Le PDG de Total n'avait "aucun doute", en avril 2011, que le prix de l'essence franchirait tôt ou tard la barre des 2 euros le litre. Christophe de Margerie a fini par avoir raison : le prix d'un litre de super sans-plomb 98 a atteint 2,02 euros, mardi 13 mars. Certes, dans un parking (et non dans une station-service) du centre de Paris, le symbole n'en est cependant pas moins fort. Il a relancé la polémique entre les candidats à l'élection présidentielle, qui préconisent des solutions différentes mais aux effets limités et temporaires.
Comme le gouvernement le fait depuis deux ans, Nicolas Sarkozy a invité les automobilistes, mercredi 14 mars, à "faire jouer la concurrence ". En revanche, le président-candidat a exclu toute révision de la fiscalité pétrolière et tout blocage des prix, contrairement à François Hollande.
Le candidat socialiste a précisé jeudi, au cours de l'émission "Des paroles et des actes" sur France 2, qu'il gèlerait les prix pendant trois mois, comme le gouvernement Bérégovoy l'avait fait, en août 1990 après l'invasion du Koweït par l'Irak, en s'appuyant sur le Code du commerce.
M. Hollande a promis la mise en place, dans un second temps, d'un mécanisme permettant de "geler les prélèvements fiscaux de l'Etat [sur les carburants] à un certain niveau" : toute rentrée supplémentaire de TVA liée à la hausse des prix à la pompe serait compensée par une baisse à due concurrence de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), l'ex-TIPP. Un manque à gagner pour l'Etat qui n'aurait pas le coût fiscal exorbitant de la "TIPP flottante" instaurée par le gouvernement Jospin entre 2000 et 2002.
Plus radicale, Marine Le Pen s'engage à réduire la TICPE de 20 %, ce qui se traduirait par une baisse de l'ordre de 15 centimes par litre. La présidente du Front national, qui ne veut plus que l'automobiliste soit "l'éternelle vache à lait du gouvernement et de la gauche", financerait sa mesure par une surtaxation des groupes pétroliers et gaziers. Le centriste François Bayrou exclut, lui, toute réduction des taxes, mais il juge nécessaire de renforcer la concurrence dans le raffinage – un secteur pourtant en pleine crise en Europe, où les fermetures de raffineries se multiplient.
Personne, en France, n'a proposé une autre piste, évoquée depuis quelques jours aux Etats-Unis et au Royaume-Uni : la mobilisation des stocks stratégiques pour détendre les marchés, où le prix du baril de brut a atteint 105 dollars à New York et 125 dollars à Londres. "Cette piste vaut le coup d'être explorée", a indiqué le premier ministre britannique, jeudi, devant une communauté de Wall Street inquiète des menaces d'un pétrole cher sur la reprise économique. David Cameron et le président américain, Barack Obama, n'ont cependant pris aucune décision. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) avait eu recours à cette arme, en juin 2011, pour compenser les pertes de production en Libye qui poussaient les prix à la hausse.
REGAIN DES TENSIONS
L'augmentation des prix s'explique par le regain de tensions géopolitiques dans de grands pays producteurs comme l'Iran et le Nigeria. Mais aussi par l'affaiblissement de l'euro par rapport au dollar, qui renchérit les prix d'achat du brut vendu en devise américaine. Les associations de consommateurs incriment aussi le comportement des compagnies pétrolières, notamment Total. Calculs du ministère de l'économie à l'appui, elles estiment qu'elles répercutent plus vite la hausse que la baisse du brut sur les prix à la pompe.
On est pourtant encore loin d'un litre au prix moyen de 2 euros. Il faudrait que le baril atteigne 180 à 200 dollars, calcule Jean-Louis Schilansky, président de l'Union française des industries pétrolières (UFIP). Les prix à la pompe ont tout de même atteint des records (sauf pour le gasoil) la semaine dernière, selon le ministère du développement durable : 1,62 euro en moyenne pour le sans-plomb 95, 1,66 euro pour le sans-plomb 98 et 1,44 euro pour le gazole.
Jusqu'en 2008, la hausse des prix des carburants avait eu peu d'impact sur la consommation. Elle s'en ressent aujourd'hui dans tous les pays où l'essence n'est pas subventionnée. En France, la demande a reculé de 1,6 % en février par rapport au même mois de 2011, indique l'UFIP : – 7,3 % pour les livraisons de super sans plomb et – 1,6 % pour celles de gasoil (81,5 % des carburants automobiles). "En année mobile, la consommation française de carburants a diminué de 0,7 % entre mars 2011 et février 2012", constate-t-elle.
Une étude de l'Insee (Economie et Statistique, nº 446, 2011) portant sur une période de hausse moins forte des prix (+30 % entre 1990 et 2006) indique que cette "élasticité-prix" commençait à se faire sentir avant la flambée de la fin des années 2000. A court terme, les automobilistes sont peu sensibles à la hausse, notent ses deux auteurs ; à long terme, ils réduisent leur consommation : "Une hausse de 10 % des prix engendrerait une baisse de 6 % de la consommation sur longue période". En bonne logique, ce sont les ménages les plus aisés et les plus urbains qui s'adapteront le mieux à cette flambée sans précédent – et sans doute durable – des produits pétroliers.
Jean-Michel Bezat
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