Les quelque 250 000 télégrammes diplomatiques récupérés par WikiLeaks auprès du département d'Etat à Washington et des ambassades américaines révèlent les coulisses de la diplomatie mondiale ainsi que quelques commentaires peu amènes à l'égard des dirigeants de la planète. Pour le quotidien britannique The Guardian, l'un des cinq à avoir eu accès aux documents avec The New York Times, Le Monde, El Pais et Der Spiegel, "la fuite des câbles américains déclenche une crise diplomatique mondiale". Tour d'horizon des révélations de WikiLeaks en quelques phrases-clés.
* Iran : il faut "couper la tête du serpent"
Les câbles diplomatiques révèlent en particulier la peur suscitée par le programme nucléaire iranien dans le monde arabe. L'Arabie saoudite a ainsi explicitement appelé Washington à attaquer l'Iran. "On ne peut pas faire confiance aux Iraniens", a assuré en mars 2009 le roi Abdallah Ben Abdelaziz Al-Saoud devant le conseiller de la Maison Blanche pour l'antiterrorisme, John Brennan. Le roi invite même des diplomates américains à "couper la tête du serpent" et avertit que "si l'Iran parvenait à développer des armes nucléaires, tout le monde, dans la région, ferait de même".
La méfiance de Riyad trouve un écho chez le roi de Bahreïn ("Ce programme doit être stoppé"), l'émir du Qatar ("Ils nous mentent et nous leur mentons") ou encore le prince héritier d'Abou Dhabi, qui évoque même l'intervention de "troupes au sol" contre les sites iraniens. Le président de l'Egypte, Hosni Moubarak, éprouve de son côté "une haine viscérale pour la République islamique", selon un diplomate basé au Caire.
* Berlusconi-Poutine : des cadeaux "somptueux"
Des diplomates américains à Rome décrivent une relation extraordinairement proche entre le premier ministre italien et son homologue russe. Des "cadeaux somptueux", des contrats énergétiques lucratifs et des échanges "mystérieux", voilà comment Berlusconi "apparaît de plus en plus comme le porte-parole de Poutine en Europe", résument ces diplomates, selon des documents publiés par le New York Times.
Silvio Berlusconi est d'ailleurs décrit en des termes guère élogieux par un diplomate américain de haut rang : "irresponsable, imbu de lui-même et inefficace en tant que dirigeant européen moderne". Un autre câble le décrit comme "faible physiquement et politiquement" et affirme que ses habitudes de faire la fête jusqu'au bout de la nuit l'empêchent de récupérer.
* La Russie, un "Etat mafieux" dirigé par "Batman et Robin"
Certaines notes dressent un tableau très sombre de la Russie et de ses dirigeants. Le secrétaire à la défense, Robert Gates, considère ainsi que "la démocratie russe a disparu" et que "le gouvernement est une oligarchie dirigée par les services de sécurité". Une autre note juge que la Russie est quasiment devenue "un Etat mafieux".
Une note datée de 2008 met en avant le rôle crucial que jouent en Russie le chef du FSB (sécurité intérieure), celui du SVR (renseignement extérieur) et le ministre de l'intérieur. Ces trois hommes "représentent la ligne dure pragmatique qui partage la vision du monde soviétique, faite de xénophobie et de défiance à l'égard de l'Ouest" et "sont alliés à différentes structures du crime organisé".
Le président russe, Dmitri Medvedev, est quant à lui comparé par l'ambassade américaine à "Robin", le jeune comparse de "Batman", qui serait lui "joué par Poutine". Une comparaison qui a fait réagir en Russie : "Les Américains qualifient le président russe Dmitri Medvedev de falot et hésitant et le premier ministre Vladimir Poutine de mâle dominant", s'insurge ainsi le quotidien russe Kommersant.
* Sarkozy, "susceptible et autoritaire"
Les documents diplomatiques publiés par WikiLeaks n'épargnent aucun des grands de ce monde. L'ambassade des Etats-Unis qualifie ainsi le président français de "susceptible et autoritaire", et souligne les manières abruptes qu'adopterait le dirigeant français avec ses collaborateurs. Côté allemand, Angela Merkel "a peur du risque et fait rarement preuve d'imagination", rapporte Der Spiegel.
* Le premier ministre turc "hait" Israël
Recep Tayyip Erdogan "hait tout simplement Israël", écrivent des diplomates américains à Ankara, en commentant sa virulente réaction à l'offensive israélienne contre Gaza en 2008/2009. Ces diplomates indiquent soutenir la thèse de l'ambassadeur d'Israël à Ankara, selon laquelle les virulentes déclarations anti-israéliennes du chef du gouvernement turc sont avant tout "émotionnelles, car il est un islamiste", rapporte un câble diplomatique.
* Le frère de Karzaï, "un trafiquant de drogue"
Des diplomates américains considèrent Ahmed Wali Karzaï, frère du président afghan Hamid Karzaï, comme "largement corrompu et impliqué dans le trafic de drogue" dans le sud du pays, des accusations lancées régulièrement ces dernières années par les services de renseignement et les médias américains à propos du chef du conseil provincial de Kandahar.
"Cette rencontre avec Ahmed Wali Karzaï souligne l'un de nos principaux défis en Afghanistan : comment lutter contre la corruption et établir un lien entre la population et son gouvernement, lorsque les principaux responsables du gouvernement sont corrompus", indique un de ces documents rédigé à la suite d'une rencontre à Kandahar entre le frère du président et un émissaire américain. Le président afghan est lui décrit comme "extrêmement faible" et enclin à se laisser convaincre par des théories du complot.
* Kadhafi, l'uranium et la "blonde voluptueuse"
Certains échanges diplomatiques dressent un portrait des plus pittoresques du dirigeant libyen, jugé "excentrique" et "hypocondriaque". Lors d'une visite à New York en septembre 2009 à l'occasion de l'assemblée générale des Nations unies, Mouammar Kadhafi, âgé de 67 ans à l'époque, était accompagné quasi-constamment d'une "infirmière ukrainienne", Galina Kolotnitska, décrite comme une "blonde voluptueuse". "Certains contacts de l'ambassade assurent que Kadhafi et Kolotnitska, 38 ans, entretiennent une relation", selon un câble, qui précise que Kadhafi est "presque de manière obsessive dépendant d'un petit noyau de personnes de confiance".
Réticent à l'idée de gravir plus de 35 marches, le leader refuserait d'habiter au-delà du premier étage d'un immeuble. "Sa détestation des longs-courriers, et son apparente crainte de survoler l'eau a causé des casse-tête logistiques à son personnel", précise en outre un câble diplomatique du département d'Etat.
Lors de cette visite, le leader libyen s'était vu refuser l'autorisation de planter sa tente à New York et de visiter le site de "Ground Zero", lieu des attentats du 11-Septembre. Fort mécontent de l'accueil qui lui avait été réservé, le chef d'Etat libyen avait en représailles menacé de ne pas respecter sa promesse de renvoyer en Russie de l'uranium enrichi que son pays possédait.
* David Cameron "manque de profondeur"
Le premier ministre britannique est également épinglé. David Cameron, au pouvoir depuis mai, et son ministre des finances, George Osborne, sont décrits comme "manquant de profondeur" par le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mervyn King, dans une conversation avec l'ambassadeur américain à Londres, rapporte The Daily Express.
Par ailleurs, The Daily Express et le tabloïd The Sun sont convaincus que le membre de la famille royale évoqué dans les documents est le prince Andrew, deuxième fils de la reine Elizabeth II, accusé d'être "malpoli" dans ses déplacements hors de la Grande-Bretagne.
* Pour Paris, "Chavez est fou"
Quelques savoureux aspects de la diplomatie française sont aussi dévoilés. Le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, Jean-David Lévitte, aurait ainsi fait observer au sous-secrétaire d'Etat américain Philip Gordon "que le président vénézuélien Hugo Chavez est 'fou' et a dit que même le Brésil ne pouvait plus le soutenir". Il a ajouté que le président vénézuélien est en train de transformer son pays en un "autre Zimbabwe". Les câbles synthétisant les échanges entre Paris et Washington évoquent des sujets aussi divers que l'Iran, le Kosovo, la Turquie ou encore la Russie.
* Pékin a "piraté" Google
Les Etats-Unis ont la conviction que les autorités chinoises sont à l'origine du piratage informatique de Google et d'Etats occidentaux. Un document provenant de l'ambassade des Etats-Unis à Pékin cite "une source chinoise" selon laquelle le régime communiste a joué un rôle dans le piratage du géant américain de l'Internet, rapporte le New York Times.
"Le piratage de Google s'inscrivait dans le cadre d'une campagne de sabotage informatique organisée par des fonctionnaires, des experts privés des questions de sécurité et des pirates de l'Internet recrutés par le gouvernement chinois", selon le câble. Les services chinois auraient également pénétré les réseaux informatiques des Etats-Unis et de leurs alliés de même que ceux du dalaï-lama, ajoute le journal. Des offensives de pirates informatiques originaires de Chine ont été évoquées par le passé aux Etats-Unis, mais Washington s'est jusqu'à présent gardé de dénoncer publiquement le régime de Pékin.
* Espionnage : les diplomates et la "collecte de renseignements"
On le voit, Washington s'intéresse de très près aux petits travers et à la vie privée des grands de ce monde. Une curiosité qui a poussé les Etats-Unis a exiger de leurs diplomates qu'ils jouent davantage un rôle d'espion, en obtenant par exemple le numéro des cartes de crédit de responsables étrangers. Parmi les câbles révélés par WikiLeaks figurent en effet plusieurs missives adressées à des ambassades, dans lesquelles Washington réclame des missions généralement associées au travail de la CIA.
Une directive secrète signée en juillet 2009 par la secrétaire d'Etat Hillary Clinton réclame ainsi des détails techniques sur les réseaux de communication utilisés par des responsables des Nations unies : mots de passe et codes secrets. Mais les requêtes de Washington ne s'arrêtent pas là. Les diplomates américains sont également susceptibles de fournir numéros de carte bancaire, adresses électroniques, numéros de téléphone et même des numéros de carte de fidélité auprès de compagnies aériennes des fonctionnaires de l'ONU. Le Guardian précise que la directive demande encore des renseignements au sujet "du style de travail et de prise de décision" du secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon.
Le Monde.fr
Au fait mais c'est quoi Wikileaks ?
WikiLeaks est un site Web de ressource et d'analyse politique et sociétale, à la fois ouvert et sécurisé, dont la raison d'être est de donner une audience aux fuites d'information en provenance notamment « des régimes d'oppression en Asie, aux États-Unis, dans l'ancien bloc soviétique, en Afrique et au Moyen-Orient » tout en protégeant ses sources. Le site se veut également une aide pour « ceux qui, en Occident, veulent porter à la connaissance de tous les comportements non éthiques de leur gouvernement ou de grandes entreprises ».
Le site a été créé en décembre 2006 et dans l'année qui a suivi, il a ajouté 1,2 million de documents à sa base de données grâce à une communauté d'internautes, composée de dissidents chinois, iraniens, des mathématiciens et des technologues d'entreprises Internet des États-Unis, de Taïwan, d’Europe, d’Australie et d’Afrique du Sud et de nombreux anonymes.
Les réactions que suscite le site sont contrastées. Certaines de ses publications déclenchent de violentes polémiques et des intimidations au plus haut niveau (infra). Le site a également dû faire face à quelques problèmes techniques et financiers (infra) qui menacent son existence même mais son action est également défendue par certains, comme le Parti pirate suédois qui, à l'été 2010, a proposé d'héberger gracieusement WikiLeaks.
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