Saturday, March 05, 2011

Après l’attentat de Masay :une tête tombe à la Présidence


Le responsable de la sécurité présidentielle fait les frais de l'attentat de jeudi soir. La Présidence n'écarte pas un éventuel dessous politique .
Une première tête tombe. La présidence de la Haute autorité de la transition (HAT) met à l'écart le colonel Claude Razafimahatratra, directeur de la sécurité présidentielle (DSP), à la suite de l'explosion d'un engin durant le passage du convoi présidentiel au marais Masay jeudi.
La décision a été officialisée par un communiqué de la présidence de la HAT dans la soirée. Le colonel Claude Razafimahatratra est remplacé à son poste par le colonel Julien Ravelonjanahary, ancien commandant du Groupe de sécurité d'intervention spéciale (GSIS), annoncé comme un spécialiste de la lutte contre le terrorisme de toutes formes, 24 heures après les faits.
La direction de la communication à la Présidence n'a pas donné de détails expliquant le remplacement, mais l'initiative devait avoir un lien avec les événements au marais Masay. En revanche, elle va au-delà de la décision interne pour laisser entendre des possibles dessous politiques derrière les événements.
Dans un de ses communiqués, la Présidence établit une « succession d'actes de déstabilisation » sur les événements de ces dernières semaines. Elle évoque, entre autres, la conférence de presse de l'ancien président Albert Zafy le 3 février, l'arrestation d'une personne armée, le vrai-faux retour de l'ancien président Marc Ravalomanana le 19 février et la déclaration d'Albert Zafy le 2 mars selon laquelle ce dernier avait annoncé son intention de mettre en place une transition-bis.
L'énumération des faits se termine par l'« attentat à l'explosif » contre la voiture présidentielle le 3 mars. « Il appartient aux enquêteurs d’établir si oui ou non, ce dernier fait présente des liens, directs ou indirects, avec ceux relatés plus haut », conclut le communiqué. De leur côté, les enquêteurs se montrent discrets et se cantonnent à évoquer des faits constatés et le début des investigations.
Série de condamnations
Dans le milieu politique, la série de condamnations fuse de toutes parts. Les membres du Conseil supérieur de la transition (CST) dirigé par le général Dolin Rasolosoa, en passant par les chefs de parti proches du régime, mais également les membres des mouvances des trois anciens Présidents, à l'instar de Ange Andrianarisoa, chef de délégation de la mouvance Ratsiraka, se sont tous empressés de s'exprimer pour désapprouver l'événement du marais Masay. Les grands responsables des Forces armées autour des généraux André Ndriarijaona et Bruno Razafindrakoto, respectivement chef d'état-major général de l'armée et commandant de la gendarmerie, ont promis de traquer les auteurs de l'acte.
L'explosion touchant la voiture présidentielle intervient au moment où Leonardo Simao, représentant de l'équipe de médiation de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) annonce « une version définitive et finale » de la feuille de route « dans les prochains jours ». L'événement risque de mettre de l'huile sur le feu après les surenchères lancées par les partis pro-régime, lançant un ultimatum pour la signature de la feuille de route dans sa forme actuelle d'ici le 8 mars, en parallèle à l'annonce d'Albert Zafy pour la mise sur pied d'une transition-bis, faute de consensus dans la recherche d'une voie de sortie de crise.
Coïncidence ou prémonition, le Groupe international de contact réuni au niveau local avait invité « toutes les parties malgaches concernées à cesser toutes les manœuvres d’intimidation et de déstabilisation » dans son communiqué après la réunion des ambassadeurs dans la journée du jeudi. Il avait également rappelé son « soutien total » aux efforts de médiation de l'équipe de la SADC, tout en lançant un appel aux acteurs politiques à « coopérer de bonne foi avec le Dr Simao pour aboutir à la finalisation urgente de la feuille de route ».

Départ définitif
Le colonel Claude Razafimahatratra, l'ancien directeur de sécurité présidentielle (DSP), n'a pas résisté à l'explosion d'un engin sous la voiture de Andry Rajoelina, président de la Haute autorité de la transition (HAT). Jusqu'ici, cet officier supérieur avait résisté à tous les vents et marées, depuis sa prise de fonction depuis l'accession de Andry Rajoelina à la tête de la transition.
L'officier de la Base aéronavale d'Ivato (BANI) est resté à son poste, même après l'épisode du tir essuyé par la voiture présidentielle en décembre 2009 dont l'enquête se poursuit encore selon le commissaire divisionnaire Marcel Velontsara, directeur de la police judiciaire. Il avait failli être mis à l'écart il y a quelques mois et son remplaçant avait même été présenté à Ambohitsorohitra. Mais pour une raison ou une autre, il est resté à son poste.

Près de 24 heures après l’explosion criminelle qui a frappé, sur le marais Masay, le véhicule d’Andry Rajoelina, l’enquête est sortie du tâtonnement et s’oriente vers les milieux de l’opposition.
Dans la journée d’hier d’ailleurs, diverses personnalités officielles ont pointé le doigt sur les mouvances d’opposition et ont mis l’attentat sur leur dos.

Dans un communiqué, le palais d’Ambohitsorohitra met en relation divers faits et propos des trois mouvances avec l’attentat de jeudi soir. Le plus explicite fut le ministre de l’Aménagement du Territoire et de la Décentralisation, Hajo Andrianainarivelo, qui a mis en cause les belligérants de la crise de 2002, lesquels, selon lui, ont engrangé une expérience dans le maniement des engins explosifs. Il s’agit des mouvances Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana qui se sont livrés en 2002 une lutte sans merci, émaillée de nombreux attentats à l’explosif contre des ponts et des pylônes de lignes électriques.

Les investigations prendront, donc, la piste des militaires et officiers favorables à Didier Ratsiraka et à Marc Ravalomanana, notamment les artificiers qui ont une compétence dans la fabrication et la manipulation des explosifs. En tout cas hier, la direction de l’Armée au grand complet s’est présentée devant la presse pour témoigner de son unité et de sa volonté de faire échec aux tentatives de division. Au premier coup d’œil certainement, elle a su que le dispositif de mise à feu du marais Masay était l’œuvre d’un militaire et elle s’est empressée de prendre les devants…

En tout cas, la technique déployée au marais Masay est bien différente de celle appliquée en 2002. Il y a neuf ans, on usait de bombes « statiques » déposées, par exemple, sous les piliers des ponts. Jeudi dernier, le procédé était plus sophistiqué et n’a jamais été utilisé auparavant : la charge explosive était commandée à distance. Ce qui exigeait un certain savoir-faire, car il fallait faire coïncider l’explosion et le passage de la cible. Comme on s’en rend compte, la formule du marais Masay était un palier supplémentaire après les bombes artisanales de 2009.

La technique de l’explosif télécommandé est mise en œuvre par les combattants islamistes en Irak et en Afghanistan, et provoque une véritable hécatombe chez les soldats des forces internationales. Comme au marais Masay, le procédé consiste à faire exploser une bombe placée sur la chaussée ou au bord de la route au passage d’un véhicule. Si le blindage de la voiture présidentielle a résisté au souffle, c’est probablement car les auteurs de l’attentat ne disposaient pas d’un explosif puissant. En Irak et en Afghanistan, les terroristes usent de charges prélevées sur des mines ou roquettes anti-char et arrivent ainsi à percer ou à désagréger le blindage. On frissonne déjà par avance : le prochain échelon dans les attentats terroristes à l’explosif est la voiture piégée…

On assiste, en tout cas, à une montée en force de la violence dans l’actuel contexte de crise politique et d’intransigeance des camps. Ces attentats témoignent de l’ampleur de la rancœur chez les protagonistes. Il importe de réunir autour d’une table les parties en conflit, ne serait-ce que pour prendre connaissance de leurs doléances et revendications.

Car si les trois mouvances refusent de signer la feuille de route, on ne sait rien des raisons de cette attitude. Si elles exprimaient clairement leurs desideratas, il est possible de tenter un rapprochement avec l’autre camp. En tout cas, l’enquête du marais Masay n’a en main que peu d’éléments et pourrait ne pas aboutir. On rappellera d’ailleurs que le précédent attentat contre Andry Rajoelina, celui du 3 décembre 2009 à Ambodimita, reste un mystère jusqu’à maintenant, même si la police scientifique et des experts en balistique de l’ambassade de France ont été sollicités.

Comment mettre un terme à la violence et à ces déplorables attentats ? En mettant hors d’état de nuire leurs auteurs bien sûr. Mais il serait plus fructueux et plus radical d’amener les camps à se rapprocher, à se réconcilier et à collaborer.

Car dans la vase et la boue du marais Masay, l’enquête a pour vocation de… s’enliser.

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