Monday, June 24, 2013

Berlusconi condamné par les femmes

Trois magistrates, Carmen D'Elia, Orsola De Cristoforo et Giulia Turri, ont condamné, lundi 24 juin, Silvio Berlusconi à 7 ans de prison et à l'interdiction à vie d’exercice de charges publiques dans le procès Rubygate, où il était accusé, depuis avril 2011,  d'abus de pouvoir et prostitution de mineure. Elles ont alourdi la peine réclamée par la procureure Ilda Boccassini, d'une année supplémentaire.
Même si elle ne s'est pas achevée lundi, la trajectoire politique de Silvio Berlusconi, déjà condamné la semaine dernière à 5 ans de prison pour fraude fiscale, a subi un nouveau coup d'arrêt. Des condamnations, il en a connu beaucoup sans qu'aucune d'elles ne soient définitives: la prescription des délits, leur dépénalisation, l'ont toujours sauvé d'une sentence définitive. La complexité des faits (corruption, fraude fiscale) lui ont épargné un jugement politique trop sévère de la part des Italiens. Sa puissance médiatique lui a permis  de se présenter en "Chevalier blanc injustement accusé par des juges rouges " et de convaincre une partie de la population qu'il était innocent.
Mais l'affaire Ruby est d'une autre nature. Même si en raison de son âge,(76 ans) et des possibilités d'appel, il est peu probable que Berlusconi aille un jour en prison, elle est infamante.  Et c'est peut-être le pire pour lui. L'affaire Ruby est simple. Claire comme de l'eau de roche. Ici pas de comptes off-shore, de circuits financiers complexes, d'argent qui passe de main en main. Tout se passe en direct entre "producteur" et "consommateur".
Une jeune fille mineure à l'époque des faits, Karima El Mahroug,  entre dans l'intimité de l'homme le plus puissant d'Italie, grâce à des amis de ce dernier. Elle passera plusieurs nuits dans sa résidence d'Arcore, en Lombardie, théâtre des nuits chaudes du Bunga Bunga où se pressent des dizaines d'escort-girls, dûment rémunérées. Toutes disposent d'un "salaire" et d'un appartement via Olgettina à Milan.
Mais Karima rêve de bien davantage. Cette jeune marocaine, grandie en Sicile est une menace. Quand elle est arrêtée pour "vol" en mai 2010,  Silvio Berlusconi cherche par tous les moyens, y compris les pressions, à la faire relâcher du commissariat de Milan pour la confier à une conseillère régionale -  plutôt qu'à une communauté d’accueil pour mineure en difficulté -  qui à son tour remet la jeune fille à une prostituée... "C'est la nièce du Président égyptien Hosni Moubarak, dit-il, j'ai voulu éviter un incident diplomatique". En réalité il redoute que la jeune fille parle trop.
Ruby sait quel profit elle peut tirer de son jeune âge. Son silence vaut beaucoup d'argent, beaucoup plus qu'un deux-pièces via Olgettina et un  salaire de 3000 euros mensuels pour service rendu, comme ses collègues. Cette dernière confesse que Berlusconi, attendri par son histoire édifiante, lui a donné 50 000 euros pour ouvrir un salon d'esthéticienne. Les enquêteurs parlent, eux, de quatre millions d'euros. Le tribunal a demandé la confiscation de ses biens déjà mis sous séquestre.
La décision des magistrates  ont fait voler en éclat cette fable. Silvio Berlusconi en "Jean Valjean" secourant les orphelines. Karima en "Cosette"  de 17 ans en paraissant 25, voulant échapper à sa pauvre condition. Pour elles, Silvio Berlusconi n'est pas cet "homme à femmes", "ce latin lover"  qu'il s'est toujours vanté d'être, auquel on ne pourrait s'empêcher de succomber .  Elles ont remis l'affaire Ruby à sa juste dimension. Tristement vénale...


Philippe Ridet  du journal  Le Monde

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