Saturday, July 27, 2013

Beethoven, une vie plombée par l'alcool

Beethoven tenant la partition de la "Missa solemnis". Tableau de Joseph Karl Stieler (1819).
L'été en séries. Autopsies célèbres (5/6).

 Ludwig van Beethoven : son œuvre musicale immense, sa terrible surdité... et les discussions sans fin sur les causes de sa mort et de ses maladies. Près de deux siècles après sa disparition, le 27 mars 1827 à Vienne, à l'âge de 56 ans, le cas médical du compositeur allemand intrigue toujours médecins et chercheurs, dont de nouvelles théories sont régulièrement publiées dans des revues scientifiques et médicales.

Certes, dans ce domaine, l'auteur de la Neuvième Symphonie et de L'Hymne à la joie est loin de rivaliser avec son compatriote Wolfgang Amadeus Mozart, qui a rendu l'âme quelques décennies avant lui (en 1791), à 35 ans. Pas moins de 140 causes ont été avancées comme étant à l'origine de la mort du compositeur de La Flûte enchantée et de Don Giovanni.

Mais les spécialistes n'ont pas manqué d'imagination pour tenter d'expliquer les symptômes chroniques – à commencer par la surdité – dont souffrait Beethoven, et d'identifier la maladie qui l'a emporté.

Rétrospectivement, sur la foi des descriptions de son rapport d'autopsie, de sa correspondance (pléthorique), des écrits de ses amis et de ses médecins, l'illustre compositeur s'est vu ainsi affubler de syphilis, d'une maladie inflammatoire de l'intestin, de tuberculose, de la maladie de Paget (une pathologie du remodelage des os qui peut entraîner une surdité), d'alcoolisme... C'est surtout à partir des lettres du musicien et des documents de ses proches qu'a été reconstituée, de façon assez précise, l'évolution de sa surdité, dont les premiers symptômes ont débuté avant la trentaine, finissant par l'emmurer dans le silence durant les dernières années de sa vie.

SON PENCHANT IMMODÉRÉ POUR LA BOUTEILLE
Ses écrits et ceux de ses médecins se sont révélés tout aussi précieux pourdocumenter ses autres problèmes de santé (troubles digestifs et dépression notamment), et surtout son penchant immodéré pour la bouteille. La correspondance de Beethoven est riche en allusions au plaisir et au soulagement que lui procure l'alcool, en particulier le vin. Au seuil de la mort, alors qu'il est dans un état physique déplorable, avec un tableau évocateur de défaillance du foie (douleurs abdominales, jaunisse, ascite et œdème des membres), il y voit encore un remède. "Comment pourrai-je assez vous remercier pour ce champagne excellent ; comme il m'a restauré et comme il va me restaurer encore !" écrit-il au baron Johan Pasqualati dans ce qui sera une de ses dernières lettres, datée de mars 1827 (extrait du livre Les Lettres de BeethovenActes Sud, 2010).
L'autopsie, réalisée semble-il à la demande de l'intéressé, confirme qu'il était au bout du rouleau, ses organes rongés par l'alcool.

"La cavité abdominale est remplie de quatre quarts d'un liquide rougeâtre, nuageux. La taille du foie est réduite de moitié. Il est compact et d'une consistance parcheminée, de couleur bleu-vert, et sa surface est couverte de nodules de la taille d'un haricot", est-il inscrit dans le rapport, traduit du latin par François Martin Mai dont l'article a été publié dans le Journal of the Royal College of Physicians of Edinburgh en 2006. La rate est décrite comme très volumineuse ainsi que le pancréas. Les reins sont très atteints...

Même en l'absence d'examens anatomopathologiques (analyse au microscope des tissus), qui n'existaient pas à l'époque, le diagnostic ne fait guère de doute. C'est une défaillance du foie sur cirrhose alcoolique, compliquée d'une péritonite, qui a emporté Beethoven, conclut François Martin Mai. L'atteinte du pancréas peut aussi s'expliquer par l'alcool. "Des auteurs ont suggéré une origine virale. Mais les hépatites B et C n'étaient pas connues avant le XXe siècle, et l'hépatite A ne se complique pas de cirrhose", précise ce médecin canadien.

"Ces lésions signent une phase terminale de cirrhose nodulaire, telle que l'on peut en observer chez des alcooliques, confirme le docteur Frédéric Maître, anatomopathologiste à l'Institut médico-légal de Paris et légiste. La péritonite est une complication classique chez ces patients, car le liquide présent dans la cavité abdominale (ascite) s'infecte facilement, à partir d'un foyer pulmonaire, par exemple."
Les médecins qui ont réalisé l'autopsie décrivent, par ailleurs, très minutieusement l'anatomie des portions externe, moyenne et interne des oreilles du compositeur sourd. "Il n'y a pas d'argument en faveur d'une otosclérose, un diagnostic un temps évoqué chez Beethoven. La lésion principale est l'atteinte des nerfs cochléaires, qui sont atrophiés", résume Frédéric Maître. Il souligne au passage que l'autopsie du compositeur allemand a été la première effectuée par Karl von Rokitansky, qui deviendra un pathologiste réputé, à l'origine de la protocolisation de ces examens post mortem.

Beethoven serait donc un alcoolique qui a, comme tant d'autres, succombé à une cirrhose ? Pas seulement. Des examens conduits depuis une dizaine d'années sur ses cheveux et plus récemment sur des os de son crâne ont établi que le musicien souffrait aussi de saturnisme, c'est-à-dire d'une intoxication chronique au plomb. L'histoire de ces "reliques" est en elle-même édifiante, comme le raconte l'urgentiste Patrick Pelloux dans son livre paru en mars On ne meurt qu'une fois mais c'est pour si longtemps (Robert Laffont, 230 p., 19 €).

L'ORIGINE DES FRAGMENTS D'OS EST BIEN PLUS GLAUQUE
Les mèches de cheveux ont été coupées par un jeune admirateur, venu avec safamille préparer le corps de Beethoven après sa mort. Et après un long périple, elles sont réapparues lors d'une vente aux enchères chez Sotheby's. L'origine des fragments d'os est bien plus glauque. "Pendant l'autopsie, les médecins se sont cachés derrière des bâches. Ils brisent alors le crâne et en volent des morceaux, comme une bande de voyous pillant un lieu historique", écrit le docteur Pelloux.
Mais d'où vient tout ce plomb, et quels symptômes peut-il expliquer ?

En 2007, un médecin autrichien, Christian Reiter, a émis l'hypothèse que ce sont les cataplasmes imbibés de plomb appliqués par son médecin Andreas Wawruchà chaque ponction d'ascite qui ont, en quelque sorte, poussé dans la tombe le compositeur, dont le foie était déjà bien malade.
L'explication est bien plus triviale, estime l'équipe de Michael Stevens (université de l'Utah). "Bien que le plomb puisse provenir de nombreuses sources externes, dont la vaisselle, des flasques de vin, du cristal au plomb, et l'eau des stations thermales, nous pensons que, dans le cas de Beethoven, la source la plus probable est le vin, écrivent-ils dans un article paru en mai dans The Laryngoscope, la revue de la Société américaine d'otorhinolaryngologie. Il est bien connu qu'à cette époque du plomb était ajouté illégalement aux vins bon marché pour améliorer leur saveur. Beethoven appréciait particulièrement les vins frelatés de Hongrie."

A l'appui de leur théorie, ces auteurs américains insistent sur le long passé de buveur de Beethoven, qui aurait commencé à s'alcooliser à 17 ans pour noyer son chagrin à la mort de sa mère. Et ils soulignent aussi le caractère familial de cette addiction, notant que le père et la grand-mère du musicien sont morts de complications directement liées à l'alcool.

L'intoxication au plomb, qui a commencé très tôt dans la vie de Beethoven, peut être à l'origine des lésions de ses nerfs auditifs et donc de sa surdité, estiment les chercheurs américains. Et ce saturnisme pourrait expliquer bon nombre de ses symptômes : ses troubles de l'humeur, l'atteinte du foie, des reins... ses crises de douleurs abdominales. Directement et indirectement, c'est sans doute bien son penchant pour le vin qui a emporté Beethoven.

Source: Journal  Le Monde




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