Alors que le Sénégal fête, dimanche 4 avril, le cinquantenaire de son accession à l'indépendance, son président, Abdoulaye Wade, tente de transformer en victoire patriotique sur l'ancien colonisateur la décision de la France de fermer en quasi-totalité sa base militaire de Dakar. La tension franco-sénégalaise, perceptible depuis plusieurs semaines, a pris, samedi, les allures d'une crise ouverte autour d'un certain nombre de symboles.
M. Wade, lors de son traditionnel discours prononcé à la veille de la fête nationale, devait annoncer solennellement que son pays "reprend à partir de zéro heure", dimanche, les implantations "qui avaient été consenties à la France" au lendemain de l'indépendance. Dans un entretien enregistré à Dakar pour l'émission "Internationales" réalisée en partenariat par TV5, Radio France internationale et Le Monde et diffusée dimanche, M. Wade présente cette décision comme un acte de souveraineté. Il manifeste aussi sa mauvaise humeur à l'égard de Nicolas Sarkozy qui, en 2008 au Cap (Afrique du Sud), avait annoncé que la France n'avait "pas vocation à maintenir indéfiniment" des bases militaires en Afrique. "Les bases sont chez nous. Il aurait dû nous en parler d'abord", proteste M. Wade.
Cette décision unilatérale semble destinée à marquer l'esprit des chefs d'Etat africains réunis à Dakar à l'occasion de l'inauguration du monument pour la Renaissance africaine. Elle embarrasse la France.
Paris n'apprécie guère de se voir traité à la manière d'un occupant dont le Sénégal se libérerait, alors que l'existence de la base de Dakar résulte d'un accord de coopération bilatéral renégocié en 1974. Une négociation en cas de restitution est prévue dans les clauses.
"Abominable colonisateur"
M. Wade avait prévenu son homologue français de son annonce. Dans une lettre adressée à M. Sarkozy, mercredi 31 mars, le chef de l'Etat sénégalais précisait qu'il examinerait "avec la plus grande attention" les demandes de la France, qui souhaite réduire ses effectifs à Dakar de 1 200 à 300 hommes.
M. Sarkozy a, en quelque sorte, répondu, vendredi, à M. Wade dans un message "à l'occasion de la fête nationale". Le président français indique que c'est à son initiative que la renégociation de l'accord de 1974 a été entreprise. Il appelle de ses voeux une relation "plus résolument partenariale". "La France a ouvert la concertation sur ce sujet. Cela ne peut pas être présenté comme une victoire sur l'abominable colonisateur", soutient Jean-Christophe Rufin, ambassadeur de France au Sénégal.
Jusqu'à très récemment, M. Wade n'avait jamais manifesté la volonté de voir partir les Français. La "présence française ne me gêne pas si elle est utile pour la France", déclarait-il en 2008 au Nouvel Observateur. Mais en février, le président sénégalais avait pris de court M. Sarkozy en annonçant la fermeture de la base. Le Sénégal faisait de la restitution des terrains utilisés par les Français un préalable à la renégociation de l'accord de 1974. Paris souhaitait un examen conjoint des deux questions.
Depuis lors, les motivations d'ordre foncier du chef de l'exécutif sénégalais se sont précisées. Alors que la France a décidé de ne conserver qu'une seule base en Afrique de l'Ouest (Libreville au Gabon plutôt que Dakar) pour des raisons à la fois budgétaires et stratégiques, le Sénégal souhaite récupérer l'usage des 40 hectares du cantonnement français de Bel-Air. Sur ces terrains superbement situés, M. Wade a annoncé son intention de construire une nouvelle résidence secondaire présidentielle. "Au lieu de réfléchir aux risques que le terrorisme, les trafics de drogue et d'armes font courir au Sénégal, M. Wade se préoccupe surtout de récupérer quelques arpents de terre", proteste Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du PS sénégalais.
M. Wade, âgé de 83 ans, connu pour ses annonces non nécessairement suivies d'effet, est considéré comme proche de la France qui reste l'un des principaux bailleurs de fonds du Sénégal.
Sur le plan militaire, sa "sortie" pourrait être de peu de conséquences puisqu'il semble accepter le maintien des effectifs voulus par Paris. Mais le symbole ambigu qu'aurait constitué la signature d'un nouvel accord avec la France le jour de la fête de l'indépendance, a été écarté. Ce 4 avril, le défilé militaire sénégalais du cinquantenaire devait se dérouler, comme d'habitude, sur le boulevard du Général-de-Gaulle, l'une des grandes artères de Dakar entièrement jalonnée, signe des temps, de commerces tenus par des Chinois.
Ph. B. Du journal Le Monde
No comments:
Post a Comment