Le business de la charité en Afrique a toujours eu ses détracteurs. Voyez par exemple l'admirable Dark Star Safari de Paul Theroux. L'écrivain voyageur ne cesse de brocarder ceux qu'il appelle « les agents de vertu » - parce qu'ils sont arrogants, qu'ils vivent comme des satrapes, et qu'au mieux ils ne servent pas à grand-chose…
Dambisa Moyo pousse le bouchon carrément plus loin : non seulement l'aide internationale n'a guère montré son utilité en Afrique, mais c'est probablement la véritable responsable de la stagnation, voire de la régression du continent.
La thèse en fait n'est pas nouvelle : on l’a déjà trouvée vigoureusement exprimée sous la plume de spécialistes du développement comme Paul Collier (The Bottom Billion Why the Poorest Countries are Failing and What Can Be Done About It), William Easterly (The White Man's Burden: Why the West's Efforts to Aid the Rest Have Done So Much Ill and So Little Good) Peter Bauer (Dissent on Development), ou encore l’historien anglais Niall Ferguson. On pourrait même remonter jusqu'à Dickens, qui dans Bleak House a fait le portrait hilarant et tragique à la fois d'une Mrs Jellyby, qui sacrifie sa vie et son foyer pour la promotion d'un projet africain totalement fumeux qui finira en débâcle.
La différence réside cette fois-ci dans la légitimité irrécusable de l’auteur. D'abord il s'agit d'une jeune et ravissante zambienne, avec un CV magistral (Oxford, Harvard, la Banque Mondiale, Goldman Sachs). Ensuite, la thèse est puissamment étayée. Dambisa Moyo démontre point par point l'implacable corrélation qui unit l’aide internationale à la corruption, aux conflits politiques ou ethniques, à l'inflation, et surtout à l’annihilation de toute forme d'esprit d'entreprise. Non seulement une (grande) partie de l’aide a été détournée, mais en plus cet argent a enclenché un cercle vicieux . Il a permis aux gouvernements corrompus de se maintenir au pouvoir, tout en empêchant l'émergence d'un État de droit, ce qui a découragé les investissements privés, donc bridé la croissance économique, donc augmenté la pauvreté. Et de fait, considérez ces quelques chiffres : l’aide internationale pour l’Afrique - 300 milliards de dollars depuis 1970, ou encore une contribution de plus de 1000$ par habitant de la planète depuis 1940 - représente en moyenne 13% du PNB des pays africains. Pourtant, probablement au moins 50 % des montants versés ont été exfiltrés vers des comptes bancaires hors d'Afrique ; et la pauvreté en Afrique a doublé plus que doublé en 20 ans, alors qu’elle a diminué ou disparu dans tous les pays du tiers-monde (notamment en Asie) qui se sont dépris de l'aide internationale. C’est le cas de la Corée du Sud et du Ghana. Même chose en ce qui concerne l'espérance de vie, le taux d'alphabétisation, ou les autres indicateurs socio-économiques : à chaque fois l'Afrique, qui est de loin le principal récipiendaire d'aide internationale, montre une régression alors que le progrès est presque partout ailleurs la règle.
Ah ! disent les bons esprits ; mais c'est par ce que les institutions démocratiques ne sont pas encore au point en Afrique. Erreur : il y a certes un lien entre croissance économique et démocratie, mais la causalité fonctionne dans l'autre sens : c'est en fait la croissance qui promeut la démocratie et non l'inverse. Alors que propose donc Mlle Moyo ? À vrai dire rien de fulgurant : un mixte de recettes éprouvées : soumettre toute aide à des « conditionnalités » clairement précisées, encourager l'investissement privé, notamment par le biais de la micro finance, développer les marchés financiers locaux, lutter contre la corruption par tous les moyens, etc. Curieusement, elle oppose aussi la naïveté intéressée des fonctionnaires qui distribuent l'aide internationale à l’attitude pragmatique et « business » des chinois. Ceux-ci ont déjà investi plus de 100 milliards de dollars en Afrique, sans beaucoup se préoccuper de considérations morales, sociales, ou écologiques ; mais ils font tourner des usines qui génèrent des salaires et des exportations. Et surtout, Mlle Moyo recommande que la communauté internationale envoie un message clair aux Africains : les flux d'argent se tariront un jour ou l'autre - préparez-vous dès maintenant !
Et c'est un message qui est plutôt bien reçu en Afrique. Beaucoup de journalistes africains l'ont repris – par exemple l’ougandais Charles Onyango-Obbo dans The East African (« Oui, l'Aide va mourir, et moi-même je ne me sens pas trop bien ! »). On pourrait appeler cela l’approche Plan Marshall, ou, pour rester dans l'actualité, plan de relance : un peu d’aide pour doper l'économie, mais surtout pas trop, par crainte d'accoutumance.
Dans le récit de sa traversée de l'Afrique, Paul Theroux évoque une mésaventure dans le désert soudanais. Il se fait agresser verbalement par un paysan en mal d'irrigation : « Vas dire à Bush qu'il nous offre une pompe ! ». Et Theroux de se faire cette réflexion : « Non, ce n'est pas une bonne idée. Il faudrait leur fournir aussi de l'essence, des pièces détachées, des techniciens. Et puis fatalement le truc finirait par lâcher un jour. Il vaut mieux qu'ils creusent eux-mêmes un nouveau puits ». A moins que les Chinois ne s'en chargent.
Dead Aid, de Dambisa Moyo, Allen Lane, récemment traduit en français sous le titre L'aide Fatale chez JC Lattès
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