Mercredi 30 novembre, deux millions de personnes vont protester contre la réforme des retraites et des réformes - ici, une grève à Londres le 7 septembre 2010.
Londres Correspondance - Pour la première fois de sa vie, Margaret Palmer va faire grève, mercredi 30 novembre. Mais c'est la mort dans l'âme : à 44 ans, cette spécialiste des soins psychologiques pour les enfants, qui travaille dans une clinique de Londres, n'a rien d'une militante. Elle estime cependant que l'heure est grave : "L'ensemble du secteur public subit une attaque majeure. Le gouvernement tente de faire retomber sur nous les conséquences de la crise financière, qui est pourtant la faute des banquiers."
Le 30 novembre, elle ne sera pas la seule à descendre dans la rue pour la première fois. Trente syndicats, essentiellement de la fonction publique, ont voté la grève. Environ deux millions de personnes sont attendues, ce qui en fera le plus grand mouvement social depuis janvier 1979, quand "l'hiver du mécontentement" avait immobilisé le Royaume-Uni. Pour certains syndicats, la décision est historique : celui des directeurs d'école appelle à la grève pour la première fois de son histoire de 114 ans. Une grande partie des écoles seront fermées. Les douanes appelant également à arrêter le travail, le chaos est attendu dans les aéroports.
L'ampleur de la colère est donc inédite depuis une génération. L'explication vient de la réforme des retraites de la fonction publique. Le gouvernement négocie depuis neuf mois un changement radical : les salariés devront augmenter de 50 % leur contribution (qui passe de 6 % de leur salaire à 9 %) ; ils toucheront une pension plus faible, basée sur la moyenne des salaires plutôt que sur les dernières années ; et l'âge de la retraite, qui s'étale actuellement entre 60 et 65 ans, va être augmenté à 65 ans pour tous en 2018, puis 66 ans dès 2020 et progressivement jusqu'à 68 ans d'ici une trentaine d'années.
Jane Wilson, une collègue de Mme Palmer, a calculé qu'elle allait devoir contribuer d'environ 100 euros supplémentaires chaque mois pour toucher 100 euros de moins par mois quand elle sera à la retraite : "Cette réforme est idéologique et politique."
Le gouvernement réplique que l'allongement de la durée de vie rend ces changements indispensables. De plus, il souligne que les retraites dans le secteur privé sont nettement moins généreuses : celles-ci fonctionnent sur la base de fonds de pension, dont la valeur s'est effondrée avec les différentes crises boursières.
La colère de la fonction publique britannique va cependant bien au-delà des retraites. Le vaste plan d'austérité lancé par le gouvernement, en vigueur depuis le début de l'année, se fait sentir très fortement. Rien qu'au premier semestre, 150 000 emplois du service public ont été supprimés, sur un total de six millions. Les collectivités locales sont les plus touchées, le gouvernement réduisant les transferts vers elles d'un quart en cinq ans.
A Kaleidoscope, le centre de soins psychologiques pour mineurs du sud-ouest de Londres où travaille Mme Palmer, le budget a été réduit de 25 % cette année. Une dizaine d'emplois sur cinquante ont été supprimés. La conséquence sur la qualité des soins se fait sentir. En particulier, l'attente pour recevoir les enfants pour leur première visite est passée de trois à quatre mois en moyenne. "Le moral est très bas actuellement, estime Mme Palmer. Pendant longtemps, travailler dans la fonction publique apportait une garantie de l'emploi. Ce n'est plus le cas. Les retraites étaient le dernier avantage qu'on avait."
A la mairie de Westminster, à Londres, Jo, une assistante sociale, raconte la même histoire. Elle aussi fait grève pour la première fois de sa vie. "Dans quelques semaines, on va perdre 20 % de nos effectifs. Concrètement, ça veut dire que je vais moins rendre visite aux gens dont je m'occupe, que je ne vais pas avoir le temps de bien les connaître. C'est pour eux que je me bats. "
Si la colère est profonde, les syndicats prennent cependant un important risque avec cette grande grève. Le secteur privé ne suit pas le mouvement : les transports - gérés par des entreprises privées - fonctionneront presque partout pendant la mobilisation, par exemple. "Les syndicats n'ont pas réussi à faire passer le message que la bataille pour leur retraite était dans l'intérêt de tous", estime Paul Marginson, spécialiste des questions sociales à l'université de Warwick.
Pour l'instant, les Britanniques semblent solidaires : 61 % disent soutenir la grève, selon un sondage de la BBC. Mais dans un pays où les mouvements sociaux sont très rares depuis les années Thatcher, cette attitude est très fragile. L'opposition travailliste ne s'y trompe pas et ne sera pas dans les manifestations. Les grévistes eux-mêmes ne savent pas s'il s'agit du début d'un long mouvement social ou d'une action sans lendemain. "Cela va être une journée-clé, estime Mark Perry, un collègue de Mme Palmer. La grève peut galvaniser les énergies et lancer une vague de manifestations. Mais beaucoup de nos collègues disent qu'ils ne sont pas prêts à se mobiliser plus d'une journée. C'est sur cette faiblesse que compte le gouvernement."
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