Thursday, June 20, 2013

Le piranha à ventre rouge ne fait pas que mordre, il aboie aussi



Le monde du silence n'a jamais existé : les mammifères marins font un tintamarre de tous les diables, mais les poissons - c'est moins connu - ne sont pas en reste. "Sur 800 familles de poissons, 109 sont capables de produire des sons", indique Eric Parmentier, directeur du Laboratoire de morphologie fonctionnelle et évolutive de l'université de Liège.

Son équipe a déjà enregistré et expliqué les vocalises des poissons-clowns, des tilapias - "les plus consommés au monde" -, des poissons-chats "qui frottent leurs épines pectorales contre ce qui correspond à leurs épaules". Mais aussi celles des poissons-demoiselles, soldats ou écureuils. Le défi scientifique, aujourd'hui, serait presque de trouver un poisson silencieux, estime le chercheur.

Son préféré ? Le maigre, un géant d'un mètre de long qui peuple l'estuaire de la Gironde, dont le "grondement de basse fréquence" a été étudié par Jean-Paul Lagardère, aujourd'hui retraité du CNRS. "Leur chorus en période de reproduction, de mai à juillet, est très impressionnant", souligne Eric Parmentier. Au XVIII e siècle, les pêcheurs n'hésitaient pas à coller l'oreille au fond de leur barque pour localiser ces indiscrets, rapporte l'encyclopédiste Duhamel du Monceau (1700-1782). Aujourd'hui, l'enjeu est de savoir si la pollution sonore des mers n'interfère pas avec les conversations des poissons.

Mais revenons à Liège, chez Eric Parmentier. Derniers pensionnaires en date de son laboratoire, quelques dizaines de piranhas à ventre rouge (Pygocentrus nattereri) ont livré les secrets de leurs aboiements. Car ce carnivore amazonien, vedette des films d'horreur de série Z, ne se contente pas de mordre, il jappe aussi.

"Ces aboiements sont bien connus. Ils sont produits lorsque le piranha est manipulé ou prisonnier d'une épuisette." L'équipe d'Eric Parmentier l'a vérifié à ses dépens : "Nous en avons pris en main pour enregistrer ces sons de détresse, et nous avons été mordus : c'est méchamment efficace", témoigne-t-il : un doigt de la postdoctorante française Sandie Millot a été à moitié sectionné.

De leur côté, plusieurs piranhas sont tombés pour la science : dûment anesthésiés, ils ont été partiellement ouverts pour permettre la stimulation des muscles qui entourent la partie crânienne de leur vessie natatoire. CQFD : ce sont bien ces muscles, capables d'être activés à haute fréquence, qui font vibrer cette bouée, incapable de résonner par elle-même.

CRI DE DÉTRESSE

Les observations d'Eric Parmentier et ses collègues, rapportées dans le Journal of Experimental Biology du 13 octobre, comportaient un volet moins funeste : les piranhas étaient placés en aquarium, filmés et enregistrés par un hydrophone, dans différentes situations.

En face à face, deux piranhas produisent le même son que leur cri de détresse. Lorsqu'ils se tournent autour et se battent pour la nourriture, le son est plus sourd et plus bref. Tous deux ont pour origine la vessie natatoire. Reste un troisième mode de communication, lors de la chasse, fait de trois ou quatre "cris" très brefs et aigus, qui résultent cette fois de claquements de mâchoires.

"Claquer des mâchoires coûte sans doute moins cher que mordre et risquer de se faire mordre", commente Eric Parmentier, qui n'exclut pas que le registre piranhesque soit plus étendu, notamment à la saison des amours. En captivité, celle-ci n'a pas lieu. S'il parvient à décrocher les budgets, le chercheur belge est donc prêt à plonger ses hydrophones et caméras dans l'Amazone. A ses risques et périls...

No comments: