Saturday, December 03, 2011

Face aux dettes de leurs parents, de plus en plus de Français renoncent à hériter

Le nombre de refus de succession a augmenté de 33,5 % entre 2004 et 2010.



C'est une démarche qui se fait par un simple formulaire administratif. Un acte enregistré dans les tribunaux de grande instance (TGI) qui raconte la France en crise, les fins de mois difficiles, et les petites retraites. En guise de bas de laine, les héritiers découvrent de plus en plus souvent, au moment du décès d'un proche, des dettes, arriérés de loyer ou de charges, factures impayées, remboursements de prêts à la consommation, frais hospitaliers... Faute de biens à vendre, et tenus d'honorer les ardoises de leurs parents, ils n'ont pas d'autre solution que de renoncer à la succession.

Selon les chiffres du ministère de la justice, arrêtés au 31 décembre 2010, le nombre de refus d'héritage est passé, entre 2004 et 2010, de 50 031 à 67 249, soit une augmentation de 33,5 %. Cette tendance à la hausse s'accélère en 2011, année qui pourrait bien être record en la matière.

A Nancy, Romaric Pierre, greffier en chef, a fait ses comptes. "Mi-novembre, j'en suis déjà à 801 dossiers. Je vais au moins égaler et plus probablement exploser mon année record de 2009 (894 actes). J'ai déjà une avance de près d'une vingtaine de dossiers !", calcule-t-il.

Dans le Jura, les deux TGI de Lons-le-Saunier et de Dole vont dépasser les 500 demandes de 2010. Au 15 novembre, le compteur comptabilisait déjà 607 actes. Même tendance à Marseille, où les 1 140 dossiers de 2010 devraient être largement dépassés. A Lyon, Limoges, Bobigny, Toulouse ou Laon... même constat. "Dans 90 % des cas, les raisons du renoncement sont dues à des dettes", poursuit Romaric Pierre, greffier à Nancy. Des considérations personnelles ou familiales peuvent aussi pousser à refuser un héritage, mais elles sont marginales. "Même si l'héritier n'est pas obligé de motiver son refus, nous percevons bien, en discutant avec les familles, que derrière tout ça, il y a la misère du monde", analyse M. Pierre, qui voit chaque jour des proches pousser la porte de son tribunal, dont le ressort couvre 450 communes.

La cherté de la vie, le poids grandissant des charges fixes (logement, énergie...) grèvent de plus en plus les budgets familiaux. Pour boucler leurs fins de mois, les actifs mais aussi les retraités contractent des emprunts.

Selon la dernière enquête de la Banque de France, parue en mars, les plus de 55 ans représentaient en 2010 23 % des surendettés, contre 13 % en 2001. Ils pourraient atteindre 32 % en 2012. "Près de la moitié des seniors criblés de dettes sont propriétaires et perdront leurs biens d'ici à 2013", précise Jean-Louis Kiehl, président de la fédération Cresus (chambre régionale du surendettement social), un réseau associatif qui aide les ménages surendettés.

Les plus âgés sont aussi les plus exposés aux crédits renouvelables, ces crédits à la consommation accordés facilement par des organismes financiers. 84 % des endettés de plus de 65 ans et plus y auraient eu recours, contre 72 % en moyenne, selon une étude de Crésus d'octobre 2011. "Pour faire des économies, les gens ne prennent pas toujours les assurances décès ou invalidité, qui sont facultatives sur les crédits à la consommation, explique Laurent Périllaud, notaire à Ruffec, en Charente. A leur mort, les crédits courent toujours et les héritiers doivent rembourser."

ENTRE 20 000 ET 60 000 EUROS DE DETTES EN MOYENNE

Le passif d'une succession peut être important. "Jusqu'à 300 000 euros, mais c'est exceptionnel", convient Joël Fauré, adjoint administratif au tribunal de grande instance de Toulouse. "L'ardoise moyenne tourne entre 20 000 et 60 000 euros", précise-t-il. Lui aussi s'attend en 2011 à une année record. En 2010, il avait enregistré 1 086 dossiers. Fin novembre, il en était déjà à 1 200. "A ce rythme, je vais atteindre 1 500 dossiers à la fin de l'année", estime M. Fauré.

La fonte des patrimoines est aussi liée au vieillissement de la population. En Picardie, Dominique Pierre, greffier en chef au TGI de Laon (Aisne), parle de "phénomène structurel". "Notre juridiction, qui recouvre un territoire de 210 000 habitants, est implantée dans un département rural, pauvre et à la démographie vieillissante, explique M. Pierre. Le retraité type, ici, c'est un ouvrier agricole, qui au mieux possède un bien immobilier qui dépasse rarement les 120 000 euros."

"Pour faire face aux frais liés au placement dans une maison de retraite ou médicalisée, les familles sont obligées de vendre leur maison. Quand la personne décède, soit il n'y a plus d'héritage, soit il y a des dettes", précise le greffier qui, depuis 2007, voit régulièrement augmenter la courbe des renonciations : 442 en 2010 et déjà 413 fin novembre 2011.

Beaucoup d'héritiers n'attendent pas l'inventaire de la succession pour prendre leur décision. "Si le défunt n'est pas propriétaire, a un compte en banque très peu garni, pas de mobilier de valeur, une petite retraite ou un salaire faible, il y a des chances pour que le passif soit supérieur à l'actif", explique Jérôme Schreiber, notaire à Dettwiller, une petite commune du Bas-Rhin.

En cas de doute, mieux vaut être vigilant, car des dettes insoupçonnées peuvent apparaître. Les cautions, une aide sociale comme l'aide à l'hébergement des personnes âgées, versée par le département et récupérable au décès de l'allocataire, peuvent être des bombes financières à retardement. En droit, l'héritier dispose de quatre mois pour établir un état des lieux de la succession et le transmettre au greffe. Il a par ailleurs un délai de prescription de dix ans pour accepter ou refuser l'héritage.

En cas de renonciation, la succession est alors dite vacante. A charge pour les services fiscaux d'essayer de récupérer quelques maigres actifs pour payer les créanciers. Mais, finalement, ceux-ci en sont en général pour leurs frais.

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