Comme c'est souvent le cas dans le feuilleton judiciaire rwandais, le rapport de l'ONU pose plus de questions - sur le rôle de la France, notamment - qu'il n'apporte de réponses.
Depuis 18 ans, les débats font rage pour déterminer qui a tiré ce fameux missile, même si tout le monde s'accorde à dire que cet événement tragique ne fut que le déclencheur d'une abomination préméditée.
Deux versions s'affrontent. Les uns accusent l'actuel président rwandais, Paul Kagamé, au pouvoir à Kigali depuis la fin du génocide. Selon leur théorie, Paul Kagamé, alors chef rebelle tutsi d'une Armée patriotique rwandaise (APR) à l'offensive contre les forces régulières de Kigali, avait décidé de se débarrasser du président Habyarimana parce que celui-ci proposait de faire la paix avec l'APR et d'organiser des élections que Kagamé, représentant de la minorité tutsi, n'avait aucune chance de gagner face à la majorité ethnique hutue. Les desseins de Juvénal Habyarimana condamnaient sa marche vers le pouvoir. Il l'aurait fait tuer tout en sachant que le Rwanda est un baril de poudre ethnique. En d'autres termes, le chef de guerre Kagamé, tel un monstre froid, sacrifiait sa propre communauté pour se saisir du pouvoir par les armes. Ce qu'il accomplissait cent jours plus tard, au prix de quelque 800 000 morts, des civils Tutsis, pour la plupart, massacré par des machettes hutues. Pour l'écrivain français Pierre Péan, partisan de cette thèse, cela fait de Paul Kagamé "le plus grand criminel de guerre vivant".
Les thèses s'affrontent depuis des lustres. Le document retrouvé par Linda Melvern après des années d'errements dans les archives de l'ONU ne permettra pas de trancher. Qu'est ce que ce rapport ? La journaliste explique dans le quotidien Libération daté du 1er juin, qu'il s'agit d'un document daté du 6 avril 1994 rédigé par des observateurs militaires de la Minuar, la mission d'observation de l'ONU envoyée au Rwanda quelques mois avant le génocide. Linda Melvern dit que, dans la liste des armements détenus par l'armée rwandaise avant le 6 avril, les observateurs de la Minuar notent la présence d'un nombre "indéterminé [de] missiles sol-air de type SA-7 [de fabrication russe] et de 15 missiles sol-air Mistral [français]".
Ce constat bat en brèche l'un des principaux arguments des accusateurs de Kagamé. Devant le tribunal spécial pour le Rwanda, notamment, ils ont répété depuis le début que l'armée rwandaise ne possédait pas de missiles. Ne disposant pas de l'arme du crime, ils se disaient donc innocents de ce crime.
Cet argument n'avait jamais convaincu les avocats des sept Rwandais, parmi lesquels des proches de Paul Kagamé, inculpés depuis 2006 par le juge français Jean-Louis Bruguière alors en charge du dossier de l'attentat ouvert en France. "On sait très bien qu'il existe des filières quasiment intraçables qui permettent de se procurer des armements y compris des missiles", remarque Me Léon-Lev Forster. C'est d'ailleurs l'argument utilisé par le camp d'en face qui accuse les Tutsi de l'APR d'avoir eu recours à une filière passant par l'Ouganda pour obtenir des missiles soviétiques.
Pour ajouter à la confusion, cette expertise est aujourd'hui partiellement contestée par la défense de la veuve Habyarimana qui a demandé, jeudi 31 mai, au juge Trevidic, des compléments d'enquête et des contrexpertises. Le rapport de janvier avait précisé, par déduction, un lieu du tir du missile où les soldats de l'APR ne pouvaient se trouver, disculpant ainsi le président Kagamé. Me Meilhac conteste aujourd'hui la méthode et les mesures, acoustiques notamment, retenues pour arriver à cette conclusion. Le juge dispose d'un mois pour juger cette requête recevable ou non.
Peu importe la décision. Qui a tué Juvénal Habyarimana ? Cette énigme risque de demeurer longtemps sans réponse.
Christophe Châtelot
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