Wednesday, August 17, 2011

Le plaisir fait-il le bonheur ?










Promis par la pub, vanté par notre société en quête de bien-être et de sensations agréables, le plaisir nous imposerait-il sa dictature ? Au fait, le plaisir est-il nécessaire (suffisant ?) pour trouver le bonheur ?

Y a-t-il une vraie différence entre plaisir et bonheur ? Nous faisons spontanément la distinction, mais celle-ci est-elle pertinente ? L'idée d'un état parfait, plus durable et plus complet que la simple jouissance est-elle réelle ou chimérique ? Le plaisir n'est-il pas en réalité l'autre nom du bonheur ?

S'il fallait désigner, entre différentes sortes de vie, celle qui s'accorde le mieux avec l'idée de bonheur, il semble que ce serait la vie de jouissance. L'action et la connaissance sont rarement désirées pour elles-mêmes ; on aime entreprendre ; on aime découvrir. Mais plus souvent encore on les désire pour autre chose : pour promouvoir nos intérêts, pour briller, impressionner. En revanche le plaisir semble n'être aimé que pour lui-même, même s'il ne doit procurer aucun avantage.
Le bonheur n'est-il pas une satisfaction moral, voir spirituelle ? La sensation du plaisir et l'état d'être heureux contribuent à la réalisation de notre bonheur.
Le plaisir est superficielle et volatile mais contribue à la réalisation du bonheur profond, et durable.

Le plaisir ressemble donc au bonheur, dont on ne cherche pas non plus à quoi il sert. On ne demande pas à quoi bon une vie pleine et réussie. De même le plaisir, voulu exclusivement pour lui-même, serait ce qui est désirable au suprême degré.

Or c'est ce que refuse Aristote, pourtant auteur de cette définition du bonheur. En effet, comme les autres choses désirables de la vie, le plaisir peut être instrumentalisé. Le plaisir est utile. Ne le cherchons-nous pas pour nous récompenser ? Pour nous détendre, nous délasser ? Or, qu'est-ce qu'un réconfort sinon le moyen de réparer nos forces et de nous redonner courage ?

Tandis que le suprêmement désirable n'est jamais désiré que pour lui-même, sans être utilisé comme moyen. Si ce n'est ni le plaisir, ni l'argent, ni le savoir, peut-être est-ce le plein exercice de nos forces...

Le plaisir fait-il le bonheur ?
C'est par une douce soirée de mai que l'association des Conversations essentielles avait décidé de mettre le plaisir sur la table. Ou plutôt sur la scène des Bains douches, une boîte parisienne où quatre invités - une comédienne, un médecin, un publicitaire et un écrivain - étaient venus débattre avec les jeunes participants de la soirée. Le tout entrecoupé de quelques intermèdes musicaux, histoire de sucrer un peu ce "Café nommé plaisir"... Pour relayer le débat, nous avions aussi ouvert sur ce site un forum de discussion sur le plaisir et le bonheur. Tentons un modeste résumé du débat.
Plaisirs du corps, du coeur, de l'esprit : qu'est-ce que le plaisir humain ?
Le plaisir fait-il le bonheur ?
Et tout d'abord, d'où vient donc le plaisir ? Pourquoi la nature a-t-elle créé les plaisirs du corps, ceux de l'alimentation ou de la sexualité, pour ne parler que de ceux-là ? Au premier degré, le plaisir tend à la satisfaction d'un besoin. Le médecin saura même en expliquer les mécanismes physiologiques. Mais il est vrai que chez l'homme, le plaisir va au-delà. Bénévoles des Conversations, Laurence et Etienne égrennent une liste des petits et grands plaisirs humains : "Recevoir une lettre d’amour, déguster un chocolat, faire une surprise à sa meilleure amie, prendre une cigarette après le café, réussir son bac, se découvrir un nouveau talent, étreindre l’être aimé, s’étendre au soleil, descendre tout schuss une piste noire…sans tomber !". Dans cette liste à la Prévert, les plaisirs des sens se mêlent aux élans de l'affectivité et de l'intériorité : la joie, l'amour, l'amitié, l'admiration devant la beauté, l'exaltation du dépassement, les satisfactions de l'esprit et de l'intelligence... Souvent, remarquons-le, le plaisir naît de la relation, de l'échange. Il est parfois, tout simplement, plaisir de faire plaisir à l'autre (faire une surprise à sa meilleure amie). En fait, le plaisir peut colorer tout ce qui est humain : corps, sensations, émotions, sentiments, pensées, élans de l'âme.



Plaisir et bonheur : faut-il les associer, les opposer ?
Le plaisir fait-il le bonheur ?
"Qui n’a jamais senti son cœur vivre, s’emballer ?"disent Laurence et Etienne. Qui n’a jamais senti jaillir le rire ou les larmes lors d’un moment magique, euphorique ?" Oui, le plaisir n'est pas si terre à terre que cela. Des moments de plaisir ont le goût du bonheur, alors, faut-il nécessairement les associer ou au contraire les opposer ?
"Est-il possible de séparer absolument ces deux notions? estime Magali, étudiante en philo sur notre forum. Que serait un bonheur dans une absence de plaisir? Que serait le plaisir seul, entouré de néant ou de tristesses, déceptions, horreurs ? Mais quel rapport auraient-ils alors? Le plaisir serait le moyen d'atteindre le bonheur, qui serait le but ultime ? Une hiérarchie est-elle possible ou souhaitable entre plaisir et bonheur? Ou bien sont-ils deux facettes d'un bien plus grand encore? L'amour par exemple?
Car il semblerait que seul l'homme soit être de plaisir et de bonheur. Bonheur et plaisir ont-ils donc lien avec la raison ? l'esprit ? l'affectivité ? la conscience ? Avec, alors, la liberté ?"

Le plaisir passe, le bonheur dure
Le plaisir fait-il le bonheur ?
Toujours sur notre forum, Puki est plus catégorique sur la façon de hierarchiser plaisir et bonheur : "Le plaisir est passager. Le bonheur dure dans le temps, affirme-t-il. Le plaisir est un bref moment où le corps exulte, le bonheur est un état calme et serein, de paix intérieure et de fécondité. Loin de moi l'idée de condamner le plaisir. Le plaisir est bon. S'il est fait pour quelque chose de bien. Le plaisir de manger est bon, il nous permet de survivre. Le plaisir sexuel est bon, il nous permet de mieux nous aimer et de donner la vie. Le plaisir de boire un coup est bon, il nous permet de fêter l'amitié autour d'une table ou sur un zinc. Là le plaisir donne le bonheur, parce qu'il est moyen, et non fin. Mais le plaisir est sale, lorsqu'il s'agit de se piquer seul dans son coin. Lorsqu'il s'agit de tirer son coup et puis c'est tout. De se la coller au point d'en être égoïste d'ivresse (et accessoirement de salir la moquette). Il est mauvais lorsqu'on le recherche pour lui même, lorsqu'on ne veut que lui. Et c'est là où il rend malheureux, où on en devient l'esclave. Objet, non plus sujet. Ainsi, le plaisir est un tremplin vers le bonheur, si on sait que le bonheur n'est pas le plaisir lui-même."

Comment gérer le plaisir pour qu'il reste plaisir ?
Le plaisir fait-il le bonheur ?
Après l'avoir salué, voilà donc le plaisir mis en accusation. Ou plutôt placé sous surveillance, considéré comme un séducteur dont il faut se méfier et qu'il faudra apprivoiser puis dompter. "Le plaisir, par définition agréable, nous amène parfois à en vouloir toujours plus, remarque Laurence et Etienne. Mais jusqu'où peut-on aller dans la recherche du plaisir ? A quel moment cette quête nous prive-t-elle de nos libertés et nous rend dépendants jusqu’à nous écoeurer ou nous faire souffrir ? Paul Valery nous dit que "le plaisir extrême est proche de la douleur". Combien de petits plaisirs peuvent se transformer en vice ou en addiction ?"
Il semble donc bien que le plaisir soit à "gérer", à canaliser, et que la recherche unique des plaisirs ne puisse être le seul horizon de notre vie. Dans l'Antiquité, le fameux Epicure enseignait, lui, que le plaisir est ce qui procure le bonheur. Pour les épicuriens, tout plaisir est un bien, et toute douleur un mal.
Il faut toutefois sélectionner les plaisirs et les peines que nous devons goûter et ceux que nous devons écarter. Pour le sage épicurien, il est donc possible d’atteindre le bonheur, mais à condition de ne pas rechercher n'importe quels plaisirs et de nous livrer à un calcul pour prendre en compte seulement ceux qui nous rendent véritablement heureux. Inversement une douleur peut être utile pour obtenir un plus grand bien, qui alors n’aura que plus de valeur. Si Epicure revenait sur terre au 21ème siècle, peut-être serait-il partisan de douces soirées amicales sans alcool, d'une sexualité responsable et de festins 100% diététiques.



Des plaisirs fabriqués... pour nous faire plaisir
Le plaisir fait-il le bonheur ?
Lors du "café essentiel" aux Bains Douches, les participants du débat ont encore adressé au plaisir une dernière critique. Les plaisirs qui nous sont offerts (ou vendus) aujourd'hui auraient la fâcheuse habitude d'être calibrés sur mesure, fabriqués, emballés, présentés et merchandisés pour nous plaire. La société de consommation aurait industrialisé les moindres jouissances, au point de nous imposer une nouvelle "dictature du plaisir". C'est ce qui a intéressé Emmanuel, 22 ans, qui a assisté à la conversation du "Café nommé plaisir" : "Je me suis rendu compte que la notion de plaisir est complexe car étroitement liée à la société dans laquelle nous vivons. Ainsi, nous avons une société très consumériste, où le plaisir résonne donc avec des bonheurs matériels, palpables". Le publicitaire présent parmi les invités n'a pas manqué d'illustrer cette mise en scène du désir consumériste : pour certains cela passera par la possession d’une belle automobile, pour d’autres il s’agira de déguster un yaourt de marque, ou encore d’utiliser un shampoing décrit comme miraculeux qui procurera une jouissance. Et où est la jouissance ? Dans le fantasme d’acquérir, ou dans l’acquisition même ?

La liberté du plaisir fait-elle la liberté de l'être ?
Le plaisir fait-il le bonheur ?
A nouveau, la réflexion sur les plaisirs "fabriqués" voire "imposés", par la publicité, les modèles sociaux, les modes, nous ramènent à la question de la liberté. Où est notre liberté si c'est la société, les autres, qui nous dictent la façon dont nous devons jouir de la vie ? Et le "droit au plaisir" revendiqué depuis 1968 nous rend-il si libres que cela ? "Tout d'un coup on a pu penser que dans les années 70 on était rentré dans un époque où le plaisir, la jouissance était donc librement admise, disait le romancier Pascal Bruckner. Et ce qui s'est passé de manière tout à fait étonnante : l'interdit n'a pas été évacué, il s'est déplacé. là où il était prohibé de jouir, nous sommes désormais contraints de le faire. ... Bien sûr c'est beaucoup mieux d'être dans un époque de tolérance où la liberté du plaisir est admise pour tous, hommes et femmes, mais je ne suis pas certain pour autant que nous soyons rentrés dans un ère de permissivité totale puisque, au contraire, le plaisir est devenu à lui même son propre juge...." Si le plaisir ne peut être lui-même son propre juge, qui sera le vrai juge de son bonheur sinon chaque être, sujet de sa liberté et de ses actes ?

ET SI LE BONHEUR ÉTAIT IMPOSSIBLE A L'HOMME ?

Bonheur = état qui dure toujours, état de repos. Or : ne sommes-nous pas incapables de rester sans rien faire, dans un état de repos total?

Ennui. "Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme, l'ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le desespoir".



Présupposé : les hommes seraient heureux s'ils savaient rester tranquilles chez eux, d'autant plus quand ils ont " tout pour être heureux ", qu'ils n'ont plus besoin de rien.

Or, constat : les hommes ne restent jamais tranquilles chez eux même s'ils ont tout ce qu'il leur faut et qu'ils ne devraient dès lors plus rien rechercher. Ils sont sans cesse occupés, agités, et leur agitation est cause de tracas, et même souvent de malheurs.

Cause du malheur des hommes = vient donc du fait que les hommes ne restent jamais tranquilles chez eux.

Raison ultime de cette cause : c'est la condition humaine qui explique cette cause. L'homme est mortel et misérable (pensée religieuse = cf. péché originel). Et nous ne supportons pas de ne rien faire parce que nous sommes alors renvoyés à notre misère. L'homme face à face avec lui-même prend conscience de son malheur essentiel, dans l'expérience de l'ennui (Texte 2). C'est pour y échapper qu'il se jette dans l'agitation. Ainsi, si nous travaillons, si nous faisons la guerre, etc., ce n'est pas pour y rechercher la peine du labeur, ni les dangers de la guerre, mais ce que nous recherchons, c'est l'oubli de notre malheureuse condition.

Définition du divertissement = Pascal englobe sous ce terme toutes nos activités, du jeu au métier, en passant par la guerre, en tant qu'elles nous permettent d'oublier notre misérable condition ; comportement qui consiste à se détourner de soi-même, non pour être heureux mais pour ne pas avoir à penser à sa condition malheureuse.

Conclusion : l'homme est ainsi fait qu'il aspire au repos mais ne peut s'en satisfaire. Bonheur = désir vain qui me constitue et me tourmente à la fois. Ainsi, ce à quoi on peut aspirer, ce n'est pas au bonheur, mais à l'oubli du malheur. Autrement dit, tout se passe comme si l'homme n'était pas fait pour être heureux, comme si sa tendance universelle au bonheur n'avait pas d'objet.


II EPICURE, LETTRE A MENECEE : L'ATARAXIE - LE BONHEUR EST POSSIBLE A L'HOMME

Il s'agit dans cette lettre de conseils pour parvenir au bonheur. Plus précisément, de chercher un bonheur qui soit à la portée de l'homme.

Pour cela, redéfinition (négative et plus modeste) du bonheur : le bonheur consiste non pas à être entièrement satisfait mais à ne pas être en situation de manque, à ne pas souffrir, à ne pas être troublé.

(Ataraxie = tranquillité, au sens d'absence de troubles, de l'âme et du corps).

Si on ne veut pas souffrir, ne pas être en situation de manque, alors, il faut éviter toutes les situations qui pourraient nous faire souffrir et nous faire ressentir un manque. Ie, faire tout ce qu'on peut pour ne pas avoir d'occasions d'être insatisfait.

Pour Epicure, cela est possible : il vous suffit de ne pas avoir trop de désirs, et surtout, de ne pas avoir de désirs impossibles ou difficiles à satisfaire-cf. trois sortes de désirs :

1) désirs naturels et nécessaires : boire quand on a soif (apporteraient une douleur réelle s'ils n'étaient pas satisfaits, car si vous avez soif, c'est que votre corps a besoin d'eau pour vivre = présupposé : naturel = bon = valeur)

2) désirs naturels mais non nécessaires : boire du vin, boire du vin en abondance, manger des plats compliqués. Ne sont pas vraiment causes de douleur si on ne les satisfait pas. Ne pas boire de vin, ce n'est pas grave; l'eau suffit très bien. Vous ne devez donc pas les désirer ou attendre qu'ils vous rendent heureux. Pas nécessaires, donc, pourquoi se compliquer la vie pour rien? Ensuite, peuvent être cause d'insatisfaction (mal au foie).

3) désirs vains : ne désirez jamais la pluie et le beau temps, car ça, vous n'y pouvez rien; ne désirez pas les choses impossibles, elles vous gâcheraient trop l'existence car sont de l'ordre de l'incertain

Bref : désirez seulement le strict nécessaire (du pain, de l'eau), ainsi, vous n'aurez aucun risque de souffrir, de ressentir de la douleur. En d'autres termes, ne désirez pas autre chose que ce qui est nécessaire à la tranquillité de votre corps et de votre âme. Sachez vous contenter de peu, désirez seulement ce qui ne peut vous manquer, pour ne pas souffrir. Ne désirant que ce que vous pouvez obtenir, vous ne manquerez pas d'obtenir ce que vous désirez!

Le bonheur est donc possible en cette vie parce qu'il consiste dans une attitude de votre esprit, donc de vous-mêmes, à l'égard des événements extérieurs.. Le bonheur, c'est dire oui au monde et à la vie, désirer le réel pour ce qu'il est, l'accepter, s'en réjouir, au lieu de le refuser et de désirer l'impossible (sagesse = supporter, accepter, aimer)

Note : on dit souvent que pour Epicure, le bonheur s'identifie au plaisir (= hédonisme).-Mais il faut préciser qu'Epicure fait une distinction entre deux sortes de plaisirs : 1) le plaisir en mouvement (boire quand on a soif) ; 2) le plaisir au repos, stable (ne pas avoir soif, ne pas être inquiet, etc.) : il désigne donc l'état d'apaisement de tout l'être.

Si donc Epicure soutient que le plaisir est le but de la vie et donc le souverain bien, le bonheur, il veut dire que le bonheur ne consiste pas dans tous les plaisirs, mais dans le plaisir en repos.

Différence notable avec Socrate (cf. cours bonheur et plaisir) : le plaisir n'est pas seulement un accompagnement du bonheur mais il est le bonheur.

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