C'est un peu le contre-Shanghaï. Tandis que tous les ans, la livraison en août du classement de l'université Jiao Tong met cruellement le doigt sur les faiblesses des universités françaises, le palmarès du Financial Times du 5 décembre, également annuel (mais paraissant en décembre), souligne, lui, le leadership européen des écoles de management tricolores. On ne peut pas perdre sur tous les tableaux.
Dans l'édition 2011 du célèbre quotidien économique britannique, HEC s'arroge pour la sixième année consécutive la première place. Quatre autres françaises figurent dans les vingt premières (Insead, Essec, ESCP Europe et EM Lyon). Sur 75 écoles du classement, 18 sont françaises. Seul le Royaume-Uni fait mieux, avec 21 établissements. Sur ce créneau de formation, les Français ont développé un vrai savoir-faire.
Le master en management. C'est le premier atout. Le "programme grande école" en cinq ans des établissements français, rendu internationalement visible grâce à l'harmonisation européenne des diplômes et le master, est un modèle qui fait ses preuves. A l'instar de Panoramix et sa potion magique, les écoles françaises ont inventé une formule pédagogique dont le secret réside dans un dosage subtil de multiples éléments.
Formation générale et théorique, le cursus fait cependant la part belle à la pratique. Des liens étroits ont été noués avec les entreprises, qui permettent non seulement d'associer les praticiens à la formation mais également de développer les expériences sur le terrain.
Les écoles de management ont considérablement développé l'accompagnement des étudiants pour les mener pas à pas vers l'emploi. "Leur excellente professionnalisation est l'un de nos meilleurs atouts", constate Bernard Belletante, président du Chapitre des écoles de management, qui réunit les 38 plus grandes écoles de management françaises. "La culture générale permet aux étudiants de posséder un socle très large sur lequel "poser" les compétences techniques, poursuit-il. Les entreprises ne demandent pas que des techniciens, mais des cadres capables de prendre des décisions dans un univers instable."
Ce programme est la quintessence de l'excellence à la française. "L'élitisme du système éducatif français y est vraiment payant", constate le Britannique George Yip, doyen émérite de la Rotterdam Business School, aujourd'hui professeur de management à la China Europe International Business School de Shanghaï.
Un bon "écosystème". Les écoles de management ont joui d'un environnement particulièrement favorable à leur développement. S'il lâche beaucoup d'élèves en rase campagne, le système éducatif français sait très bien former d'excellents lycéens - les enquêtes PISA de l'OCDE le montrent, étude après étude. Et les écoles de commerce en récupèrent la meilleure part, passée par l'écrémeuse des meilleurs lycées et des classes préparatoires les plus exigeantes. "La qualité des élèves est incontestablement un atout", reconnaît Bernard Ramanantsoa, directeur général d'HEC.
Ces étudiants jouissent, grâce à leur famille, d'une "forte capacité contributive", comme le souligne Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne. Même si les écoles françaises restent relativement peu chères, comparées aux américaines, elles trouvent là des moyens de financer leur développement, lesquels s'ajoutent aux fonds accordés jusqu'à présent par les chambres de commerce.
Autre élément de cet écosystème fertile, les entreprises du CAC 40, repaires d'anciens et fidèles recruteuses des diplômés des grandes écoles. Enfin, celles-ci sont "indépendantes de toute université, relève George Yip, ce qui leur permet de se concentrer sur le management sans être distraites par les attentes de l'université de tutelle".
L'internationalisation. Les Anglo-Saxons ont une longue tradition d'internationalisation de l'enseignement supérieur. "Depuis 1945, les Etats-Unis ont formé 600 000 Saoudiens", rappelle M. Bigorgne.
La France, elle, s'y est mise plus tardivement, mais avec une grande efficacité. Comme le constate Eric Cornuel, directeur général de la Fondation européenne pour le développement du management, à Bruxelles, qui délivre l'Equis, une accréditation réputée, "les écoles ont rapidement internationalisé leurs programmes, organisé des échanges, des cours en anglais, engagé des professeurs étrangers". Or, dans un contexte d'économie globalisée, cette évolution est vitale pour les établissements.
Et demain ? La suprématie française est-elle pérenne ? "Leur leadership est bien affirmé, estime M. Cornuel. Je ne vois pas ce qui pourrait changer cela à court terme." Le succès du master fait des émules. "D'autres arrivent sur le marché, constate Patrick Molle, directeur d'EM Lyon. Les Suisses, les Italiens, les Britanniques s'y mettent." La London Business School, ulcérée d'avoir dû céder sa place dans le classement à HEC, est en embuscade. Son master sera classé par le Financial Times en 2012 et la britannique espère regagner le terrain perdu.
Par ailleurs, prévient M. Yip, les écoles asiatiques apparaissent comme de puissantes rivales, elles qui bénéficient d'"un cercle de croissance économique vertueux" propice à leur montée en régime. Parallèlement, le modèle économique des écoles françaises montre des signes de faiblesse. Le financement par la taxe d'apprentissage ou les chambres de commerce est menacé. "Si on veut maintenir l'excellence du modèle français, il faut travailler sur son financement. C'est un facteur-clé de son succès dans le futur", met en garde M. Belletante.
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