Des voitures en feu après l'un des attentats revendiqués par Boko Haram contre l'Eglise catholique de Madalla non loin de la capitale fédérale Abuja, le 25 décembre dernier.
Les attentats visant la population chrétienne se succèdent au Nigeria. Des hommes armés ont tué dix-sept personnes dans le nord-est du pays, vendredi 6 janvier. La tuerie a eu lieu lors des funerailles des cinq personnes tuées, jeudi, lors d'une attaque contre une église.
Elles interviennent juste après l'expiration d'un ultimatum fixé par un porte-parole de la secte islamiste Boko Haram aux chrétiens pour qu'ils quittent le Nord majoritairement musulman du pays. Benjamin Augé, chercheur associé au programme Afrique de l'Institut français des relations internationales (IFRI), analyse les raisons politiques, économiques et religieuses de ce regain de violences.
Pourquoi les violences religieuses ressurgissent au Nigeria ?
Il y a plusieurs raisons. En premier lieu, une évidente radicalisation de l'islam dans le nord du pays. Certains Etats du Nord ont en effet adopté officiellement la charia entre 1999 et 2001, mais dans les faits celle-ci n'est pas appliquée aussi strictement que les islamistes le voudraient. Il y a donc des revendications religieuses. Mais il faut souligner par ailleurs que le président actuel, Goodluck Jonathan (président depuis mai 2010 après la mort du président Umaru Yar'Adua et élu en avril 2011), est chrétien et vient de la région du Delta où se trouvent les principales régions pétrolières.
C'est une première dans l'histoire de ce pays où le pétrole est la principale ressource financière (en 2010, il a rapporté 60 milliards de dollars au gouvernement d'Abuja). Sur la part de ces revenus qui reviennent à l'Etat fédéral, 13 % sont redistribués aux neuf Etats pétroliers. Pour le reste, c'est l'état fédéral qui décide des répartitions. Or historiquement, le Nord a toujours été déshérité, il y a donc une forte demande de rééquilibrage économique qui est instrumentalisé par un noyau d'extrémistes religieux.
En outre, les militants du Sud qui ont lutté, armes à la main, via le Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND) à partir de 2006 contre l'Etat fédéral, ont obtenu des contreparties. 26 000 d'entre eux bénéficient grâce à la loi d'amnistie de 2009 d'un revenu mensuel de 400 dollars et d'un accès privilégié à des formations professionnelles. Cela a renforcé encore un peu plus le sentiment d'injustice chez les nordistes. Boko Haram applique en fait une stratégie miroir en semant la terreur, comme le MEND l'a fait, pour rééquilibrer la situation économique du pays. Un chemin que les militants du Sud refusent catégoriquement.
Cela signifie-t-il que Boko Haram rencontre une forte audience dans le Nord ?
Dans les pratiques violentes du mouvement, non. Si les chrétiens sont principalement visés, des musulmans sont également victimes des attentats aveugles. Mais la secte croît sur le terreau d'une situation économique défavorable. Même si les leaders mettent en avant le conflit religieux, ils peuvent aisément fédérer leurs militants sur cette question de pauvreté et d'abandon d'Abuja. Boko Haram fait tout pour qu'il y ait un début de guerre civile et pousser Goodluck Jonathan à négocier une nouvelle répartition des revenus de l'Etat principalement basés sur le pétrole.
Par ailleurs, le président a pris la décision début janvier de supprimer les subventions des prix du carburant. Une mesure très impopulaire qui a fait passer les prix à la pompe de 30 à 90 centimes de dollar le litre. Dans le contexte actuel, c'est le pire moment pour lancer cette réforme très probablement soufflée par la Banque mondiale.
Certains assurent que des hommes politiques du Nord soutiennent Boko Haram. Est-ce crédible ?
Oui, c'est très probable qu'une partie des élites du Nord financent, soutiennent ou à minima ne condamnent pas cette violence terroriste. Certains membres du Parti démocratique populaire (PDP), le parti des trois derniers présidents, ne souhaitaient pas voir Goodluck Jonathan, lui-même membre du PDP, accéder à la présidence. Cela tient à une raison historique qui veut que traditionnellement le poste soit attribué alternativement à une personnalité politique du Nord puis du Sud. Or Jonathan, du Sud, est arrivé au pouvoir à la faveur du décès de Yar'Adua, du Nord, qui n'a donc pas pu finir son mandat. Certains au sein du PDP ont estimé que la présidence devait donc revenir à un homme politique du Nord.
Quelles peuvent être les clés d'une sortie de crise ?
Pour Jonathan, il s'agirait d'entrer dans des négociations directes avec Boko Haram. Le gouvernement a envoyé ses forces spéciales, la Joint Task Force, pour mater la secte islamiste. La réponse du pouvoir a été elle aussi très violente. Mais c'est une façon de vouloir résoudre le problème uniquement par la voie militaire. Jonathan peut par ailleurs compter sur le soutien d'un certain nombre de pays occidentaux comme la France ou les Etats-Unis. Il a été mieux élu que ses prédécesseurs et a beaucoup contribué au départ de l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, ce qui lui confère une grande légitimité aux yeux des Occidentaux.
Qu'en est-il des liens de Boko Haram avec d'autres groupes islamistes radicaux ?
Il est pour l'instant très difficile d'établir la réalité des liens de Boko Haram avec Al-Qaida au Maghreb islamique ou les shebabs en Somalie. Si ces violences m'apparaissent avant tout comme relevant de problèmes politiques et économiques nationaux, les Etats-Unis par exemple envisagent le cas de Boko Haram principalement comme un mouvement terroriste à tendance religieuse et à visées régionales. Le dernier rapport du Congrès (en pdf) sur la secte rendu public en décembre et décrivant Boko Haram comme une menace émergente pour les intérêts du Nigeria et des Américains montre bien cette inquiétude.
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