J'avais besoin d'un exutoire à ma colère", c'est ainsi que Nadège, qui veut rester anonyme, décrit les cours de karaté. Elle les a démarrés quand elle a appris qu'elle avait un cancer du sein en 2010. "Ce sport a été une révélation. Cela m'a permis de prendre l'initiative, d'être actrice de ma santé, plutôt que d'être spectatrice du ballet des soignants. Après le traitement, on a l'impression d'être abandonné, explique cette jeune femme de 37 ans, le fait de pouvoir crier, de faire le fameux kiai ("le cri de combat qui précède ou accompagne l'application d'une technique") soulage."
Le sport est utile en termes de prévention du cancer, mais aussi en cours de traitement. Une note de l'Institut national du cancer (INCa), publiée le 14 février, dresse l'état des connaissances actuelles. Elle indique que l'activité physique est associée à une diminution de 25 % à 30 % de survenue des cancers du sein (surtout après la ménopause), du cancer du côlon et de l'endomètre. Des publications mentionnent l'effet protecteur de l'activité physique pour d'autres cancers (poumon, pancréas, prostate, ovaire), mais "les données sont encore insuffisantes pour en tirer des conclusions", précise l'INCa.
Une conférence s'est tenue sur ce sujet le 1er février, à Paris, lors du 7e Forum francophone de cancérologie, organisée par l'association Cancer, arts martiaux et information (CAMI), créée en 2000 par le docteur Thierry Bouillet, cancérologue au CHU Avicenne, à Bobigny (Seine-Saint-Denis), et Jean-Marc Descotes, professeur de karaté.
Le bénéfice de l'activité physique après le diagnostic du cancer est démontré par de nombreuses études en termes de survie et d'amélioration de la qualité de vie, avec une réduction du risque de mortalité et de récidive. "La pratique d'une activité modérée trois heures par semaine ou d'une activité intense de trois fois vingt minutes par semaine diminue de 30 % le risque de mortalité prématurée", souligne le docteur Thierry Bouillet.
"Les études montrent un "effet dose" : plus on fait de sport, mieux c'est. Souvent, les personnes qui pratiquent une activité sportive ont une alimentation plus saine, fument moins, etc. Ce sont autant de facteurs protecteurs contre la maladie", explique le professeur Martine Duclos, chef du service médecine du sport au CHU de Clermont-Ferrand. "Pendant longtemps, on a dit au patient, "reposez-vous" ; or, le fait de pratiquer une activité physique permet de lutter contre la fatigue", constate le professeur Michel Pavic, de l'hôpital d'instruction des armées Desgenettes à Lyon. Un symptôme qui affecte environ 80 % des patients tout au long de la maladie.
Au-delà des effets prouvés sur la maladie, "la pratique d'un sport amoindrit les symptômes dépressifs, améliore l'image corporelle, permet d'avoir accès, dans la panoplie des traitements, à quelque chose de plaisant, cela peut aussi être rassurant pour les proches en renvoyant une image de normalité", souligne Sarah Dauchy, psycho-oncologue à l'Institut Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne).
"Quand on a un cancer, on en veut à son corps qui a trahi. L'estime de soi que l'on retrouve à travers le sport est fondamentale, j'ai eu le sentiment de m'être réapproprié mon corps, constate Cécile Monthiers, atteinte d'un cancer du sein. Le sport m'a permis de garder l'énergie pour ne pas sombrer."
Des initiatives commencent à se développer. L'association CAMI offre, outre le karaté, de la danse, du tai-chi. Elle a débuté son activité au CHU Avicenne, et est aujourd'hui présente dans une vingtaine de lieux, en ville ou à l'hôpital. D'autres associations, comme la Fédération française d'éducation physique et de gymnastique volontaire (FFEPGV) ou les comités départementaux de la Ligue contre le cancer, sont actifs.
De même, l'Institut Curie, à Paris, en partenariat avec l'association Siel Bleu (Sport, initiative et loisirs) a lancé fin janvier un programme pilote d'activité physique à la fin du traitement. "Lorsqu'on m'a proposé de faire du sport, j'ai été surprise, mais lorsqu'on m'a dit que c'était bénéfique et que cela diminuait le risque de récidive, il n'y avait plus à réfléchir", explique Monique Rocher. Agée de 62 ans, opérée en décembre 2010 d'un cancer du sein, elle a démarré les cours de step à l'Institut Curie. Plusieurs patients mettent en avant l'intérêt des cours collectifs.
"Le sport est important pour être bien dans son corps et dans sa tête, et faire autre chose que de lutter contre la maladie", explique aussi Nathalie Bordas, âgée de 39 ans, suivie à Curie. "Il est généralement admis que les personnes malades ne peuvent pas faire de sport. C'est une erreur, lance le docteur Bouillet.
Mais attention, la pratique du sport pendant et après un traitement doit être encadrée, estiment les soignants. "Il faut être très vigilant. Le patient doit adhérer, avoir le goût pour cette activité physique, et être autonome", estime Jean-Marc Descotes. Un diplôme "sport et cancer" a été créé à l'université Paris-XIII.
Mais dans les faits, combien de médecins parlent de la pratique du sport à leurs patients ? "Oui, il faut bouger, oui, les médecins doivent être des prescripteurs", lance Cécile Monthiers, qui avoue mettre sur son agenda "kiné" et pas "sport", car ce serait considéré comme un luxe.
Les pouvoirs publics sont encore peu sensibilisés à cette question. Selon le docteur Bouillet, "l'Etat devrait faciliter la mise en place d'un réseau avec des associations labellisées, ce qui permettrait en outre d'économiser de lourdes dépenses à l'assurance-maladie".
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