Saturday, June 16, 2012

En Grèce, le système politique aussi est en faillite



LE MONDE |
Manifestants grecs contre les mesures d'austérité, près du ministère des finances, dans le centre d'Athènes, le 14 juin.

Il y a plus d'un an, le politologue Elias Nikolakopoulos avait posé un diagnostic lapidaire : "Nous n'avons pas un personnel politique à la hauteur de la crise que traverse le pays." De fait, la crise qui frappe la Grèce paraît au moins autant politique qu'économique.

Cette faiblesse est apparue au grand jour en novembre 2011, quand le premier ministre Georges Papandréou a annoncé, à la surprise générale, un référendum sur le plan d'aide européen, avant de faire volte-face et de démissionner. Alors que cette démarche plongeait à nouveau le pays dans l'incertitude, et l'Europe dans l'effroi, les dirigeants des deux partis qui se partagent le pouvoir depuis la chute du régime des colonels en 1974, le Pasok (gauche) et Nouvelle Démocratie (ND, droite), commençaient un jeu de tractations politiques surréalistes, donnant l'impression que la situation du pays comptait moins que la répartition des maroquins. Comme si la ruine du pays et l'inquiétude du monde entier, suspendu aux moindres soubresauts d'Athènes, n'empêchaient pas de continuer de faire de la politique comme avant.
Grecs et Européens ont eu une impression de déjà-vu après le scrutin du 6 mai, qui a mis fin au règne du bipartisme Pasok-ND sur la Grèce et plongé le pays dans une nouvelle crise avec un Parlement sans majorité. Pendant dix jours, alors que la situation s'aggravait d'heure en heure, les partis plaidaient en chœur pour un gouvernement de coalition, sans faire les concessions nécessaires pour y parvenir, rendant inéluctable l'organisation de nouvelles élections le 17 juin. Les derniers sondages annoncent que le parti d'Antonis Samaras, qui a tant voulu ces élections et comptait les remporter aisément, Nouvelle Démocratie, est au coude-à-coude avec la gauche radicale de Syriza.

NOMBREUX SCANDALES FINANCIERS
Comment en est-on arrivé là ? "Après la dictature, une nouvelle nomenklatura s'est mise en place, à l'ombre de deux grandes figures paternalistes, Constantin Karamanlis à droite et Andréas Papandréou au Pasok, explique l'analyste politique Georges Sefertzis. Deux idéologies s'affrontaient. Mais leurs différences se sont peu à peu estompées."
Car ces oppositions politiques n'excluaient pas les ententes. "Il y avait des collaborations entre les cadres du Pasok et de ceux de Nouvelle Démocratie, notamment au niveau local pour gérer les mairies, les fonds européens et les syndicats, poursuit M. Sefertzis. Quand les différences idéologiques ont disparu, il n'est plus resté que la gestion des intérêts. Les années 2000 ont été celles du cynisme politique qui s'est appuyé sur l'enrichissement des classes moyennes, qui se servaient du pouvoir pour assurer leur ascension sociale. Elles sont aujourd'hui touchées par la crise et le système des deux partis s'effondre."
La vie des deux partis a été traversée par de nombreux scandales financiers, qui ont d'autant plus choqué qu'ils sont restés impunis, les hommes politiques s'étant construit un solide régime d'immunité. La chute de l'ancien ministre de la défense socialiste Akis Tsohatzopoulos, en détention provisoire depuis deux mois pour blanchiment d'argent, n'en est que plus spectaculaire.
Le signe le plus visible de la dégénérescence du système politique grec est le népotisme. A gauche, Georges Papandréou est le petit-fils et le fils des anciens premiers ministres Georges et Andréas Papandréou. Son prédécesseur était Costas Karamanlis, le neveu du fondateur de Nouvelle Démocratie, Constantin, premier ministre à la chute du régime des colonels. L'aile modérée du parti de droite est dominée par la famille Mitsotakis. Constantin Mitsotakis, ex-premier ministre, a un fils député et une fille, Dora Bakoyannis, qui a été ministre des affaires étrangères. Elle vient de réintégrer ND, après en avoir été exclue quand elle avait voté en faveur du mémorandum de mai 2010, à l'époque où Antonis Samaras, le président de Nouvelle Démocratie, y était opposé - il s'est ravisé depuis. M. Samaras appartient lui aussi à une vieille famille politique.

STEPHANOS MANOS, ÉLECTRON LIBRE DE LA POLITIQUE GRECQUE
L'absence de renouvellement du personnel politique est manifeste. Aucune figure nouvelle, à l'exception du dirigeant de la gauche radicale, Alexis Tsipras, n'a émergé depuis le début de la crise. Cependant, nuance Georges Sefertzis, "ceux qui sont issus de ces traditions familiales sont souvent plus capables que les nouveaux riches de la politique. C'est la dévaluation complète, morale et idéologique, de la vie politique qui empêche les gens sérieux de participer à ce renouvellement. Ceux qui s'y sont aventurés ont souvent été marginalisés par la nomenklatura."
L'ancien ministre des finances Stephanos Manos est un de ces électrons libres de la politique grecque. Il est l'un des rares hommes politiques à ne pas changer d'avis. C'est un libéral, qui veut supprimer près de la moitié des fonctionnaires et faire payer plus d'impôts à l'Eglise. Il aime dire ses quatre vérités, ce qui ne lui rapporte pas beaucoup de suffrages. Son parti, le Drasi, n'a pu franchir la barre des 3 % le 6 mai. Lors d'une réunion à Kalamata, dans le Péloponnèse, alors qu'il développait ses idées pragmatiques, un homme l'a interrompu : "C'est très intéressant ce que vous dites, mais vous ne pourriez pas nous dire aussi quelques mensonges !"

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