Ceux qui,comme moi, aiment Franquin, ont probablement le souvenir de cette planche savoureuse où Gaston Lagaffe, pensant que les plantes sont sensibles à la musique et désireux d'accroître le bien-être d'un pied de lierre, veut lui jouer un petit air. Mais aux premières notes affreuses émises par le tristement célèbre gaffophone, la plante tente de s'échapper par la fenêtre ouverte...

Ce que dit le gag, c'est que le son de cet instrument générateur de catastrophes doit vraiment être horrible si "même un végétal" ne le supporte pas. Encore faut-il que les plantes ne soient pas sourdes comme leurs pots et qu'elles puissent percevoir les vibrations sonores.
La notion de communication dans le monde végétal a longtemps été tenue pour marginale (voire inexistante) quand elle n'a pas été raillée. Depuis quelques décennies, cette vision des choses a évolué et les chercheurs ont pu constater que la communication chez les plantes pouvait prendre plusieurs formes et se faire sous terre, par le biais des racines, comme dans les parties aériennes, les plantes disposant par exemple de récepteurs pour les composés organiques volatils émis par d'autres plantes. Elles sont ainsi capables de repérer les membres de la même espèce qu'elles, ce qui leur évite de les prendre pour des concurrentes et de dépenser inutilement des ressources à lutter contre elles. Plusieurs études ont aussi montré qu'en cas d'attaque par des herbivores, certains végétaux envoient des signaux chimiques qui, une fois captés par leurs voisins, les aident à mettre en place des stratégies de défense, ce qui n'est pas sans rappeler le film Phénomènes de M. Night Shyamalan. On sait également que les récepteurs de lumière des plantes sont assez perfectionnés pour qu'elles reconnaissent les longueurs d'ondes renvoyées par les plantes qui les côtoient, ce qui leur donne des informations sur leur environnement et la présence d'éventuels concurrents. Point n'est besoin d'avoir des yeux pour voir...
Dans une nouvelle étude publiée le 22 mai par PLoS ONE, une équipe italo-australienne a voulu explorer tous les modes de communication possibles entre deux plantes, le piment et le fenouil. Ce dernier a en effet la propriété d'émettre de puissants signaux chimiques par ses racines et ses parties aériennes, qui inhibent la croissance de certains de ses voisins (comme les tomates et les piments) quand ils ne les tuent pas. Les chercheurs ont employé un dispositif expérimental simple mais ingénieux pour tester leurs hypothèses (voir schéma ci-dessous).
Le résultat le plus étonnant de cette expérience (faite en 2010 et renouvelée en 2011, sur un total de 6 000 graines) concernait les deux dernières conditions. Tant les graines que les plantules de piment ont réagi différemment suivant que, dans la boîte masquée, se trouvait ou non le fenouil. Quand ce dernier y était enfermé, les graines se dépêchaient de germer et les pousses étaient plus grandes, comportement caractéristique de la plante lorsqu'elle est en compétition. Quand la boîte, opaque et close, était vide, graines et plantes avaient un comportement normal. A sa manière, ce résultat évoque un remake botanique du Mystère de la chambre jaune : comment diable, sans percevoir le moindre indice chimique ou lumineux et sans contact physique, le piment sait-il quand la boîte noire est vide et quand elle contient un concurrent ? De deux choses l'une, soit il y avait un défaut dans les quinze dispositifs expérimentaux (ou dans une partie d'entre eux), ce qui laissait "s'échapper" des signaux chimiques, soit un mode de communication inconnu était à l'œuvre.
Dans la conclusion de leur étude, les chercheurs avancent deux hypothèses pour ce dernier. Première possibilité, les plantes étant sensibles au champ magnétique terrestre, peut-être sont-elles aussi capables de percevoir un champ magnétique ultra-faible émanant de la plante cachée ? Deuxième possibilité, que les auteurs semblent préférer : le son. On sait évidemment que les végétaux produisent des bruits, qui ne sont pas que des craquements et des bruissements. Toute la question est de savoir s'ils y sont réceptifs. Cette expérience pourrait ajouter un élément nouveau au dossier à condition de considérer que le piment, sous ses différentes formes, a perçu les ondes sonores émises par le fenouil et qu'il a, du coup, hâté sa croissance comme pour se renforcer face à la concurrence de cette plante voire anticiper l'arrivée de ses molécules chimiques nocives. La sensibilité des plantes au son est un sujet d'étude peu exploré mais qui a des chances de se développer, notamment depuis qu'une expérience réalisée par la même équipe et publiée en mars dans la revue Trends in Plant Science a montré qu'en présence d'un son continu émis à des fréquences comprises entre 200 et 300 hertz, les racines de jeunes plants de maïs poussant dans de l'eau avaient nettement tendance à se tourner vers la source sonore. Disons que le lierre de Gaston Lagaffe s'est juste trompé de direction...
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