18 avril 2012
Tout comme il y a une saison des ouragans aux Caraïbes et aux Etats-Unis, il existe une saison des tempêtes solaires, associée au cycle d'activité de notre étoile, qui grimpe à un maximum tous les onze ans. Le cycle numéro 24 dans lequel nous sommes devrait atteindre son maximum en 2013 selon les prévisions des astronomes. Après trois années (2006 à 2008) de transition très calmes, l'activité solaire monte doucement mais sûrement en puissance, comme le montrent les signaux violents enregistrés au cours des derniers mois. Illustré par la photo qui ouvre ce billet, le dernier événement date du 16 avril. Il s'agit d'une éruption moyenne associée à une grosse protubérance qui finit par éclater comme une bulle de savon et expédie une partie de son contenu dans l'espace.
Cette bulle, plus grosse que la planète géante Jupiter, n'était cependant pas bien méchante. En tout cas moins que l'éjection de masse coronale (EMC) enregistrée au mois de mars, qui a expédié son contenu de particules électriquement chargées droit sur la Terre. Il arrive fréquemment que le Soleil éjecte, lors d'une EMC, plus d'un milliard de tonnes de particules, à des vitesses de plusieurs centaines voire de plusieurs milliers de kilomètres par seconde. Heureusement pour nous, le champ magnétique de notre planète nous protège en déviant en grande partie ce plasma. Mais pas complètement. La magnétosphère n'est pas étanche, les particules peuvent y pénétrer et descendre jusqu'à l'atmosphère où elles provoquent les aurores boréales et australes. Pendant l'événement de mars, la haute atmosphère a ainsi reçu pour 26 milliards de kilowattheures d'énergie, soit l'équivalent de 5 % de l'électricité consommée en France en une année entière ! Une grande partie de cette énergie a été renvoyée vers l'espace et aucun dégât n'a été à déplorer.
Ce n'est pas le cas de toutes les EMC. Ainsi, en mars 1989, trois jours après avoir quitté le Soleil, un énorme nuage de particules vient, comme un puncheur, frapper la magnétosphère terrestre. Des aurores boréales se voient jusqu'au Texas. Et, surtout, des courants électriques induits par l'orage géomagnétique font sauter les uns après les autres les systèmes de sécurité du réseau électrique au Québec, laissant quelque 6 millions de personnes sans courant pendant neuf heures en cette fin d'hiver canadien. L'addition est salée : entre les réparations du réseau électrique, les protections supplémentaires qui y sont apportées et le manque à gagner de l'économie locale, la note s'élève à 2 milliards de dollars. Corollaire de l'incident, les agences spatiales ont perdu temporairement le contact avec des centaines de satellites.
Selon les astronomes, cet événement de 1989 n'est que de la petite bière à côté d'une autre tempête solaire survenue cent trente ans plus tôt. Au début du mois de septembre 1859, des aurores qu'on n'ose plus qualifier de boréales se voient dans les Antilles et jusqu'au Venezuela. A l'époque, les réseaux électriques n'existent pas et il n'y a donc pas de risque de ce côté-là. En revanche, des courants induits parcourent joyeusement les lignes du... télégraphe, faisant jaillir des étincelles aux poteaux et envoyant des décharges électriques à des employés. Les conséquences de cette EMC, au beau milieu du XIXe siècle ont somme toute été limitées. S'il se produisait aujourd'hui, le même phénomène, exceptionnel, aurait des répercussions nettement plus dramatiques. En cent cinquante ans, des réseaux de toutes les sortes se sont construits. Non seulement un tel événement mettrait à bas bien des réseaux électriques pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois, mais il s'attaquerait aussi aux oléoducs et aux gazoducs en accélérant leur oxydation, il détruirait probablement des satellites ainsi que de nombreux composants électroniques de divers appareils et couperait temporairement les communications radio et toute géolocalisation. Ce dernier point n'est pas négligeable car, comme l'a fait remarquer mon confrère du Monde, Yves Eudes, dans un récent article, "les systèmes GPS jouent désormais un rôle essentiel dans de nombreux secteurs d'activités : les transports terrestres, aériens et maritimes, la gestion de conteneurs, le guidage des machines agricoles, les communications électroniques et même les banques, qui se servent des signaux satellites comme d'une horloge universelle pour dater des transactions financières au centième de seconde." Un récent rapport américain estime que, pour les seuls Etats-Unis, un tel tsunami solaire pourrait coûter la bagatelle de 2 000 milliards de dollars, soit l'équivalent de vingt ouragans Katrina. Il faudrait en outre de quatre à dix ans pour tout remettre en ordre.
Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas prêts, explique en substance, dans un commentaire publié ce mercredi 18 avril dans Nature, Mike Hapgood, qui dirige l'unité de recherche sur l'environnement spatial au Rutherford Appleton Laboratory, un grand laboratoire de recherche britannique. Pour ce chercheur, notre dépendance au réseau électrique nous rend plus vulnérables que jamais, parce qu'il n'est pas configuré pour résister à une EMC majeure : "De nombreux systèmes électriques menacés sont conçus pour résister à des événements tels que ceux que l'on a vus au cours des 40 dernières années : il est par exemple désormais requis que les nouveaux transformateurs soient capables de résister aux conditions subies en 1989. Le tremblement de terre et le tsunami japonais de l'année dernière montrent quels dangers il y a à se préparer pour faire face seulement à des événements semblables à ceux des dernières décennies. Au lieu de cela, nous devrions nous préparer pour une tempête spatiale comme on n'en voit qu'une fois tous les mille ans."
De la même manière que, grâce au développement de la météorologie, nous organisons des alertes aux orages, aux tempêtes, aux ouragans, aux crues ou aux avalanches, il faut investir dans la météo spatiale. Cela commence, explique Mike Hapgood, par mieux connaître les risques et les phénomènes. Or, si les données satellitaires d'étude du Soleil sont de plus en plus fournies, elles ne couvrent que la période récente. Des données sur l'ionosphère existent sur 80 ans et celles sur le champ magnétique ont plus de 170 ans. Le hic, c'est qu'elles existent uniquement sur papier... Il faut donc les numériser et Mike Hapgood imagine que l'on pourrait, via le web, répartir cette tâche immense entre de nombreux bénévoles, tout comme le projet Solar Stormwatch demande aux internautes de décortiquer les films des incidents solaires pris par des satellites, en suivant des instructions simples. Autre tâche, qui incombe cette fois à 100 % aux scientifiques : mieux modéliser les EMC, pour comprendre comment elles voyagent dans le milieu interplanétaire et comment elles injectent leur énergie dans l'atmosphère. Pour Mike Hapgood, les modèles existants sont comparables à ceux de la climatologie il y a un demi-siècle. Enfin, et c'est à la fois le plus simple et le plus compliqué (parce que le plus coûteux), il faut renforcer la protection des réseaux et de leurs matériels. Tout simplement parce que notre société est devenue plus vulnérable en se rendant dépendante de ces systèmes. Leurs fragilités sont nos faiblesses.
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