Tuesday, June 25, 2013

Maître Lantourne, l'avocat de Bernard Tapie, placé en garde à vue


LE MONDE | 

Bernard Tapie et Maurice Lantourne (à droite), en octobre 2005.

La brigade financière tente de reconstituer la "bande organisée" qui aurait, selon les juges, monté l'escroquerie aboutissant à l'arbitrage Tapie – 405 millions d'euros accordés par un tribunal arbitral à l'homme d'affaires, en juillet 2008. C'est dans cette optique qu'ils ont placé en garde à vue, mardi 25 juin, Me Maurice Lantourne, l'avocat de Bernard Tapie. Ils vont donc entendre les deux hommes, dans des locaux différents, afin de confronter leurs versions des faits. MeLantourne avait déjà été entendu le 28 mai sous le régime de la garde à vue, et ses locaux avaient été perquisitionnés dans le cadre de l'enquête.


Cet avocat parisien de 57 ans a de l'entregent. Les enquêteurs sont d'ailleurs intrigués par deux déplacements de Me Lantourne à l'Elysée, les 26 août 2010 et 6 septembre 2011. Il rencontre la première fois Xavier Musca, alors secrétaire général adjoint de Claude Guéant, puis Jean-Pierre Picca, le conseiller justice deNicolas Sarkozy"J'ai également adressé des notes ou courriers à Claude Guéant", se souvient-il. Une note, le 3 novembre 2009 pour l'ancien secrétaire général de l'Elysée, relative à l'arbitrage. Et encore récemment, un autre courrier, le 17 septembre 2012, concluant cette missive par : "Je suis à votre disposition pour toute information complémentaire..." Il agit sur ordre : "A la suite d'un entretien téléphonique avec M. Tapie, celui-ci m'a demandé d'adresser des documents..." Pourquoi Me Lantourne intervient-il si souvent, à si haut niveau ?
L'avocat connaît Bernard Tapie depuis 1996, et un dîner commun, dans une pizzeria de la rue Danton. Les deux hommes sympathisent et très vite, M. Tapie lui confie ses dossiers, dont le conflit avec le Crédit lyonnais. Il succède à Me Francis Chouraqui qui, déjà, travaillait avec M. Estoup. C'est Me Lantourne qui le reconnaît : "Francis Chouraqui m'a personnellement confirmé qu'il consultait Pierre Estoupsur certains de ses dossiers", concède-t-il sur procès-verbal. En tout cas, c'est lui qui, en 2007, propose le nom de Pierre Estoup pour être la cheville ouvrière de l'arbitrage. "J'ai effectivement proposé le nom du président Estoup. (...) J'ai participé en tant qu'avocat à plusieurs arbitrages dans lesquels il était arbitre."

"SI J'AVAIS ÉTÉ MME LAGARDE"

L'arbitre et l'avocat se fréquentent, ont des habitudes professionnelles. M. Estoup, qui en avait l'obligation, ne déclare pas ces liens aux différentes parties de l'arbitrage. Le 14 novembre 2007, il écrit à Me Lantourne, à propos de son acte de mission : "Je me suis attaché à assurer la sécurité juridique de ce document en supprimant tout ce qui pouvait dans le compromis ouvrir la voie à d'éventuels recours." Seul Me Lantourne est prévenu, pas les autres conseils parties à l'arbitrage. A l'époque, plusieurs membres du conseil d'administration de l'Etablissement public de financement et de restructuration (EPFR), l'organisme gérant le passif du Crédit lyonnais et organisme de tutelle du Consortium de réalisation (CDR), sont opposés à l'arbitrage.

Me Lantourne a pris son bâton de pèlerin il y a longtemps. Ainsi, le 24 octobre 2005, il écrit au sénateur Roland du Luart, membre du conseil d'administration de l'EPFR. "Pour quelles raisons tentez-vous d'influencer un membre du conseil d'administration", interrogent les policiers ? "Je voulais éveiller son esprit critique", répond l'avocat. Les enquêteurs, lors d'une perquisition à son cabinet, ont exhumé une note de sept pages, relative à l'arbitrage, et traitant notamment des "modalités de désignation des arbitres""C'est une réponse aux contestations de l'arbitrage", indique Me Lantourne. Très curieusement, cette même note sera retrouvée dans les dossiers de M. Estoup.


Les relations entre les deux hommes remontent, selon Me Lantourne, à 1999. Dès 2000, contrairement à ce qu'a toujours prétendu M. Estoup, ces derniers travaillent de concert sur un dossier lié à Bernard Tapie. En témoigne un courrier daté du 23 mars 2000, adressé par Me Lantourne à M. Estoup. Cette lettre a été saisie par les policiers lors d'une perquisition chez l'arbitre. "Il est possible que M. Estoup m'ait appelé à ce sujet", admet l'avocat. Conclusion des policiers : "M. Estoup a donc eu connaissance d'affaires concernant M. Tapie"... D'ailleurs, Me Lantourne a également défendu, dans un dossier distinct, une ex-collaboratrice de M. Estoup.
Enfin, les policiers s'intéressent à une autre note, créée le 20 septembre 2008 sur l'ordinateur de Me Lantourne, identifiée comme étant pour "Lagarde". Pour l'avocat, il s'agit simplement d'une argumentation, qu'il aurait développée devant le Parlement, "si j'avais été Mme Lagarde". Il semble pousser le mimétisme un peu loin, puisque cette note est écrite au féminin...

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