Wednesday, December 07, 2011

Les chroniques de Ragidro : le TGV en Sarkozy …

Par Lalatiana PitchBoule

De la rencontre Sarkozy – Rajoelina

Le Mercredi 7 Décembre à 17h00, Nicolas Sarkozy recevra le président de la HAT. Sur cet évènement qui « est un fait politique majeur à prendre en considération », il faut se garder des analyses simplistes du genre « on reconnaît ici la main et la responsabilité de la françafrique dans le coup d’Etat de 2009 », ou « c’est le triomphe de Rajoelina enfin reconnu pour la grandeur de son œuvre réformatrice et révolutionnaire » … si si si … y’en aura bien certains pour proférer ce genre d’âneries.

Bien évidemment cette rencontre, qui en irritera certains tout autant que d’autres s’en gargariseront, est au bout du compte souhaitable dans la perspective espérée d’une stabilisation de la situation politique et dans celle du déblocage de certains fonds qui ont fait cruellement défaut à l’économie du pays et à sa population.

La question que doivent se poser les ulcérés n’est pas : « Comment Sarko ose t il faire fi de nos opinions publiques ? Comment peut il ignorer le risque d’une montée de la francophobie au sein de populations irritées qui verront encore une fois une ingérence de l’ancienne puissance coloniale dans les affaires du pays ? Comment peut-il recevoir Rajoelina ? ». La question à se poser est bien plutôt : « Pour quelles raisons le reçoit il ? ». Et les griots du TGV devraient eux aussi reconsidérer cet évènement non pas comme le triomphe de l’auteur du coup d’Etat mais comme acte de Realpolitik française. Ceci étant, sur le plan signifiant, ce n’est pas comme si Sarko venait rendre visite au TGV à Ambohitsirohitra. A 17h00, il ne l’invite pas à déjeuner.

La diplomatie ne se bâtit pas sur des grands principes, pas plus que sur une rationalité absolue accessible à l’entendement immédiat du citoyen. Elle n’est pas non plus le reflet d’une ligne de conduite régulièrement cohérente. Khadafi, reçu en grandes pompes à l’Elysée, s’est vu virer à coup de pompes pas moins grandes quand l’intérêt de la diplomatie française l’a exigé. Ben Ali encensé comme le démocrate de référence du Maghreb a du vite reprendre l’avion prêté le mois précédent à un ministre français, devant la colère des masses Tunisiennes que Paris a été contraint, tardivement certes, de reconnaître et d’accepter.

Si la diplomatie se targue de défense d’intérêts stratégiques et économiques, de fait, elle ne satisfait que très rarement à la morale et aux valeurs humaines. Il s’agit avant tout de pions qu’on avance et que l’on sacrifie au gré des situations immédiates sur un échiquier où la position de chaque pièce défend la place de l’autre.

La diplomatie est aussi affaire d’enjeux de politique intérieure quand les points marqués à l’échelon international sont autant de faveurs décrochées auprès d’une opinion publique nationale dont il faut prendre en compte la versatilité en vue de futures élections.

La diplomatie c’est aussi question de luttes d’influences et de guéguerres intestines entre acteurs du premier cercle du pouvoir, préoccupés de la défense de leur position et de leur influence …La diplomatie, malheureuse et sans gloire, c’est enfin affaire de petits arrangements entre lobbys politiques et intérêts privés voraces.

C’est à la mesure de ces différentes approches que la réception de Rajoelina à l’Elysée doit s’envisager. Il ne faut pas y chercher la moindre parcelle de morale. On n’y trouvera aussi le strict minimum en termes de raison et de rationalité. Pourtant de rationalité il aurait du y avoir. Parce que ce genre de décision ne se prend pas sur le coin d’une table entre deux fourchettes. « Tiens, Alain … en fait de chauté de lapin… pache moi le poivre – ecchcuje moi , j’ai la bouche pleine – je viens d’y pencher … chi on invitait le putschichte malgache à venir nous dire bonjour, che cherait chympa … pache moi le chel ». Ce type de décision fait nécessairement l’objet d’arbitrages, d’évaluations de scénarios et de mises en balance de leurs enjeux, avantages et inconvénients respectifs. On pourrait espérer que ces évaluations soient établies sur la base d’analyses et d’informations exhaustives et pertinentes. Le sont-elles seulement ? Elles le seraient que la diplomatie française pourrait être plus anticipative et plus efficace dans la durée. On n’oubliera pas ainsi que Sarkozy avait choisi, dans son projet d’Union pour la Méditerranée, Ben Ali et Moubarak comme… “piliers sud” (pas moins !!).

Dans ce sens, de la même manière qu’on a vu Khadafi prendre la porte après avoir planté les voiles de sa tente à Paris, ne préjugeons donc pas des revirements de positions que la France peut à tout instant adopter face à un Rajoelina. Elle l’a déjà jugé et évalué dans ses incohérences et tergiversations passées. A incohérent, incohérent et demi : en diplomatie aucune amitié n’est éternelle et aucune poignée de main n’engagera ses auteurs sur le long terme.

Comme les rois mages, Sarko veut finir l’année sur une bonne note en Afrique…

Sarkozy ne reçoit pas ici un président, mais le représentant du pays « ami de longue date auquel la France est particulièrement attachée ». Et ce n’est pas tant la personne de Rajoelina qui est en jeu là, que le rôle de la France en Afrique. Il sera toujours bon de dire à l’opinion publique française que la France, 1er partenaire de M/car, n’aura pas été en reste pour appuyer de manière formelle un processus de normalisation dont tout le monde doit se féliciter. Le public est versatile. Qui donc dans l’opinion publique française sait encore quel a été précédemment le rôle de Paris dans la crise malgache ?

La présidence française reçoit un autre chef d’Etat africain en décembre : Alassane Ouattara, président de la Cote d’Ivoire que Paris a aidé militairement, en délogeant Laurent Gbagbo, pour asseoir définitivement un pouvoir parait-il légitimé par les urnes. D’aucuns y verront de curieuses et gênantes similitudes. Sans qu’il soit nécessaire de débattre de la prise de pouvoir de Ouattara et de son soutien par la France, il faut considérer que la Cote d’Ivoire, comme Madagascar, sort d’une longue crise politique qui a déchiré les gens de différentes factions entre eux. Comme à Madagascar, il faut aujourd’hui conclure cette crise pour lancer la reconstruction du pays. Comme à Madagascar, le processus de normalisation passe par des processus électoraux. S’il n’est pas question de débattre ici des arrières-pensées et visées de la France et des implicites de sa diplomatie, le geste de la France vis-à-vis de ces deux dirigeants de Cote d’Ivoire et de Madagascar, veut avant tout offrir à ces trop fragiles pouvoirs en place des moyens d’étayer leur autorité face à des éléments rapidement centrifuges. Les factions de Gbagbo sont encore là prêtes à faire entendre leur voix. Quant à Madagascar, l’opposition à Rajoelina n’a pas véritablement baissé les bras – certains se battant encore pour l’isolement du pouvoir- et l’arrivée d’un Ratsiraka bien plus remuant qu’on ne pourrait le souhaiter, exige des gestes forts pour tenter de stabiliser la situation.

L’hyper président Sarkozy, toujours inquiet de son niveau dans les sondages de popularité, a par ailleurs fort à faire quand il s’agit de renouveler son image dans l’espoir d’une nouvelle victoire en 2012. Ici, se posant en sauveur de la Lybie (sauveur de l’alibi ???), sauveur de l’Euro et de l’Europe – même si, en l’occurrence, c’est plutôt aligné sur Merkel qu’il sauve les meubles – il souhaite marquer les esprits en se posant comme le deus ex machina qui aura aussi résolu deux des principales crises de l’Afrique Sub-saharienne.

L’Afrique du Sud de Zuma est toujours là en arrière plan, acteur de la normalisation à Madagascar.

Il faut par ailleurs se demander, sur un autre registre, à qui Sarkozy veut-il faire le plus plaisir quand il décide de recevoir le PHAT ? A Andry Rajoelina lui même, président en intérim de Madagascar … ou à Jacob Zuma acteur de la feuille de route et de la résolution de la crise à travers la SADC. Il faut se remémorer qu’il se négocie encore une place au conseil de sécurité qui doit se décider entre l’AFS et le Nigéria ?

La main tendue à Rajoelina est probablement un geste de bonne volonté vis-à-vis d’une Afrique du Sud passablement irritée par les interventions françaises successives en Cote d’Ivoire et en Lybie, interventions qui se sont faites sur le dos des tentatives de médiation et des initiatives de paix africaines et de Zuma en particulier. Juppé est bien allé faire des courbettes à Prétoria pour arrondir les angles des relations France/AFS. Faut pas oublier qu’il y a quand même quelques gros contrats énergétiques et industriels en jeu. Et que le G20 et les décisions qui doivent s’y prendre exigent que les alliances les plus solides de la France avec les émergents s’établissent.

Accueillir Rajoelina est ici un clin fait à Zuma « t’as vraiment fait du bon boulot mon pote dans la résolution de cette crise qui n’en finissait pas ».

Certains griots du pouvoir HAT qui vociféraient que ces sauvages coupeurs de tête ne valaient pas la corde pour les pendre, risquent d’en avaler leur chapeau si on leur dit que leur champion ne sert que de faire valoir au grand frère africain.

La planète Bourgi serait-elle en orbite ?

« Ce que la présidence Sarkozy apporte de nouveau dans les relations entre pouvoir et argent est l’hypertrophie du rôle de l’argent sale et de la corruption qui s’ensuit, faisant de la République française une République bananière. Ses relations avec les pays africains et arabes ne se font plus à travers des diplomates mais à travers des affairistes douteux » dixit l’avocat Jacques Vergès.

Notre « ami » Robert Bourgi est à mon avis l’illustration de cet affairisme douteux. Sèchement mis à l’écart des affaires africaines par Juppé, lequel Juppé l’avait empêché de participer à l’investiture de Ouattara, on l’a vu réapparaître paré du blanc manteau du repenti avec ses mallettes à scandale pleines de mallettes d’argent (Villepin, Chirac, Sarko…). Il a du faire peur à certains et, en plus, ça faisait désordre dans le paysage des futures élections présidentielles. D’ailleurs on n’entend plus parler de lui.

Intermédiaire favorisé du TGV dès 2009, il avait trouvé dans l’univers de la HAT probablement matière à compenser partiellement, sur le plan pécuniaire, la disparition de son mentor Omar Bongo. Je ne serais pas surpris qu’il ait été un des acteurs pris en compte dans l’organisation de la rencontre de mercredi. Je serai de la même manière curieux d’observer le devenir des projets Intertek et IEG de la bande Bourgi/Horizon Finance & Co à Madagascar à l’aune de cette rencontre officielle.

Il sera toujours temps de voir comment tournera cette planète Bourgi qui, acculé par Juppé, aura lancé ses pétards dans les scandales de la république des mallettes. Allez savoir si derrière cette rencontre Sarkozy-Rajoelina, n’a pas été passé quelque part un marché de dupes avec un Bourgi à la dangerosité avérée, en pleine période électorale. L’avocat d’affaires Robert B. aurait là l’opportunité de retrouver toute son influence auprès de ce client si juteux. C’est bien dans ces situations de déliquescence de l’Etat que les requins se goinfrent parce que l’alibi (la Lybie ???) de la reconstruction du pays permet tous les projets et toutes les arnaques.

Bon, il faut donc relativiser tout ça … même si ce n’est pas anodin …

Evidemment, la France a des intérêts à sauvegarder. Et c’est bien là le dernier volet des motifs de cette rencontre. Les enjeux économiques, stratégiques, qu’il faut préserver. Et toujours la présence de cette communauté française, qui force ces diplomates à naviguer entre la chèvre et le chou : faire le moins de choses possibles qui puisse mettre en péril les positions françaises. La Real Politik est là dans toute sa splendeur. Cette rencontre ne peut pas être une surprise à partir du moment où une normalisation est en marche. D’ailleurs, les choses se synchronisent bien : la suisse, pays de culture protestante, particulièrement favorable et de longue favorable à Marc Ravalomanana, voit son ambassadeur présenter ses lettres de créances. Paris fait donc les choses au moment où il doit les faire.

Effectivement, il s’agit là d’un évènement majeur de cette crise. Mais baaah … Rajoelina là dedans, qui ne boudera pas son plaisir de fouler les tapis rouge de l’Elysée (« hey, chouette … le président va enfin m’appeler président !!! »), n’est qu’un jeton sur le damier de stratégies et d’intérêts qui le dépassent probablement.

Il est cependant toujours aussi irritant de constater que nous sommes les jouets de ces grandes puissances. Quand allons-nous nous donner les moyens de leur faire un bras d’honneur ?


Bien à vous tous …

ps : pour mémoire, la thèse sur les intérêts français à Dago et les rouages de la diplomatie française est développée plus largement dans

http://madagoravox.wordpress.com/2011/03/11/les-implicites-de-la-crise-malgache-de-2009-geopolitique-geostrategie-et-diplomatie-francaise/

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