Monday, November 08, 2010

Malaises chroniques dans nos universités

A l’université d’Antananarivo, la tension est montée d’un cran. Ce jour, à Ankatso, les professeurs membres du SECES (syndicat des enseignants-chercheurs) vont de nouveau débrayer, au grand dam des enseignants et étudiants qui veulent reprendre les cours. Rappelons que l’origine de cette grève est le non-paiement par l’Etat des indemnités de recherche dévolues aux professeurs qui se chiffrent à 800 000 ariary (4 millions fmg) par mois. Quant à leurs salaires mensuels, pas de problème jusqu’ici.

Les grèves, le SECES, depuis sa création, est rompu à l’exercice. Mais le fait que ces agitations interviennent dans le cadre de la campagne référendaire, suscite diverses réactions, pas toujours à l’avantage de ce syndicat. Néanmoins, on peut comprendre les grévistes du SECES car, contrairement au SMM (syndicat des magistrats de Madagascar) qui a arrêté dernièrement leur mouvement de grève à l’issue d’une rencontre avec la ministre de la Justice, son homologue au gouvernement, chargé de l’Enseignement supérieur, refuse par contre toute négociation… Ce n’est pas cette partie de bras de fer entre le SECES et le ministre Tongavelo qui va reluire l’image - déjà ternie – de l’Université malgache.

Une Université qui a été, dans un passé récent, quelque peu négligée car les tenants du régime de l’époque voulaient favoriser la mise en place des établissements censés former des jeunes ouvriers spécialisés, et à terme, mettre sur le marché du travail une main d’œuvre qualifiée et bon marché… Le sort d’Ankatso était alors le cadet de leurs soucis. Dans cette transition justement, nombre de corporations profitent pour relancer des revendications salariales, ce qui est, certes, légitime, vu la crise économique, toutefois on ne peut s’empêcher de penser, à tort ou à raison, que, quelque part, des forces politiques tirent les ficelles. Et quand l’Université, au travers le SECES, bouge l’Etat s’inquiète… Aujourd’hui, la donne a changé, puisque les finances de l’Etat sont à marée basse : les caisses sont vides.

Depuis l’indépendance de Madagascar, des MILLIERS de milliards de fmg ont été octroyés à l’Université, mais un demi-siècle plus tard, l’île nage encore dans la pauvreté, dans le sous-développement intellectuel. Il faut le dire, parce que c’est vrai. La lacune est peut-être ceci : l’enseignement supérieur ne s’est pas doté d’un département « Recherche et Développement », comme dans certains pays d’Afrique. Ainsi, à titre d’exemple, au Ghana, des enseignants-chercheurs ont réussi, entre autres, à améliorer la culture du cacao ; au Nigeria, des chercheurs ont contribué à préserver l’environnement… Et en Inde ou en Chine, des universitaires travaillent constamment (24 heures sur 24, SVP !) sur les hautes technologies. A Madagascar, outre que les chercheurs n’ont pas les moyens financiers nécessaires afin de s’adonner à des travaux utiles à la société, ils se considèrent encore comme des fonctionnaires, au sens primaire du terme.

Pour illustrer ce triste cas malgache, nous publions ci-dessous un article d’un confrère sénégalais Abdoulaye Tao, intitulé « Universités africaines : toujours à la recherche d’un second souffle » qui résume assez bien les maux qui rongent l’Université en Afrique et évidemment à Madagascar. Un triste constat.

« A Dakar, par l’entregent de médias d’Afrique, enseignants, décideurs et étudiants ont tenté de faire un bilan des 50 années d’indépendances et surtout de s’interroger sur ce qu’il y a lieu de faire pour construire l’Afrique de demain.

Il s’agit aujourd’hui de savoir de quelle Afrique nous rêvons pour demain et de se donner les moyens de la réaliser.

Dans le contexte actuel, est–il possible que ces temples du savoir puissent remplir cette mission : l’émergence d’une Afrique moderne et prospère ? Le doute est permis parce que bien des dirigeants africains continuent d’agir malgré leurs belles promesses comme si l’éducation n’était pas la colonne vertébrale de tout développement. De son moule devraient sortir les bâtisseurs de cette Afrique tant rêvée. Le temps est au bilan, cinquantenaire oblige. Et quand on a le courage de le faire, l’avenir est plutôt couvert de nuages sombres. Notamment parce que nos universités ont perdu leur âme. Elles ne sont plus aussi attractives qu’avant la période 90 (…).

Depuis les années 90, les universités africaines sont saturées, avec généralement des infrastructures vieillissantes et délabrées et peu d’enseignants. C’était d’une certaine façon la fin de l’Université providence où tout nouvel étudiant était systématiquement boursier avec des chances d’avoir une bourse étrangère afin de poursuivre ses études. Hélas, depuis un certain moment, les universités sont devenues des centres de production de chômeurs, de loubards quelquefois manipulés qui, pour un oui ou pour un non, sont prêts à se rentrer dedans pour le compte de partis politiques.

Le débat intellectuel a fui les campus depuis belle lurette. Les conditions d’études sont devenues précaires, la qualité n’y est plus vraiment et ceux qui y sont ne se pressent pas toujours d’en sortir de peur d’affronter la réalité : le chômage. Le système est bloqué et l’Etat, dans une ultime tentative de se racheter, ouvre de nouvelles universités pour gérer la forte demande. Malheureusement, elles sont la duplication parfaite des tares des anciennes universités. Le privé appelé à la rescousse tente tant bien que mal de jouer sa partition en essayant de suppléer le désengagement de l’Etat vis-à-vis de ses responsabilités. Mais là aussi, force est de reconnaître que les étudiants qui y vont sont des privilégiés parce que les frais de scolarité sont souvent l’équivalent du salaire moyen annuel des fonctionnaires. Mais puisqu’il faut que des cadres se forment d’une façon ou d’une autre, l’éducation à deux vitesses est devenue une réalité.

C’est dans ce contexte également que l’on tente le basculement vers le système LMD, plus exigeant en termes de suivi et d’évaluation des apprenants ainsi que des enseignants. La volonté des Etats de s’y engager avec l’appui de leurs partenaires est réelle. C’est une belle opportunité de relancer l’enseignement supérieur dans l’espace francophone surtout, lui donner une seconde chance, un second souffle. L’Université doit vraiment être utile à l’Etat et à la société et pour y arriver, son mode de financement devrait forcement être revu et renforcé au vu des attentes énormes. »

Franck RAHARISON

No comments: