de santé local ou encore une académie scolaire) – la ville doit remplir plusieurs critères et doit :
- y être autorisée par l'Etat ;
- être insolvable ;
- être prête à mettre en œuvre un plan de restructuration de sa dette ;
- soit obtenir l'accord de ses créanciers majoritaires, soit avoir échoué à négocier un rééchelonnement de gré à gré avec ces mêmes créanciers, soitestimer ne pas être en mesure de négocier, ou suspecter un créancier devouloir obtenir une préférence sur les autres.
Une fois réunies, ces conditions permettent d'ouvrir la procédure. Le dossier est alors confié à un juge des banqueroutes et publié dans la presse locale. Le juge peut alors choisir de l'accepter ou de le rejeter s'il l'estime infondé. Il peut également recevoir des objections à la procédure. C'est seulement une fois que toutes ces étapes ont été franchies que le dossier passe en tant que tel sous chapitre 9. Tous les paiements sont alors suspendus et aucun créancier ne peut plus venir réclamer son dû.
AUCUNE ALTERNATIVE POUR LES CRÉANCIERS
La municipalité débitrice doit inclure dans son dossier un plan de remboursement (extension de la maturité des titres, réduction des taux, contraction de nouveaux prêts, etc.) que les créanciers n'ont que le choix d'accepter, à condition bien évidemment qu'il ait été rédigé en bonne et due forme. Les créanciers ne peuventproposer aucune alternative, en revanche, un comité spécial désigne des avocats, comptables, etc., pour veiller à ce que les intérêts des prêteurs soient respectés. Le plan n'est accepté par la cour et appliqué que s'il répond aux "meilleurs intérêts des créanciers", c'est-à-dire s'il est jugé plus avantageux que toutes les alternatives étudiées auparavant.
Contrairement au chapitre 11, la spécificité du chapitre 9 est de laisser à la municipalité une très large marge de manœuvre. Par exemple, même sous chapitre 9, une municipalité a le droit d'emprunter, notamment pour couvrir ses dépenses administratives de base. La cour qui gère la banqueroute n'a par ailleurs pas le droit d'interférer dans les prises de décisions de la mairie.
La procédure est généralement longue et coûteuse : la mise sous chapitre 9 du comté d'Orange (Californie), dans les années 1990, a duré 18 mois, la ville de Vallejo (Californie) a vu son plan de remboursement approuvé au bout de trois ans de procédure, et a dépensé, selon une estimation de Bank of America, 10 millions de dollars en frais légaux. Néanmoins, le dispositif peut s'avérer payant : neuf ans après avoir fait faillite, Orange County avait retrouvé sa note "triple A".
Un niveau d'endettement moindre
- Les communes françaises ne peuvent théoriquement pas atteindre le niveau de dette record des villes américaines, qui dans le cas de Detroit se compte en milliards. Tout d'abord, il est interdit en France d'emprunter pour "combler un déficit de la section de fonctionnement ou une insuffisance des ressources propres". En clair, le code général des collectivités locales n'autorise le recours à l'emprunt que pour financer des investissements, pas pour les frais courants.
Pour surveiller et éviter les écarts, les comptes de chaque commune sont contrôlés par l'Etat. Le budget des communes est établi en début d'année. Au mois de juin, le compte administratif, qui permet de vérifier les dépenses par rapport aux prévisions, est établi et voté. L'administrateur des finances publiques, représentant comptable de l'Etat dans le département, certifie la bonne tenue des comptes.
Par ailleurs, depuis 1993, l'administration a mis en place un réseau d'alerte interne sur les finances des communes. Il s'agit de détecter celles qui se retrouvent dans des situations critiques, en surveillant notamment le niveau d'endettement et la pression fiscale.
L'ARME SUPRÊME : LA MISE SOUS TUTELLE
Ces outils ne permettent pas d'éviter à chaque fois le décrochement d'une ville. Dans l'hypothèse d'un déficit grave, les préfets peuvent prendre le contrôle des opérations et imposer des mesures drastiques, notamment des hausses d'impôt ou des réductions des dépenses publiques. Ce fut le cas à Grigny en 2009, où la commune de l'Essonne se retrouva avec un déficit insupportable de 15,5 millions d'euros. Faute de budget adapté à la gravité de la situation, le préfet avait suivi les recommandations de la chambre régionale des comptes : les taxes foncières avaient bondi de 50 % et la taxe d'habitation de 44,26 %. Ces hausses s'étaient accompagnées d'une réduction autoritaire des dépenses de personnel et des subventions aux associations.
Plus récemment, dans le Val-d'Oise, la ville de Beauchamp a subi le même sort. Mais les élus ont refusé de voter un budget qui prévoyait une hausse de 27 % de la taxe foncière. Le maire a retiré le vote, provoquant de facto la mise sous tutelle de la ville. Depuis, la chambre régionale des comptes a rendu son verdict : elle demande une augmentation de 30 % de la taxe foncière.
LA MENACE DES EMPRUNTS TOXIQUES
Si le risque de faillite des villes françaises est donc quasi nul, les investissements dans des emprunts toxiques avaient mis beaucoup de communes dans le rouge après la crise des subprimes en 2008. C'était le cas à Argenteuil dans le Val-d'Oise, où le conseil municipal (majorité UMP) avait contracté un emprunt toxique auprès de Dexia. Une situation dénoncée par Philippe Doucet, maire PS à partirde 2008 : "L'Etat a laissé les communautés locales investir dans ces produits financiers douteux. L'administration a cautionné. Quand je suis arrivé à la tête de la ville, il y avait un autofinancement négatif. Cela s'est traduit par des fortes hausses d'impôts pour rétablir les comptes."
Des centaines de villes avaient ainsi dû renégocier leurs emprunts. Mais pour l'élu du Val-d'Oise, aucune commune ne peut faire faillite. "En France, c'est structurellement impossible, le préfet intervient avant et augmente les impôts autant qu'il le faut. C'est la différence entre un pays totalement libéral comme les Etats-Unis et la France qui conserve sa tradition centralisatrice de contrôle des collectivités."
Nicolas Chapuis : Source Journal Le Monde
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