Ils sont deux cents a avoir passé la nuit du mercredi 27 juin au jeudi sur le trottoir de l'Institut Marie Haps, à Bruxelles. Ces jeunes, Français pour la plupart, sont venus s'inscrire en orthophonie pour la rentrée, rapporte la télévision belge RTBF. L'engouement est fort pour ces filières médicales, quasi-gratuites et sans sélection à l'entrée. Outre-Quiévrain, le gouvernement cherche à endiguer cet afflux d'étudiants étrangers.
Dès septembre, les facultés de médecine et de dentaire francophones n'admettront plus en première année que 30 % d'étudiants "non-résidents", c'est-à-dire ceux ne pouvant pas justifier de trois années de résidence en Belgique. Le texte du décret a été adopté mardi en commission du parlement de la Communauté française Wallonie-Bruxelles.Les heureux élus, à 90 % des Français, seront choisis par tirage au sort après l'ouverture des inscriptions le 20 août. "C'est la solution de facilité, mais il n'y a pas d'alternative", explique au Monde.fr le professeur Gustave Moonen, doyen de la faculté de médecine de Liège et président du collège des doyens des cinq facultés de médecine francophones de Belgique.
DES QUOTAS EN KINÉ, VÉTÉRINAIRE, MÉDECINE ET DENTAIRE
Cette mesure est une extension du décret "non-résidents" de 2007 (PDF) qui instaurait déjà des quotas de 30 % dans huit filières médicales : kinésithérapie, médecine vétérinaire, sage-femme, ergothérapie, orthophonie, podologie-podothérapie, audiologie et éducateur spécialisé en accompagnement psycho-éducatif. Maintenus en kinésithérapie et en médecine vétérinaire, ces quotas, jugés non fondés, ont été supprimés à la suite d'une décision de la Cour constitutionnelle belge en juin 2011 (PDF). Des plaintes avaient été déposées par des étudiants au nom de la libre circulation dans l'Union européenne. "Attention, ils reviennent !", titrait La Libre Belgique en novembre 2011.
Après la médecine et le dentaire, le gouvernement belge pourrait ne pas s'arrêter là. "Il est clair que le dossier de la logopédie [orthophonie] sera probablement le suivant, avec celui des sages-femmes où nous avons une sorte d'invasion d'étudiants venant de l'étranger, particulièrement de France", a indiqué le ministre de l'enseignement supérieur belge, Jean-Claude Marcourt. "J'ai encore eu un contact avec l'ambassadrice de France en Belgique sur cette question en indiquant que ça devenait critique. Et que nous continuerions bien entendu à protéger l'accès de nos étudiants à notre enseignement et qu'il y avait quelque chose de tout à fait inacceptable de voir les auditoires complètement phagocytés par des étudiants étrangers.''
Dans les filières médicales, le nombre d'étudiants a explosé. "Depuis quelques années, sans que l'on sache pourquoi, on constate que les inscriptions ont quadruplé en médecine et triplé en dentaire", indique Gustave Moonen. Et les étudiants non domiciliés en Belgique sont de plus en plus nombreux à traverser la frontière. En médecine, les étudiants ayant obtenu leur diplôme du secondaire hors de Belgique sont passés de 17 % à 26 % en cinq ans.
50 % DE FRANÇAIS DANS CERTAINES UNIVERSITÉS
En médecine toujours, 20 à 30 % des 3 700 inscrits en première année sont Français. A l'université de Mons, près de la frontière franco-belge, ils représentent même 50 %. En dentaire, ils constituent 45 % des effectifs, contre 30 % il y a cinq ans. Selon le quotidien La Libre Belgique, l'Institut libre Marie Haps a même dû refuser des étudiants belges l'année dernière, à cause du trop grand nombre de Français. Ce qui n'a jamais été le cas à la Haute école Robert Schuman, à Libramont, spécialisée en kinésithérapie, orthophonie et soins infirmiers.
"C'est une ouverture d'avoir des étudiants français qui viennent de tous les départements français. Et ils sont très motivés", explique Cécile Bolly, responsable de la section paramédicale de cette école, où avant les quotas, 75 % des étudiants en kinésithérapie étaient Français. "Il y a aussi un aspect économique important pour la région avec tous ces étudiants qui viennent étudier chez nous, ajoute-t-elle. Mais je ne comprends pas la raison pour laquelle la France ne forme pas ces étudiants, car il y a beaucoup d'offres d'emploi de médecin".
Mais pourquoi les étudiants Français s'exilent-ils en Belgique ? "A Paris comme ailleurs en France, les concours sont très difficiles et du coup, on se réfugie ici pour s'inscrire et espérer qu'il y aura une petite place pour nous'', a témoigné à la RTBF l'un des étudiants venus dormir devant l'Institut Maris Haps. Contrairement à la France, il n'existe pas de concours ni de numerus clausus limitant le nombre de places en fin de première année. Seule sélection : avoir 12 de moyenne et de ne pas avoir une seule note en dessous de 10.
"PALLIER LA CARENCE DU SYSTÈME FRANÇAIS"
Pour justifier leurs quotas, les universités belges mettent en avant des problèmes d'infrastructures, d'encadrement et de budget pour accueillir les étudiants. Selon Gustave Moonen, "ces quotas étaient devenus indispensables pour fournir aux étudiants la meilleure des formations". "En première année, les cours de médecine à l'université de Liège sont retransmis dans trois amphithéâtres simultanément pour 800 étudiants, explique-t-il. Et il y a une augmentation du nombre d'étudiants, mais pas de hausse proportionnelle du budget alloué aux universités."
Second argument : les étudiants ont tendance à retourner en France une fois leur diplôme obtenu, et la Belgique forme donc des médecins dont elle ne bénéficiera pas. "Depuis les années 1990, il y a un numerus clausus à la fin des études de médecine, avant la spécialisation, explique Michael Verbauwhede, président de la Fédération des étudiants francophones de Belgique. Les Français et les Belges sont en concurrence de la même manière. Mais comme ils rentrent en France, on assiste à une pénurie de médecins, de kinés et de dentistes. Il y a un risque de problème de santé publique." C'est d'ailleurs pour cette unique raison que la cour de justice de l'Union européenne a autorisé la limitation de la libre circulation des étudiants européens en avril 2010, laissant le soin à la Cour constitutionnelle belge de prendre sa décision concernant les quotas.
"Ce n'est pas un repli chauvin", souligne Michael Verbauwhede. Même insistance de Gustave Moonen : "On ne fait pas d'ostracisme. Je souhaite la bienvenue aux étudiants français chaque année. Mais nous ne sommes pas là pour pallier la carence du système français. Nous formons des médecins parce que le numerus clausus français n'est pas assez élevé." En France, le numerus clausus était bloqué à 7 400 depuis 2009. Instauré dans les années 1970 à plus de 8 000, il a diminué régulièrement jusqu'à un record de 3 500 en 1992, avant de remonter à partir des années 2000. Pour la rentrée 2012-2013, il sera de 7 500.
Anna Benjamin
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