Emma Arbabzadeh, l'appât du "gang des barbares", et Florent Gonçalves, le directeur de la prison dans laquelle elle était incarcérée et avec qui elle a eu une relation, comparaissent, mercredi, devant la justice. Lui, pour avoir remis à la jeune femme des puces téléphoniques et de l'argent. Elle, pour recel. Le Monde republie le récit de cette histoire, paru le 23 avril 2011.
Florent Gonçalves peut désormais se laisser pousser les cheveux. Début janvier, ce Bordelais policé de 41 ans a restitué les clés de la maison d'arrêt de Versailles, qu'il dirigeait depuis mars 2007. Le 1er mars, il a rendu celles de son logement de fonction de 120 m2, à deux pas du château. Par amour pour Emma Arbabzadeh, une détenue de 22 ans.
L'affaire a fait grand bruit. Les policiers du service régional de police judiciaire (SRPJ) de Versailles l'ont interpellé sur son lieu de travail. Ils le soupçonnaient d'avoir introduit dans la maison d'arrêt des femmes (MAF) une puce téléphonique pour communiquer avec Emma Arbabzadeh. Il l'a reconnu en garde à vue le 12 janvier. Mis en examen pour "remise illicite d'objets interdits", il encourt trois ans de prison. L'administration pénitentiaire le soupçonne également de favoritisme envers la jeune détenue et ses cocellulaires. Elle l'a suspendu sans traitement au 1er janvier en attendant le jugement.
Malgré sa position de geôlier en chef et son âge, Florent Gonçalves a été d'emblée présenté comme une victime. "L'appât du gang des barbares fait tomber le directeur de prison", "Sexe en cage", ont titré certains journaux... "En lisant ça, j'ai presque fini par croire qu'Emma m'avait manipulé", dit Florent Gonçalves.
Sa famille, ses collègues et sa hiérarchie ont fait la même analyse. Jolie brune au tour de poitrine généreux, Emma Arbabzadeh incarne en effet une manipulatrice très présentable. En décembre 2010, elle a été condamnée en appel par la cour d'assises des mineurs du Val-de-Marne à neuf ans de prison. En janvier 2006, la jeune fille, alors âgée de 17 ans, avait été enrôlée par Youssouf Fofana, cerveau du "gang des barbares", pour servir d'"appât". Elle a attiré Ilan Halimi dans un traquenard qui allait lui coûter la vie. Elle a ensuite assuré au juge qu'elle n'avait découvert le sort réservé à ce vendeur juif de téléphones mobiles de 23 ans qu'après qu'il eut été retrouvé agonisant le long d'une voie ferrée après vingt-quatre jours de séquestration. Youssouf Fofana a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une période de sûreté de vingt-deux ans pour l'assassinat du jeune homme.
Quand Florent Gonçalves débarque à la maison d'arrêt de Versailles, après avoir passé six ans à celle d'Aurillac, Emma Arbabzadeh est encore incarcérée à Fleury-Mérogis. Il partage sa vie depuis douze ans avec une compagne dont il a une fillette de 6 ans, et il gagne 3 500 euros par mois. Une "délinquante en col blanc" quinquagénaire passée par Versailles se souvient d'un homme "discret, humain et cultivé".
Issu d'un milieu modeste, entré dans la pénitentiaire à 21 ans comme simple surveillant, le commandant Gonçalves est fier de s'être hissé au rang de "plus jeune officier chef d'établissement de France". Avec 75 hommes en semi-liberté et autant de femmes en détention, la maison d'arrêt de Versailles autorise une souplesse conforme à l'idée qu'il se fait de sa mission. "La sécurité passe par la qualité de la relation humaine, explique-t-il. J'ai toujours été attentif aux conditions de vie des personnes qu'on me confiait. L'ennemi n'est pas forcément derrière la grille."
En trois ans, ce directeur atypique fait installer "gratuitement et pour tout le monde" la TNT, des frigos, des fours à micro-ondes et des douches en cellule. Dans un rapport, fin 2008, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) - autorité administrative indépendante - loue sa "gestion de proximité" comme l'ambiance "sereine" de l'établissement.
En septembre 2009, Florent Gonçalves réorganise la "cantine" - qui permet aux détenues d'acheter à l'extérieur des produits améliorant l'ordinaire. Elles bénéficieront sans surcoût des produits d'une grande enseigne de distribution. Transférée à la MAF Versailles en septembre 2007, Emma travaille au "SG", le service général. En blouse et en charlotte, elle assure la distribution des repas et le ménage dans les coursives et les bureaux. Dans toutes les maisons d'arrêt, ces "auxiliaires" jouissent d'une autonomie liée à leur fonction. A Versailles, c'est encore mieux. La tradition, antérieure à l'arrivée de Florent Gonçalves, veut que les "SG" occupent deux cellules donnant sur un espace de liberté supplémentaire où elles communiquent et dînent ensemble. Elles ont aussi accès aux cuisines ou aux lave-linge.
Le directeur de la prison décide de confier les "cantines" à Emma Arbabzadeh. Entre septembre et novembre 2009, il l'initie au logiciel dédié à cette tâche. En tête-à-tête. "La relation a changé à ce moment-là", avoue-t-il. Emma Arbabzadeh l'a "ému", dit-il. Pas la première émotion de sa carrière, mais cette fois l'homme à l'uniforme bleu a "franchi la ligne". "Pas au détriment des autres détenues", jure-t-il. Quand, en décembre 2009, elle lui demande son transfert dans un autre établissement parce qu'elle est "amoureuse" de lui, il confesse la réciproque.
Avant lui et son arrivée dans un univers où la surveillance est essentiellement assurée par des femmes, elle n'a guère croisé d'homme bienveillant. Il pense être "celui qui la connaît le mieux". Emma Arbabzadeh - qui a choisi ce prénom en arrivant en France - lui a "tout dit". De sa naissance en Iran en 1988. De sa soeur aînée, handicapée mentale et moteur. De son père violent que sa mère, mariée de force, a fui. Des attouchements d'un oncle quand elle avait 8 ans. De son arrivée en France en 1999, voilée, dans un foyer de réfugiés. Du viol, en avril 2002, par trois garçons de son collège de Seine-Saint-Denis, auquel la police n'a pas donné foi. Et aussi de la tentative de suicide aux médicaments, du décrochage scolaire et du juge des enfants qui l'a placée en internat pour la protéger. Contre elle-même.
En mars 2006, juste après son incarcération, elle a subi un avortement. En avril et octobre 2006, en février 2007, et à la mi-août 2010, elle a de nouveau attenté à ses jours. "Notre relation l'aide à surmonter ses difficultés psychologiques et j'ai contribué à changer sa vision des hommes", se convainc Florent Gonçalves.
Chaque jour, il tentait d'apercevoir Emma Arbabzadeh. Chaque nuit durant dix mois, elle - qui ne dort pas sans une peluche - s'évadait en conversant avec lui, sous les draps, sur Facebook, grâce à un téléphone introduit par une codétenue. Par le truchement d'une boîte aux lettres prise en ville sous un nom d'emprunt, ils tiraient des plans sur la comète, se déchiraient aussi. Elle signait "ta chipie". Ils ont eu deux relations intimes en dix mois, dans une salle d'informatique. "Emma est une enfant fragile et gentille, témoigne une ancienne voisine de cellule quinquagénaire. Il fallait l'entourer même si sa maman venait au parloir deux fois par semaine."
Emma Arbabzadeh et sa jeunesse cabossée ont aussi retourné un autre homme : Olivier Pinson, 36 ans, surveillant à la MAF et délégué de l'Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP). Le syndicaliste est devenu le confident de la jeune femme, discutant avec elle sur Facebook grâce à une puce téléphonique glissée en cachette. Il lui adresse des lettres signées "Zorro". Jaloux, Florent Gonçalves enjoint à Emma Arbabzadeh de lui révéler leur relation. Et l'affaire s'emballe.
Dans un courrier du 20 avril 2010, l'UFAP alerte Michel Saint-Jean, directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris, sur le "comportement du commandant". En cause, notamment, un rendez-vous privé un peu long avec Emma Arbabzadeh, le 24 décembre 2009... Dans sa réponse du 11 mai 2010, Michel Saint-Jean dédouane Florent Gonçalves, qu'il a cru sur parole.
A l'été 2010, deux détenues écrivent au contrôleur général des lieux de privation de liberté pour dénoncer le favoritisme du directeur envers Emma Arbabzadeh et ses cocellulaires. L'une d'elles assure aujourd'hui avoir été "manipulée par des surveillantes". A l'issue d'une enquête minutieuse menée fin octobre 2010, le CGLPL épingle Florent Gonçalves pour plusieurs "fautes" et précipite l'enquête pénale, qui conduira également à la mise en examen d'Olivier Pinson pour la remise de la deuxième puce.
Florent Gonçalves jure aujourd'hui qu'il n'existait pas de "système", que son "secret" n'a jamais nui à son professionnalisme. Pour "presque 300 euros par mois", Emma Arbabzadeh remplissait "plusieurs tâches" (cantine, buanderie, ménage et distribution des repas), mais ne bénéficiait pas de "deux emplois" comme on le lui reproche, assure-t-il.
Les parloirs supplémentaires ? Ils ont été accordés par le parquet à des membres de la famille iranienne d'Emma Arbabzadeh de passage en France. Le gâteau d'anniversaire acheté à l'extérieur ? Financé par les codétenues, il a été rapporté par une surveillante : une pratique courante. Le colis du ramadan de "15 à 20 kg" ? "Jamais pesé", dit-il, il contenait des boîtes de Kentucky Fried Chicken commandées pour toutes les copines de la jeune femme...
"Emma est une fille généreuse, affirme une ex-détenue de Versailles, âgée de 23 ans. En travaillant aux cantines, elle améliorait la vie de toute la détention, car, sans avouer sa relation avec le directeur, elle se faisait notre porte-parole auprès de lui."
L'instruction en cours interdit aux deux amoureux de communiquer. Mise en examen pour "recel", Emma Arbabzadeh est toujours incarcérée, mais à Fresnes (Val-de-Marne). Selon une codétenue récemment sortie, elle est "sincèrement amoureuse de Florent" et vit pour leurs retrouvailles. Lui vit... sur ses économies en attendant la libération conditionnelle d'Emma Arbabzadeh. Dans quelques mois au plus tôt... "Notre relation ne sera pas un long fleuve tranquille", prédit-il. Il est amateur d'art, passionné par la peinture du XIXe siècle, elle a bâillé le jour où il lui a suggéré de lire une histoire de la Perse...
Patricia Jolly
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