Lundi 3 octobre encore, les valeurs bancaires ont fait figure de souffre-douleur des marchés financiers. A la Bourse de Paris, le Crédit agricole a cédé 3,84 %, BNP Paribas 4,64 % et la Société générale 5,15 %. La franco-belge Dexia, rattrapée par une affaire d'emprunts toxiques vendus à des municipalités françaises, a plongé de 10,16 %. Toutes ces banques font l'objet d'une défiance généralisée : on leur reproche notamment de ne pas avoir assez de fonds propres pour compenser leur exposition à des actifs risqués, telles les dettes grecque, italienne ou portugaise.
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Depuis les années 1970, les banques ont pourtant été incitées à se doter d'un cadre réglementaire et prudentiel suffisamment strict pour éviter non seulement les faillites, mais aussi leurs répercussions sur d'autres secteurs de l'économie.
Allemagne de l'Ouest, années 1970
C'est en 1974 que voit le jour la volonté d'inciter les banques à harmoniser leurs pratiques et à respecter des normes communes de sécurité. Cette année-là, le secteur bancaire a frôlé la catastrophe : la faillite de la banque ouest-allemande Herstatt a fortement ébranlé le marché des changes – paralysant jusqu'au système des paiements interbancaires de New York – et a failli entraîner la chute de plusieurs autres établissements. Fort heureusement circonscrite, la chute de Herstatt a mis en évidence les risques systémiques liés à une internationalisation de plus en plus poussée des banques.
Peu après cette faillite, un directeur de la Banque d'Angleterre, Peter Cooke, propose la réunion d'un comité réunissant les banques centrales et des organismes de réglementation et de surveillance bancaire des pays du G10 (France, Belgique, Canada, Italie, Japon, Luxembourg, Allemagne, Pays-Bas, Suisse, Espagne, Suède, Royaume-Uni, Etats-Unis). Sa proposition est adoptée et ce comité se réunit dorénavant à Bâle (Suisse) quatre fois par an, sous l'égide de la Banque des règlements internationaux (BRI).
Des règles sans valeur contraignante
Le Comité n'a qu'une autorité morale sur les banques et institutions financières : il édicte des recommandations et des bonnes pratiques. Leur application est laissée à l'appréciation des Etats membres. Par exemple, les Etats-Unis sont réputés pour traîner des pieds lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre les recommandations : les accords de Bâle II y ont été quasiment passés à la trappe. Washington a néanmoins accepté, en 2010, d'appliquer les règles de Bâle III, qui devraient entrer en vigueur en 2013.
L'audience du Comité est en fait bien plus large que le seul groupe des membres fondateurs. La première publication du comité, intitulée "Concordat de Bâle", est élaborée en 1975 et revue en 1983. Elle pose le principe d'une surveillance consolidée d'un groupe bancaire ou financier, y compris pour des établissements financiers qui ne font pas l'objet d'une supervision par les autorités du pays d'origine. Le Concordat établit en outre la compétence de l'autorité de surveillance du pays d'accueil pour le contrôle des succursales bancaires du groupe. Ces mesures ne traitent qu'un volet modeste de la régulation – celui de la surveillance des banques à l'international – mais c'est un début.
Wall Street, années 1980
Les années 1980 sont des années particulièrement lucratives et agitées sur les marchés. C'est l'époque des profits sans limite et des obligations pourries, les fameux "junk bonds" émis pour rembourser la dette des pays émergents, Mexique en tête, embourbés dans une crise financière qui les a rendus insolvables. C'est aussi l'époque où les défaillances d'emprunteurs se multiplient dans une Amérique paupérisée.
Le Concordat de Bâle apparaît très vite limité face à ces nouveaux défis, d'autant plus que la finance internationale, en plein essor, exige une harmonisation des réglementations bancaires afin de lutter contre les distorsions de concurrence.
Ratio Cooke : de l'importance des fonds propres
Les premiers travaux de grande ampleur du Comité aboutissent à la publication, en 1988, d'un accord sur un ratio international de solvabilité, baptisé "ratio Cooke", du nom de l'instigateur du Comité. Ce ratio est au cœur des accords dits "de Bâle I".
Le ratio Cooke est un élément fondateur de la régulation bancaire : il met en évidence le principe selon lequel le financement de chaque risque doit comprendre un certain montant de fonds propres. Cette précaution doit permettre d'assurer la sécurité globale du marché et de minimiser les risques de nature systémique en évitant l'"effet domino".
Le ratio Cooke reflète le rapport entre le montant des fonds propres et celui des encours de crédit : les accords de Bâle 1 le fixent à 8 %. Dans le détail, ce montant se divise en trois catégories : le noyau dur ou TIER 1 (qui doit être de 4 %), les fonds propres complémentaires ou TIER 2, les fonds propres surcomplémentaires ou TIER 3.
La chute de Barings, victime du "rogue trading"
Les accords de Bâle I sont fondamentaux pour la réglementation du système bancaire, mais ils se révèlent rapidement insuffisants : ils ne prennent pas en compte les activités hors bilan des banques – une lacune qui ne sera jamais comblée – et ils ne différencient pas assez finement les niveaux de risque pris par les établissements financiers.
En 1995, le scandale de la Barings achève de convaincre le Comité de s'atteler à une révision et un approfondissement des règles. Star de la banque Barings, une des plus vieilles institutions anglaises, Nick Leeson, à peine 25 ans à l'époque, réalise au début des années 1990 des profits colossaux sur son "desk" de Singapour. Spécialisé dans le trading des produits dérivés, ses gains représentent en 1993 près de 10 % des bénéfices de la banque. Jusqu'à ce que, confronté à des difficultés, il ne se mette à dissimuler ses pertes dans un compte d'erreurs, le désormais célèbre compte 88 888.
Ignorées par le contrôle totalement défaillant de la banque, les pertes s'accumulent jusqu'à représenter près de la moitié du capital de la Barings. Et c'est, avec une grande ironie, une catastrophe naturelle qui va mettre au jour les activités frauduleuses de Leeson. Le 17 janvier 1995, un tremblement de terre à Kobé (Japon) fait plonger les indices. Or, pour tenter de compenser ses pertes, Leeson avait pris des positions en pariant sur le fait que le Nikkei – l'indice-phare de la Bourse de Tokyo – ne chuterait pas en dessous d'un certain seuil. Ce dernier est largement franchi après le séisme. Ses pertes sont alors démasquées.
De tels agissements ont été rendus possibles par une succession de manquements de la part de la hiérarchie de Leeson, mais ils ont également été favorisés par le fait que, à cette époque, et pas seulement à la Barings, un trader peut agir à la fois en "front" et en "back office" : la même personne passe l'ordre et l'enregistre... en saisissant les chiffres qu'il veut. Face à l'ampleur du désastre, Leeson choisit de fuir. Il est rattrapé en Allemagne, arrêté et condamné à six ans et demi de prison. Le scandale de la Barings va entraîner une profonde refonte des attributions des front, middle et back offices, et ce dans toutes les salles de marchés du monde.
Un peu plus tard, au début des années 2000, plusieurs scandales comptables ébranlent les Etats-Unis. Enron, WorldCom, Arthur Andersen, autant de société devenues célèbres pour avoir chuté à la suite d'accusations de comptabilité falsifiée. Parallèlement aux accords de Bâle II sont alors élaborées de nouvelles normes comptables applicables à l'échelle mondiale, les normes IFRS (International financial reporting standards).
Bâle II, trois piliers fondateurs du cadre réglementaire
Publiés en 2004, les accords de Bâle II proposent, à l'aune des récentes turbulences, d'intégrer le risque "opérationnel" (fraudes et défaillances informatiques) dans son cadre d'analyse et d'améliorer la perception du risque de crédit en s'intéressant de plus près à la qualité des emprunteurs.
Cette nouvelle salve d'accords se décline en trois volets.
Exigence de fonds propres : Bâle II prend donc en compte les risques opérationnels et des risques de marché, au lieu de se cantonner aux risques de crédit. Le ratio Cooke est de fait remplacé par le ratio McDonough, du nom du président en exercice du Comité, William J. McDonough, qui prévoit que les fonds propres de la banque soient supérieurs à 8 % des risques de crédits (85 % du ratio) + des risques de marché (5 % du ratio) + des risques opérationnels (10 % du ratio).
Surveillance de la gestion des fonds propres : les banques peuvent fixer des ratios prudentiels encore plus élevés dans les domaines qui leur semblent importants pour leur stratégie, à charge ensuite pour elles de prouver que leurs fonds propres sont suffisants.
Transparence des marchés : des règles sont établies quant à l'information mise à la disposition du public sur l'actif, les risques et leur gestion. L'uniformisation et la transparence des règles bancaires impliquent une uniformisation de la présentation des portefeuilles de risque, ce qui permet à ces portefeuilles d'être lus et compris dans tous les pays où la banque fait des affaires.
Point important, les accords de Bâle II font la part belle à la notation financière et réaffirment son importance pour bien évaluer les risques. Cependant, les accords prévoient que cette notation peut être soit effectuée par des agences (Standard & Poor's, Fitch, Moody's... très décriées aujourd'hui), soit réalisée en interne avec des méthodologies propres. En aucun cas les accords n'imposent le recours aux agences de notation.
L'épouvantail Lehman Brothers
Pourtant bien étoffés, les accords de Bâle II n'empêcheront pas la déroute financière de 2008. La faillite de Lehman Brothers, dont les actifs étaient pourtant très bien notés, n'aurait pas dû se produire si les accords avaient correctement fonctionné. Encore aurait-il fallu qu'ils soient appliqués ! En effet, Bâle II n'est jamais entré en vigueur outre-Atlantique... Mais ils ont toutefois fait la preuve de leur insuffisance par ailleurs et une révision à la lumière des enseignements de la crise s'impose.
Les accords de Bâle III, finalisés en décembre 2010, ont dans leur ligne de mire les activités hors bilan des banques – notamment sur les produits dérivés – et leurs fonds propres, qui apparaissent comme de plus en plus insuffisants par rapport aux risques pris par les banques sur les marchés. Les risques pesant sur la liquidité sont également abordés.
Destinés à entrer en vigueur en 2013, les accords de Bâle III comportent quatre grands objectifs :
Renforcer le niveau et la qualité des fonds propres : le ratio Core Tier 1 (composante actions et assimilés du ratio TIER 1) doit passer de 2 à 4,5 % des actifs de la banque, tandis que le ratio TIER 1 doit quant à lui être au moins égal à 6 %, contre 4 % auparavant.
Mettre en place un ratio de levier ("leverage ratio") : cette mesure oblige les banques à immobiliser en fonds propres l'équivalent de 100 % de leurs engagements dans la catégorie des financements à l'exportation, soit cinq fois plus que le niveau requis actuellement (20 %). Le coût de cette mesure est très critiquée. Beaucoup de banques internationales, notamment britanniques, très actives sur ce type de prêts, y sont particulièrement exposées et font pression pour une modification de cette disposition.
Améliorer la gestion du risque de liquidité par la création de deux ratios de liquidité : un ratio de liquidité à trente jours et un ratio de liquidité à plus long terme, sur un an.
Renforcer les exigences prudentielles concernant le risque de contrepartie : dans ce volet, l'accent est mis sur le rôle des chambres de compensation, qui enregistrent l'ensemble des transactions financières et en assurent le règlement-livraison. Le passage obligé par une chambre de compensation est une garantie de la bonne fin des transactions. Or, bon nombre d'opérations, passées sur des marchés de gré à gré, sur des plates-formes alternatives de trading ou sur des dark pools, leur échappent.
La nécessité des accords de Bâle III fait l'objet d'un quasi consensus. Même les Etats-Unis ont accepté de rentrer dans le rang et de les appliquer afin qu'une crise identique à celle de 2008 ne se reproduise pas. Mais plusieurs acteurs économiques pointent le risque macroéconomique important qu'ils font planer. Une étude de l'OCDE publiée en février estime ainsi que ces normes renforcées pourraient coûter entre 0,05 et 0,15 % de PIB par an à chaque pays signataire. A l'heure où les économies développées grappillent péniblement 1 ou 2 % de croissance par an, ce chiffre passe mal.
D'autre part, l'exigence d'augmentation des fonds propres est à la fois considérée comme ridiculement faible – la plupart des banques européennes visent un seuil à 7 % pour le ratio TIER 1 – et présentant un risque de contraction du crédit. Contraction qui se ferait aux dépens du financement des entreprises, qui sortent tout juste de la crise.
Toutefois, il ne faut pas oublier que l'horizon d'application de Bâle III est lointain en ce qui concerne l'augmentation des fonds propres : les banques ont jusqu'à 2019 pour satisfaire ces exigences. Cette date est suffisamment éloignée pour tranquilliser les banques, et leur permettre d'augmenter leurs fonds propres à leur rythme, mais beaucoup trop pour apaiser les craintes d'une nouvelle faillite.
Audrey Fournier
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