Un accident sur une route de France.
Quel est le rôle de la somnolence dans les accidents de la route ? L'association 40 Millions d'automobilistes, puissant lobby qui revendique 320 000 adhérents, assure qu'elle cause "autant d'accidents que la vitesse". Hors autoroutes et agglomérations, elle aurait entraîné 622 décès, soit 22,52 % des morts sur ce réseau, en 2011. "Les accidents concernés ont eu lieu en ligne droite, précise Laurent Hecquet, son délégué général. Les explications officielles invoquent la vitesse, alors que plus on va vite, plus on serre les mains sur le volant sans dévier de sa trajectoire", observe-t-il.
Le professeur Claude Got, expert en accidentologie, et conseiller de la Ligue contre la violence routière, conteste vigoureusement ces conclusions : "Les défenseurs de l'automobile construisent un raisonnement causal sans avoir de preuve de ce qu'ils avancent, affirme-t-il. En effet, ils reconnaissent qu'ils n'ont pas de renseignement sur la vitesse de circulation avant l'accident, sur l'alcoolémie, sur l'usage éventuel de stupéfiants ou du téléphone, ni sur l'état de vigilance ou d'attention." Selon lui, le lobby surévalue le rôle de la somnolence, pour "exonérer la vitesse de son rôle de facteur commun à tous les accidents, et obtenir que l'on supprime les radars".
Comment évaluer scientifiquement le rôle de la somnolence ? "Elle est difficilement décelable", admet Christophe Perrin, chargé de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (Ifsttar). Toutefois, "certains indices matériels permettent de déduire qu'elle est la cause de l'accident", constate cet expert qui travaille dans l'unité des "mécanismes d'accidents". Il s'agit notamment de la "présence de traces de roulage dans les accotements", de l'"absence de trace de ripage et de freinage sur la chaussée", et du constat d'un "impact direct sur un obstacle, sans manoeuvre d'évitement". Pour les observer, précise M. Perrin, "il faut examiner l'état de la route tout de suite après l'accident". "Et encore, ce n'est pas toujours aisé, car les ABS (anti-blocage système) suppriment souvent les traces de freinage", ajoute-t-il.
Son unité, située à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), se rend sur les lieux de tous les accidents qui surviennent dans un rayon de 15 km, depuis 1992. "Des psychologues recueillent les témoignages de conducteurs dont l'état le permet, qui confient s'être endormis", ajoute-t-il.
Les forces de l'ordre, qui remplissent des procès-verbaux après chaque accident corporel, doivent examiner ces indices matériels. Les bulletins d'analyse, qui codifient ensuite leurs observations, comportent une soixantaine de critères (luminosité, alcoolémie, port ou non de la ceinture...) dont un dénommé "malaise -fatigue", qui doit être coché lorsqu'elles soupçonnent un endormissement.
Selon l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (Onisr), qui fonde ses statistiques sur ces bulletins, le facteur "malaise-fatigue" était, en 2010, la cause de 18 % des accidents mortels sur autoroute, de 15 % des accidents sur route nationale, de 7 % sur départementale et de 3 % sur route communale. Ces accidents étaient plus fréquents le jour que la nuit (22 % le jour sur autoroute, 14 % la nuit, par exemple), la somnolence étant souvent due à une dette de sommeil ou à une conduite postprandiale.
L'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA), qui rassemble les sociétés d'autoroutes concédées à péage, soit 74,5 % de ces voies, estime pour sa part que "la somnolence intervient dans 33 % des accidents mortels" sur son réseau - soit 50 morts sur 153 en 2010. C'est plus que pour l'Onisr (18 %). La différence s'expliquerait par la nature des sources qu'exploitent les soixante analystes sécurité des sociétés d'autoroutes : ils examinent les procès-verbaux des forces de l'ordre, et non les bulletins qui les codifient, jugés réducteurs. "Ces procès-verbaux, qui peuvent comprendre 70 pages, et de nombreuses photographies, détaillent par exemple la journée qui a précédé l'accident", explique Pascal Contremoulins, responsable sécurité routière du groupe Sanef.
En 2007, l'ASFA a conduit une étude auprès de 35 000 abonnés au service de télépéage, sous la direction de Pierre Philip, spécialiste des troubles du sommeil au CHU de Bordeaux. Elle a montré que 11 % avaient eu au moins un "presque accident", ou accident évité de justesse avec sortie de route ou franchissement de ligne, au cours de l'année. Malgré leur fatigue, 30 % des conducteurs ne s'arrêtent pas pour dormir. Un tiers ouvre la fenêtre, 24 % font du bruit ou augmentent le son de la radio. Les autres "résistent"...
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