C'est une jolie lucarne temporelle qu'une équipe sino-américaine vient d'ouvrir dans la dernière livraison des Proceedings de l'Académie des sciences des Etats-Unis. Une fenêtre sur la végétation de la Terre telle qu'on pouvait la trouver il y a presque 300 millions d'années, au début du Permien, avant même l'apparition des dinosaures. C'est sur une véritable Pompéi végétale que sont tombés ces chercheurs, au beau milieu d'une mine de charbon chinoise, dans la province autonome de Mongolie intérieure. Pour ceux qui auraient oublié leur histoire romaine, je rappelle qu'en 79 de notre ère, Pompéi et Herculanum furent ensevelies sous les matériaux éjectés par une éruption du Vésuve. Ce fut une catastrophe pour les habitants mais les couches de cendres, de pierres et de boues volcaniques eurent pour effet de figer les sites dans le temps et de les conserver tels qu'ils étaient il y a deux millénaires.
Il est arrivé exactement la même chose sur le site chinois de Wuda. A la suite d'une éruption volcanique, les éjectas ont certes tué les plantes, fait tomber les feuilles, cassé les petites branches, décapité les arbres mais ils ont aussi, à leur manière un peu violente, préservé toute cette végétation. La couche de cendres initiale devait avoir un mètre d'épaisseur puis elle s'est tassée et pétrifiée, pendant que les plantes se fossilisaient entre deux veines de charbon. C'est d'ailleurs à l'exploitation minière que l'on doit cette découverte. Les chercheurs ont dû travailler vite, sur un peu plus de 1 000 mètres carrés, pour profiter de la chance unique qui leur était offerte d'avoir accès à cette couche géologique d'autant plus exceptionnelle que les arbres se trouvaient encore à leur emplacement d'origine. Comme le résume un des auteurs de l'étude, Hermann Pfefferkorn, tout "est merveilleusement préservé. Nous pouvons nous tenir là et trouver une branche avec ses feuilles encore attachées, et puis nous trouvons la branche suivante, et la suivante, et la suivante. Et enfin nous trouvons la souche du même arbre. C'est réellement excitant." Voilà, dans le diaporama ci-dessous, les premières photographies de cet éclat du passé, un herbier du temps jadis.
Pour les chercheurs, la découverte est intéressante à plus d'un titre. Non seulement ils peuvent étudier des spécimens de plantes disparues extrêmement bien conservés mais ils ont aussi la possibilité de reconstruire tout le site en disposant les végétaux à l'emplacement exact qu'ils occupaient (tout comme, à Pompéi, on a retrouvé les hommes là où la mort les a saisis). Cela leur permet d'analyser l'écologie du lieu, d'établir les relations entre les diverses familles de plantes et, au bout du compte, de deviner à quoi ressemblait ce bout de forêt du Permien.
Comme on peut le voir sur la vue d'artiste ci-contre réalisée à partir de l'analyse du site, on a affaire à une forêt tropicale. Il y a 300 millions d'années, Wuda se trouvait non pas au beau milieu d'un continent, comme aujourd'hui, mais sur une grande île au large de la Pangée, le super-continent de l'époque. Le sol, tourbeux, était la plupart du temps recouvert de marécages de quelques centimètres de profondeur. Formant la canopée principale à une dizaine de mètres de hauteur, des fougères arborescentes constituaient l'essentiel de la végétation. Au milieu d'elles surnageaient çà et là des sigillaires, de grands arbres filiformes pouvant dépasser les 25 mètres, et des cordaites (à gauche), sortes de conifères primitifs. Les auteurs de l'étude soulignent que si des sites plus anciens ont déjà été découverts, aucun ne se trouvait en Extrême-Orient et aucun n'a pu être aussi largement exploré que celui de Wuda. Ils ajoutent que "les flores du début du Permien sont d'une importance particulière parce qu'elles appartiennent à une époque d'oscillations climatiques passant par des transitions entre moments de glacière et moments de serre, transitions qui pourraient servir d'analogues au changement moderne et global de végétation". Une manière habile d'ancrer ce monde perdu dans les préoccupations de notre XXIe siècle.
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