Séquestrer son patron, c'est presque devenu un passage obligé pour faire entendre ses revendications. Après Siemens, Caterpillar ou Molex, c'était jeudi 29 mars aux salariés parisiens de la FNAC de retenir pendant sept heures Bruno Ferrec, le directeur des neuf magasins de la capitale.
Près de 150 salariés s'étaient invités à la réunion de négociation salariale, organisée dans un hôtel, pour réclamer une hausse des salaires, et particulièrement du salaire d'embauche, exigeant 1 700 euros, contre 1 414 euros aujourd'hui. En réponse, la direction leur a proposé une hausse mensuelle de 15 euros pour les rémunérations les plus basses, en dessous de 1 500 euros. Une concession insuffisante pour les syndicats. "Mais ce qui nous a le plus choqué, c'est le mépris total envers les salariés. Le directeur a même parlé de 'population' pour évoqué les employés", témoigne Catherine Gaigne, déléguée du syndicat SUD.
Face à ce blocage, des assemblées générales étaient organisées vendredi midi dans plusieurs magasins (Etoile, Montparnasse, Forum des Halles) pour informer les salariés de l'échec des négociations. Le centre logistique de Massy-Palaiseau (Essonne) avait également programmé une AG. Une réunion intersyndicale est prévue mardi 3 avril pour faire le point sur la situation et peut-être voter la grève.
310 POSTES SUPPRIMÉS
Du côté de la direction, le temps n'est certainement pas aux augmentations, mais à une "modération salariale". Touchée par la crise et la baisse de la consommation, concurrencée par l'e-commerce, la FNAC a connu une chute de son chiffre d'affaires de 3,2 % en 2011. En réaction, le groupe a annoncé le 13 janvier un plan d'économie de 80 millions d'euros.
Au programme : la réduction des frais généraux (renégociation des loyers des magasins ou des contrats commerciaux) et la suppression de 310 emplois en France, principalement dans les services financiers, administratifs, les ressources humaines ou la communication. Des postes auparavant rattachés à chaque magasin et qui seront désormais centralisés à l'échelle d'une région.
Pourtant, pour les syndicats, le groupe n'est pas dans une situation critique. "On nous impose un blocage salarial, alors que dans le même temps, le groupe PPR [propriétaire de la FNAC] annonce des distributions de dividendes pour les actionnaires du même ordre que l'année dernière, à 3,5 euros par action, soit une enveloppe globale de 450 millions", s'indigne Catherine Gaigne. La direction rétorque que les négociations ont eu lieu dans le calme dans toutes les autres régions, parvenant parfois à des accords, et que tous les postes en magasins seront préservés.
Pour Stéphane Renaud, délégué syndical de Force ouvrière en province, le malaise des salariés de la FNAC n'est pourtant pas que parisien. selon lui, Paris a simplement "toujours eu un train d'avance dans la contestation parce qu'il est beaucoup plus facile pour les syndicats de se coordonner entre magasins proches et de se rendre au siège".
UNE ÉVOLUTION DU MÉTIER
Mais au-delà des revendications salariales, les employés déplorent surtout la détérioration des conditions de travail. Dans le magasin d'Annecy où il travaille, Stéphane Renaud constate une baisse discrète, mais constante, des effectifs. "Nous étions encore 100 il y a quatre ans, contre 80 aujourd'hui", indique le syndicaliste. Les salariés se disent en sous-effectifs constants, et doivent désormais être capable de gérer plusieurs postes à la fois.
"Après la polyvalence, la polycompétence, on nous parle de polyactivité. Le salarié doit savoir gérer le rayon, le comptoir et les différents métiers. Avant, les libraires étaient spécialisés en sciences humaines ou en bande dessinée, alors qu'aujourd'hui, ils doivent savoir tout faire et renseigner sur plus de 110 000 références", constate Catherine Gaigne. "Les métiers historiques, qui faisaient la réputation de la FNAC, ont disparu. Aujourd'hui, on nous incite à vendre essentiellement des services, notamment les garanties sur les produits techniques", ajoute Stéphane Renaud.
Et le métier n'a pas fini d'évoluer. Le nouveau plan stratégique FNAC 2015 prévoit l'ouverture de points de vente de proximité, notamment dans les gares et les aéroports, et surtout l'arrivée de nouveaux produits (édition abonnés) en magasins, notamment du petit électroménager dans les univers "maison et design".
Le PDG de la FNAC, Alexandre Bompard, inaugurait justement jeudi soir le premier espace de ce genre dans le magasin de Rosny (Seine-Saint-Denis). Pile au même moment, les salariés en colère séquestraient leur directeur, prêts à tout pour que les libraires FNAC ne soit pas obligés d'écouler des machines à café.
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