Friday, June 03, 2011
Les scientifiques traquent la bactérie tueuse
Une culture de la bactérie ECEH étudiée dans un laboratoire de Hambourg, en Allemagne.
L'inquiétude a encore grandi dans le nord de l'Allemagne, foyer de propagation de la bactérie ECEH (Escherichia coli entérohémorragique), où les hôpitaux sont débordés par l'afflux de malades. Le nombre de décès liés à cette bactérie était de dix-huit, vendredi 3 juin au matin, alors que le nombre de cas dépasserait 1500 dans toute l'Europe, selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC).
Les chercheurs ont redoublé d'efforts pour trouver l'origine de la bactérie. Chaque jour, les équipes de l'Institut pour l'hygiène et l'environnement de Hambourg prélèvent environ 80 échantillons d'aliments tant sur les marchés de gros de la région que dans les réfrigérateurs des personnes malades.
"Dans une situation de crise de ce type, la première étape consiste à recenser les malades souffrant de diarrhées sanglantes et du syndrome hémolytique et urémique (SHU), qui sont les symptômes d'une infection sévère par un sous-type entérohémorragique de la bactérie, explique Patrick Fach, chercheur au Laboratoire de sécurité des aliments de Maisons-Alfort (Val-de-Marne), qui dépend de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Des prélèvements cliniques sont alors réalisés dans leurs selles, afin d'isoler la souche bactérienne en cause."
L'identification de cette souche – baptisée O104: H4 –, annoncée il y a plusieurs jours, n'a pas été remise en question depuis lors. Le séquençage de son génome a été annoncé, jeudi, par une équipe chinoise du Beijing Genomics Institute (BGI), en collaboration avec le Centre médical de l'université de Hambourg-Eppendorf. Ce qui devrait permettre de mettre au point prochainement des tests de dépistage plus efficaces, et peut-être d'expliquer son apparente virulence. Le BGI a également mis en évidence la forte résistance aux antibiotiques de la souche.
ENQUÊTE ALIMENTAIRE
Deuxième étape: l'identification de la source de contamination. "L'unique voie de pénétration de la bactérie étant l'ingestion, les patients, quand ils sont en état de l'être, sont soumis à une enquête alimentaire, afin de déterminer les produits qu'ils ont consommés dans la période de sept à dix jours qui représente le temps de latence de la maladie", précise M.Fach.
Des statisticiens attribuent un score à chaque aliment: c'est ainsi que, dès les premières enquêtes alimentaires, le concombre est arrivé en tête des produits suspects, devant la tomate et la salade. Classement qui semble se maintenir, au vu des questionnaires menés ces derniers jours sur les malades nouvellement recensés.
Des légumes crus, donc, mais lesquels? Et de quelle provenance? C'est là que les choses se compliquent. Après la fausse piste de la cucurbitacée ibérique (dans laquelle il n'a finalement pas été trouvé trace de O104: H4), les autorités sanitaires européennes ont effectué – en vain – plus d'un millier de tests. Elles sont revenues au point de départ, et rien ne dit qu'elles puissent trouver rapidement une nouvelle piste.
Et ce, pour au moins deux raisons. La première est que la souche recherchée peut être présente sur les végétaux en très petites quantités, et mélangée avec d'autres souches proches: elle est donc bien plus difficile à détecter que dans les selles des malades, qui la contiennent en grand nombre. La seconde est que la traçabilité des végétaux est extrêmement complexe, et plus encore quand il s'agit de denrées périssables.
"UN ACCIDENT PONCTUEL"
"Les animaux d'élevage, eux, sont bagués ou marqués depuis la pâture, et il est relativement aisé de remonter la filière quand survient un problème sanitaire, dit le docteur François-Xavier Weill, chef de l'unité des bactéries pathogènes entériques à l'Institut Pasteur. Les végétaux, eux, n'ont pas de codes- barres. Et pour cause: ils n'ont jusqu'à présent jamais posé un problème de ce genre, qui représente sans doute un accident ponctuel."
Seule certitude: les E.coli étant des bactéries intestinales, dont le réservoir principal est le tube digestif des ruminants, la contamination n'a pu se faire que par les déjections fécales d'animaux. Reste à savoir où, par quel vecteur (eau, terre, engrais naturel?), et à quel moment de leur transport les légumes ont été souillés.
"On voit bien qu'il se passe quelque chose “entre la ferme et la fourchette”, commente Denis Coulombier, directeur de la cellule d'urgence de l'ECDC. La contamination de ces légumes est donc du ressort des agences de sécurité alimentaire, qui doivent remonter les circuits envisageables. Or ce sont des circuits globalisés: les légumes sont cultivés dans un pays, nettoyés dans un autre, empaquetés dans un troisième…" L'enquête revient alors à chercher une aiguille dans une botte de foin…
Germes de soja
Avec 22 morts en Europe, dont 21 en Allemagne, la bactérie tueuse fait toujours parler d'elle. Après les concombres espagnols, les graines germées de soja ont été mises en cause par les autorités allemandes. Mais les premiers tests sur des graines germées d'une ferme allemande sont négatifs, ont annoncé lundi les autorités sanitaires régionales.
"Pour le moment, la source (de la contamination) n'a pas pu être déterminée. Sur les 40 échantillons prélevés, 23 analyses ont donné des résultats négatifs", a annoncé le ministère de l'agriculture de Basse-Saxe dans un communiqué.
Les analyses se poursuivent sur 17 autres échantillons prélevés dans une exploitation biologique produisant des graines germées à Bienenbüttel, un petit village au sud de Hambourg. Les experts ont examiné la marchandise mais aussi l'eau, le système d'aération ou les étals de l'exploitation, à la recherche de la bactérie E.coli entérohémorragique (ECEH).
On ne peut pas s'attendre à "une fin rapide de la recherche de la source ou à une explication de la contamination", a reconnu le ministère lors d'un point presse. Le ministre allemand de la santé, Daniel Bahr, avait évoqué dimanche soir des "indices clairs" selon lesquels cette entreprise serait la source de l'infection, mais avait mis en garde contre toute conclusion hâtive.
Il a maintenu les conseils aux consommateurs d'éviter tomates, concombres et salades crus, y ajoutant les graines germées et jeunes pousses.
"ÉTONNEMENT"
Le patron de la ferme biologique allemande soupçonnée d'être à l'origine de l'épidémie mortelle a exprimé lundi son étonnement. Klaus Verbeck a affirmé au journal Neue Osnabrücker Zeitung qu'aucun engrais n'était utilisé pour la culture des germes de soja suspects. Il a ajouté qu'aucun animal ne se trouvait sur son exploitation.
En Allemagne, les scientifiques étudient des prélèvements faits sur les personnes contaminées par la bactérie à l'origine de 22 décès en Europe.
En Allemagne, les scientifiques étudient des prélèvements faits sur les personnes contaminées par la bactérie à l'origine de 22 décès en Europe. AFP/BODO MARKS
"METTRE EN ŒUVRE UN SYSTÈME DE VIGILANCE"
Le ministre de la santé français, Xavier Bertrand s'était lui aussi montré prudent. Il avait souligné dimanche soir qu'il n'y avait pas pour le moment "de garantie à 100 %" que les graines germées soient bien à l'origine de l'épidémie.
Lorsqu'un événement de ce type survient, a estimé le ministre, "on doit aussitôt mettre en œuvre un système de vigilance – principe de précaution, diront certains, oui c'est vrai, faut l'assumer –, mais il ne faut pas non plus qu'il y ait d'emballement, d'affolement".
M. Bertrand s'est par ailleurs prononcé en faveur d'"un programme de recherche" sur la bactérie en cause, "pour qu'on ne la voit pas disparaître et réapparaître un jour".
L'épidémie est due à la bactérie Escherichia coli (E.coli) entéro-hémorragique (ECEH) d'un type très rare (E.coli O104 : H4), productrice de toxines s'attaquant aux petits vaisseaux. Sa complication la plus grave est le syndrome hémolytique urémique. Le traitement conventionnel consiste à suppléer les déficiences occasionnées par la toxine (chute des globules rouges, des plaquettes, atteinte rénale) par des transfusions, la dialyse, voire un changement de plasma.
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