Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers, ancien secrétaire d'Etat aux affaires européennes .
Que pensez-vous de l'offensive du chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, pour faire aboutir le projet de taxation des transactions financières en Europe, la fameuse taxe Tobin ?
C'est une bonne idée sur le fond, et en premier lieu d'un point de vue moral. Les transactions financières contribuent à alimenter le marché et à créer de la liquidité. Mais il n'y a jamais eu autant de décalage entre ces transactions, dont une part importante s'effectue désormais en trading haute fréquence [35 % des échanges sur les marchés européens sont faits par des automates, en quelques microsecondes] et ce qu'elles apportent à l'économie.
Ensuite, selon le principe qui prévaut en matière de fiscalité, il faut prendre l'argent là où il se trouve. Or, l'argent se trouve aujourd'hui sur les marchés. Un bon moyen d'appréhender ces transactions dématérialisées et offshore est de les taxer. Elles offrent une assiette opportune pour une nouvelle taxe.
Comment conviendrait-il d'employer le produit d'une telle taxe ?
Cette taxe financière pourrait tout à fait alimenter le budget européen, et contribuer, par exemple, très utilement au financement du fonds de secours européen aux pays en difficultés, le Fonds européen de stabilité financière, qui cherche des ressources. On peut aussi imaginer d'autres emplois, comme le financement d'actions de développement, mais cela me semble plus éloigné de son objet.
Si elle voyait le jour, une telle taxe suppléerait à l'absence de TVA dans le secteur financier. J'ai cependant des doutes sur sa capacité à réduire la volatilité sur les marchés. Son taux serait trop faible.
La France a-t-elle raison de forcer l'allure et de vouloir mettre cette taxe en place seule, en cas de blocage de la part de ses partenaires européens ?
Non, cette taxe n'a de sens que dans un cadre européen. La faire seul et a minima ne rime à rien. Gérard Mestrallet, le président d'Europlace, a raison quand il met en garde contre une délocalisation des flux financiers à Londres ou à Bruxelles. Au cours des années passées, la France n'a eu de cesse de ramener à Paris les obligations émises au Luxembourg. La taxe sur les transactions financières peut faire sens sur une base régionale, dès lors qu'il existe un bassin financier avec une masse critique d'échanges.
Un autre grand principe en matière de fiscalité est de disposer d'une masse critique suffisante, faute de quoi on ne peut gagner contre les marchés. Le projet de taxe défendu par M. Sarkozy est lancé à des fins électorales. Une taxe isolée serait à la régulation financière ce qu'Euromed fut à l'Union pour la Méditerranée… Un échec !
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