Un rapport des Nations unies daté de 1994 exhumé presque par hasard
des archives de l'ONU par une journaliste et chercheuse britannique, Linda Melvern, et détaillant les armes à disposition de l'armée rwandaise avant le génocide en 1994, jette un nouveau voile
sur les circonstances de la mort du président rwandais (hutu) Juvénal
Habyarimana, tué le 6 avril 1994 par un missile tiré contre son avion à
Kigali. Cet attentat, dès le lendemain, déclenchait le génocide planifié
de longue date de la minorité tutsie et le massacre de Hutu modérés.
Comme c'est souvent le cas dans le feuilleton judiciaire rwandais, le rapport de l'ONU pose plus de questions - sur le rôle de la France, notamment - qu'il n'apporte de réponses.
Depuis 18 ans, les débats font rage pour déterminer qui a tiré ce fameux missile, même si tout le monde s'accorde à dire que cet événement tragique ne fut que le déclencheur d'une abomination préméditée.
Deux versions s'affrontent. Les uns accusent l'actuel président rwandais, Paul Kagamé, au pouvoir à Kigali depuis la fin du génocide. Selon leur théorie, Paul Kagamé, alors chef rebelle tutsi d'une Armée patriotique rwandaise (APR) à l'offensive contre les forces régulières de Kigali, avait décidé de se débarrasser du président Habyarimana parce que celui-ci proposait de faire la paix avec l'APR et d'organiser des élections que Kagamé, représentant de la minorité tutsi, n'avait aucune chance de gagner face à la majorité ethnique hutue. Les desseins de Juvénal Habyarimana condamnaient sa marche vers le pouvoir. Il l'aurait fait tuer tout en sachant que le Rwanda est un baril de poudre ethnique. En d'autres termes, le chef de guerre Kagamé, tel un monstre froid, sacrifiait sa propre communauté pour se saisir du pouvoir par les armes. Ce qu'il accomplissait cent jours plus tard, au prix de quelque 800 000 morts, des civils Tutsis, pour la plupart, massacré par des machettes hutues. Pour l'écrivain français Pierre Péan, partisan de cette thèse, cela fait de Paul Kagamé "le plus grand criminel de guerre vivant".
Pour les Tutsis en revanche, il ne fait pas de doute que l'attentat est l'œuvre des extrémistes du "Hutu power" qui planifiaient depuis des mois le génocide et véhiculaient leur haine des "cafards" tutsis sur les ondes de Radio mille collines. Ils ne voulaient pas entendre parler de paix avec l'APR ni de partage de pouvoir. Habyarimana s'apprêtait à le faire. Ils auraient donc abattu le Falcone à bord duquel il se trouvait en compagnie du président (hutu) du Burundi voisin, Cyprien Ntaryamira, de plusieurs officiers supérieurs et d'un équipage français.
Les thèses s'affrontent depuis des lustres. Le document retrouvé par Linda Melvern après des années d'errements dans les archives de l'ONU ne permettra pas de trancher. Qu'est ce que ce rapport ? La journaliste explique dans le quotidien Libération daté du 1er juin, qu'il s'agit d'un document daté du 6 avril 1994 rédigé par des observateurs militaires de la Minuar, la mission d'observation de l'ONU envoyée au Rwanda quelques mois avant le génocide. Linda Melvern dit que, dans la liste des armements détenus par l'armée rwandaise avant le 6 avril, les observateurs de la Minuar notent la présence d'un nombre "indéterminé [de] missiles sol-air de type SA-7 [de fabrication russe] et de 15 missiles sol-air Mistral [français]".
Ce constat bat en brèche l'un des principaux arguments des accusateurs de Kagamé. Devant le tribunal spécial pour le Rwanda, notamment, ils ont répété depuis le début que l'armée rwandaise ne possédait pas de missiles. Ne disposant pas de l'arme du crime, ils se disaient donc innocents de ce crime.
Cet argument n'avait jamais convaincu les avocats des sept Rwandais, parmi lesquels des proches de Paul Kagamé, inculpés depuis 2006 par le juge français Jean-Louis Bruguière alors en charge du dossier de l'attentat ouvert en France. "On sait très bien qu'il existe des filières quasiment intraçables qui permettent de se procurer des armements y compris des missiles", remarque Me Léon-Lev Forster. C'est d'ailleurs l'argument utilisé par le camp d'en face qui accuse les Tutsi de l'APR d'avoir eu recours à une filière passant par l'Ouganda pour obtenir des missiles soviétiques.
Dans le même temps, le rapport pose la question sensible du rôle joué par la France au Rwanda de 1990 à 1994. Paris - qui vit alors sous le régime de la cohabitation entre la présidence socialiste de François Mitterrand et un gouvernement de droite - soutient le régime en place à Kigali. La coopération militaire française au Rwanda est très active. Hors, que ce soit le socialiste Hubert Védrine, secrétaire général de l'Elysée à l'époque où le libéral François Léotard qui occupait, lui, le ministère de la défense, les deux hommes ont toujours soutenu que le Rwanda ne possédait pas de lance-missiles en 1994. Ce que dément, donc, le rapport de l'ONU "authentifié début mai par le général Roméo Dallaire, commandant en chef de la Minuar à l'époque", précise Linda Melvern. "Il faut rester prudent", précise Philippe Meilhac, avocat d'Agathe Habyarimana, la veuve du président assassiné. "Nous allons quand même demander une authentification de ce document", versé au dossier des juges Nathalie Poux et Marc Trevidic en charge de l'information judiciaire ouverte en France sur cette affaire.
On se demande donc comment des missiles français ont atterri à cette époque entre les mains de l'armée rwandaise alors que Paris affirme que ses premières ventes de tels engins remontent à 1996. "C'est troublant", glisse Me Bernard Maingain, avocat belge défendant Kigali. Certes, rien ne dit que l'avion a été abattu par un Mistral mais la question se pose dorénavant, lourde sur le plan politique. L'utilisation d'un Mistral avait été écartée d'emblée dans le rapport remis en janvier au juge Trevidic par des experts balistiques qu'il avait mandatés. Considérant qu'il n'y avait aucun Mistral dans la région au moment de l'attentat, les experts avaient alors privilégié le tir d'un SA-16 russe avec "une grande probabilité", rappelle Me Meilhac.
Pour ajouter à la confusion, cette expertise est aujourd'hui partiellement contestée par la défense de la veuve Habyarimana qui a demandé, jeudi 31 mai, au juge Trevidic, des compléments d'enquête et des contrexpertises. Le rapport de janvier avait précisé, par déduction, un lieu du tir du missile où les soldats de l'APR ne pouvaient se trouver, disculpant ainsi le président Kagamé. Me Meilhac conteste aujourd'hui la méthode et les mesures, acoustiques notamment, retenues pour arriver à cette conclusion. Le juge dispose d'un mois pour juger cette requête recevable ou non.
Peu importe la décision. Qui a tué Juvénal Habyarimana ? Cette énigme risque de demeurer longtemps sans réponse.
Comme c'est souvent le cas dans le feuilleton judiciaire rwandais, le rapport de l'ONU pose plus de questions - sur le rôle de la France, notamment - qu'il n'apporte de réponses.
Depuis 18 ans, les débats font rage pour déterminer qui a tiré ce fameux missile, même si tout le monde s'accorde à dire que cet événement tragique ne fut que le déclencheur d'une abomination préméditée.
Deux versions s'affrontent. Les uns accusent l'actuel président rwandais, Paul Kagamé, au pouvoir à Kigali depuis la fin du génocide. Selon leur théorie, Paul Kagamé, alors chef rebelle tutsi d'une Armée patriotique rwandaise (APR) à l'offensive contre les forces régulières de Kigali, avait décidé de se débarrasser du président Habyarimana parce que celui-ci proposait de faire la paix avec l'APR et d'organiser des élections que Kagamé, représentant de la minorité tutsi, n'avait aucune chance de gagner face à la majorité ethnique hutue. Les desseins de Juvénal Habyarimana condamnaient sa marche vers le pouvoir. Il l'aurait fait tuer tout en sachant que le Rwanda est un baril de poudre ethnique. En d'autres termes, le chef de guerre Kagamé, tel un monstre froid, sacrifiait sa propre communauté pour se saisir du pouvoir par les armes. Ce qu'il accomplissait cent jours plus tard, au prix de quelque 800 000 morts, des civils Tutsis, pour la plupart, massacré par des machettes hutues. Pour l'écrivain français Pierre Péan, partisan de cette thèse, cela fait de Paul Kagamé "le plus grand criminel de guerre vivant".
Pour les Tutsis en revanche, il ne fait pas de doute que l'attentat est l'œuvre des extrémistes du "Hutu power" qui planifiaient depuis des mois le génocide et véhiculaient leur haine des "cafards" tutsis sur les ondes de Radio mille collines. Ils ne voulaient pas entendre parler de paix avec l'APR ni de partage de pouvoir. Habyarimana s'apprêtait à le faire. Ils auraient donc abattu le Falcone à bord duquel il se trouvait en compagnie du président (hutu) du Burundi voisin, Cyprien Ntaryamira, de plusieurs officiers supérieurs et d'un équipage français.
Les thèses s'affrontent depuis des lustres. Le document retrouvé par Linda Melvern après des années d'errements dans les archives de l'ONU ne permettra pas de trancher. Qu'est ce que ce rapport ? La journaliste explique dans le quotidien Libération daté du 1er juin, qu'il s'agit d'un document daté du 6 avril 1994 rédigé par des observateurs militaires de la Minuar, la mission d'observation de l'ONU envoyée au Rwanda quelques mois avant le génocide. Linda Melvern dit que, dans la liste des armements détenus par l'armée rwandaise avant le 6 avril, les observateurs de la Minuar notent la présence d'un nombre "indéterminé [de] missiles sol-air de type SA-7 [de fabrication russe] et de 15 missiles sol-air Mistral [français]".
Ce constat bat en brèche l'un des principaux arguments des accusateurs de Kagamé. Devant le tribunal spécial pour le Rwanda, notamment, ils ont répété depuis le début que l'armée rwandaise ne possédait pas de missiles. Ne disposant pas de l'arme du crime, ils se disaient donc innocents de ce crime.
Cet argument n'avait jamais convaincu les avocats des sept Rwandais, parmi lesquels des proches de Paul Kagamé, inculpés depuis 2006 par le juge français Jean-Louis Bruguière alors en charge du dossier de l'attentat ouvert en France. "On sait très bien qu'il existe des filières quasiment intraçables qui permettent de se procurer des armements y compris des missiles", remarque Me Léon-Lev Forster. C'est d'ailleurs l'argument utilisé par le camp d'en face qui accuse les Tutsi de l'APR d'avoir eu recours à une filière passant par l'Ouganda pour obtenir des missiles soviétiques.
Dans le même temps, le rapport pose la question sensible du rôle joué par la France au Rwanda de 1990 à 1994. Paris - qui vit alors sous le régime de la cohabitation entre la présidence socialiste de François Mitterrand et un gouvernement de droite - soutient le régime en place à Kigali. La coopération militaire française au Rwanda est très active. Hors, que ce soit le socialiste Hubert Védrine, secrétaire général de l'Elysée à l'époque où le libéral François Léotard qui occupait, lui, le ministère de la défense, les deux hommes ont toujours soutenu que le Rwanda ne possédait pas de lance-missiles en 1994. Ce que dément, donc, le rapport de l'ONU "authentifié début mai par le général Roméo Dallaire, commandant en chef de la Minuar à l'époque", précise Linda Melvern. "Il faut rester prudent", précise Philippe Meilhac, avocat d'Agathe Habyarimana, la veuve du président assassiné. "Nous allons quand même demander une authentification de ce document", versé au dossier des juges Nathalie Poux et Marc Trevidic en charge de l'information judiciaire ouverte en France sur cette affaire.
On se demande donc comment des missiles français ont atterri à cette époque entre les mains de l'armée rwandaise alors que Paris affirme que ses premières ventes de tels engins remontent à 1996. "C'est troublant", glisse Me Bernard Maingain, avocat belge défendant Kigali. Certes, rien ne dit que l'avion a été abattu par un Mistral mais la question se pose dorénavant, lourde sur le plan politique. L'utilisation d'un Mistral avait été écartée d'emblée dans le rapport remis en janvier au juge Trevidic par des experts balistiques qu'il avait mandatés. Considérant qu'il n'y avait aucun Mistral dans la région au moment de l'attentat, les experts avaient alors privilégié le tir d'un SA-16 russe avec "une grande probabilité", rappelle Me Meilhac.
Pour ajouter à la confusion, cette expertise est aujourd'hui partiellement contestée par la défense de la veuve Habyarimana qui a demandé, jeudi 31 mai, au juge Trevidic, des compléments d'enquête et des contrexpertises. Le rapport de janvier avait précisé, par déduction, un lieu du tir du missile où les soldats de l'APR ne pouvaient se trouver, disculpant ainsi le président Kagamé. Me Meilhac conteste aujourd'hui la méthode et les mesures, acoustiques notamment, retenues pour arriver à cette conclusion. Le juge dispose d'un mois pour juger cette requête recevable ou non.
Peu importe la décision. Qui a tué Juvénal Habyarimana ? Cette énigme risque de demeurer longtemps sans réponse.
Christophe Châtelot
No comments:
Post a Comment