Sunday, February 12, 2012
Quand la science imite la nature
Strasbourg, envoyé spécial - Passer d'un papa manchot qui nourrit son petit sur les terres glacées des îles Crozet, dans la région antarctique, à la découverte d'une molécule aux propriétés antibactériennes et antifongiques dans un laboratoire strasbourgeois, cela s'appelle la biomimétique. L'affaire n'est pas aussi simple et, de l'observation à la découverte, les péripéties sont nombreuses. Mais cette recherche est typique de la discipline, à savoir l'observation de la nature afin d'adapter ses trouvailles techniques ou chimiques à nos contingences humaines.
C'est donc dans la capitale alsacienne, à l'Institut pluridisciplinaire Hubert-Curien (IPHC), que la défensine (une protéine antimicrobienne) du manchot royal a été identifiée. Ici, sur le campus de Cronenbourg, 400 chercheurs de trois laboratoires qui ont fusionné en 2006, représentant trois disciplines différentes (chimie, physique et biologie), travaillent ensemble. "Cette interdisciplinarité est un atout formidable et la condition d'une approche biomimétique, explique Yvon Le Maho, l'un des chercheurs de l'IPHC et ancien directeur du laboratoire de biologie. Il y a moins de contraintes administratives, le biologiste que je suis peut travailler directement avec des chimistes." Dans les couloirs de cet institut, les chercheurs parlent de manchots, d'ours, de cigognes, de blaireaux ou de rats-taupes autant que de molécules, de peptides - des protéines découpées en petits morceaux - ou encore de physique des particules.
Retour aux îles Crozet, où la molécule est, d'une certaine manière, née, et où Yvon Le Maho a fait de nombreux séjours. Quand la femelle manchot part pêcher pour nourrir le futur poussin, le papa prend le relais et couve l'oeuf. Avec le réchauffement climatique, la femelle part de plus en plus loin de la colonie, les 300 à 400 kilomètres sont devenus 500 à 600, et de plus en plus longtemps, de deux à trois semaines. Résultat, elle revient en retard et, durant sept à dix jours, le mâle doit nourrir le nouveau-né avec de la nourriture conservée dans son estomac à une température de 38 °C. Des morceaux de poulpes étaient régurgités entiers. L'étude du contenu stomacal du manchot a permis d'isoler une molécule antimicrobienne, une défensine appelée sphéniscine ou encore AvBD103b.
Celle-ci s'est révélée très efficace contre des souches microbiennes associées à des maladies nosocomiales, notamment des staphylocoques dorés ou Aspergillus fumigatus, responsable de l'aspergillose. "Elle peut aussi devenir très utile dans la conservation des aliments", explique Yvon Le Maho. La découverte de cette défensine est donc d'une grande valeur scientifique... et économique.
Celle-ci fait l'objet d'un nouveau projet déposé, fin décembre 2011, auprès de l'Agence nationale de recherche. Ce travail auquel participe entre autres M. Le Maho doit permettre d'étudier la meilleure façon d'utiliser la sphéniscine. "Un des intérêts majeurs de notre molécule, une de ses spécificités, est de rester très active en milieu salin, détaille Yvon Le Maho. Et on manque justement de ces molécules antibactériennes qui pourraient être utiles pour lutter contre les infections des yeux et, par exemple, protéger les lentilles."
Dans les couloirs de l'IPHC, le manchot royal n'est pas le seul à intéresser les chercheurs. Les ours sont une autre cible. Comment font-ils pour passer l'hiver dans un état léthargique sans se nourrir et ne pas mourir, pour perdre de la graisse et pas des muscles ? La question intéresse la médecine et l'industrie pharmaceutique. Stéphane Blanc, physiologiste à l'IPHC, s'est rendu en Suède durant l'été 2011 pour prélever des cellules dans les tissus musculaires d'une quinzaine d'ours. Il doit y retrouver, durant l'hiver, les plantigrades en semi-hibernation, se rendre dans leurs cavernes et effectuer les mêmes prélèvements sur les mêmes muscles. En parallèle, des hommes ont été mis en restriction calorique et en inactivité à Düsseldorf, en Allemagne.
"On ne sait absolument pas ce que cela va donner, si on isolera une molécule, si on découvrira quelque chose dans cinq, dix ans, si cela sera applicable à l'homme, mais on cherche, énonce Fabrice Bertile, biologiste et chimiste à l'IPHC. Au départ, les entreprises pharmaceutiques peuvent lancer des études sur 1 000 molécules et en abandonner 999 pour une seule molécule intéressante."
Le biomimétisme peut apporter des solutions à moyen terme. Commissaire générale au développement durable, Dominique Dron ne cache pas son intérêt. "Il ne s'agit pas d'affirmer a priori que tout pourrait être produit à partir de processus ou matériaux naturels, à partir de substances intégralement recyclées et sans rejets toxiques, mais de prendre au sérieux les limites de la planète et d'en tirer toute la créativité possible, en transposant ces performances naturelles pour obtenir une production ou un effet à bonne échelle. C'est pourquoi nous nous intéressons à ce sujet dans le cadre d'une économie verte et durable", explique Mme Dron.
Ayant travaillé sur ce dossier pour le Commissariat général au développement durable, Hermine Durand, de l'Ecole normale supérieure, l'illustre : "Les enjeux sont considérables si l'on prend, par exemple, la photosynthèse artificielle. Des plantes convertissent l'énergie chimique issue de la photosynthèse (qui transforme l'énergie solaire en énergie chimique) en énergie électrique. De quoi théoriquement révolutionner la production d'énergie, en se basant sur un processus 100 % naturel."
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