L’ex-chef d’Etat, Marc Ravalomanana, aujourd’hui en exil en Afrique du Sud, ne peut revenir au pays « qu’après l’instauration d’un environnement politique et sécuritaire favorable ». Cela est écrit noir sur blanc dans la feuille de route, et la même formulation a déjà été portée dans l’accord de Maputo et dans celui d’Addis-Abeba. On estime généralement (surtout chez les tenants du régime de transition) que le retour de Marc Ravalomanana ne pourra que provoquer des troubles au pays, la vie de l’ex-chef d’Etat étant même menacée car les familles des morts du 7 février pourraient se livrer sur lui à des représailles.
Pour ces raisons et suite à une directive du régime de transition, Marc Ravalomanana a été refoulé en février dernier à l’aéroport de Johannesbourg quand il voulut embarquer dans un avion en partance pour Madagascar. Qu’adviendrait-il effectivement si l’ex remettait les pieds au pays ? Nul ne le sait, mais on peut néanmoins rappeler le sort fait par la population à ceux qui, avant Marc Ravalomanana, ont « tiré sur leur peuple ».
On peut citer, en premier lieu, le sinistre commissaire Marcel Baron, chef de la Sûreté générale à Antananarivo pendant l’insurrection de 1947. Peut-être car il n’a pas su prévoir le soudain soulèvement du 29 mars, il se rattrapa en réprimant avec zèle la rébellion : arrestations massives, extorsion de renseignements ou d’aveux sous la torture, exécutions sommaires… Une fois l’insurrection mâtée, l’homme, qui fit trembler toute l’île, resta dans la capitale et y résida jusque dans les premières années de l’indépendance. Personne n’attenta à sa vie et dans la rue, il ne fit l’objet d’insultes ni d’injures. Il s’était même marié à une Malgache…
Ensuite, Philibert Tsiranana, « père de l’Indépendance », dont la garde prétorienne dite FRS (Forces Républicaines de Sécurité) tira sur les étudiants en grève, le 13 mai 1972 devant l’hôtel de ville. On annonça officiellement une quinzaine de morts, mais il y en eut certainement plus puisque la formidable fusillade a longuement résonné dans la capitale. Des éléments des FRS furent pourchassés et tués par la foule dans les jours suivants, mais Philibert Tsiranana ne fut nullement inquiété, même si pour effrayer les manifestants, il déclara à la radio qu’il était disposé « à en tuer cent ou mille ». Il quitta peu après le pouvoir et décéda paisiblement six ans plus tard, en 1978, sur un lit de l’hôpital de Befelatanana, sans avoir été une seule fois molesté ou invectivé.
Enfin, l’amiral Didier Ratsiraka se livra à deux carnages de taille. La première fois dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1985, quand sur son ordre, les troupes précédées par des blindés assaillirent les deux camps des Kung-Fu de la capitale, tuant le chef de ceux-ci ainsi qu’une vingtaine de membres de cette confrérie. Les Kung-Fu furent accusés de créer « un Etat dans l’Etat » et de préparer un assaut contre le palais présidentiel d’Ambohitsorohitra. La seconde fois le 10 août 1991 devant le palais d’Iavoloha, quand la garde présidentielle refoula à coups de fusil et de grenades une marche organisée par les Forces Vives, mouvement d’opposition qui réclamait le départ du chef de l’Etat. La participation directe de l’amiral aux opérations (qui firent une soixantaine de morts) fut attestée par un enregistrement où on l’entendait donner des ordres précis à ses hommes. On sait que l’amiral ne quitta la barre qu’après le scrutin présidentiel de 1993 où il fut défait par le leader des Forces Vives, Zafy Albert. Lui et sa famille partirent pour la France exactement le 9 août 1994, le palais d’Iavoloha ayant fait le lendemain l’objet d’un état des lieux par l’huissier Rambolamalala Rambeloson. Aucun attentat ni geste hostile ne fut dirigé contre Didier Ratsiraka, et à son retour d’exil en septembre 1996, il fut accueilli à l’aéroport d’Ivato par une immense foule enthousiaste, prélude à son triomphe à l’élection présidentielle de 1997.
Face aux bourreaux, comment expliquer la passivité de la population et surtout de ceux qui seraient en droit de s’adonner à des représailles ? Peut-être par le respect séculaire de la population pour le « Fanjakana », l’Etat tout-puissant qui régente la vie publique et exerce une tutelle « bienveillante » sur les masses. Pour cette raison, on considère que ceux qui attentent au « Fanjakana » subissent un juste châtiment et que la répression -même sévère- est dans l’ordre des choses.
Voilà pour ce qui s’est passé jusqu’ici. Pour le reste, on ne sait ce qui adviendrait si Marc Ravalomanana revenait au pays. Reconnaissons un fait : pendant ou après le massacre, face à son bourreau, la population s’est toujours trouvée… désarmée.
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