Thursday, June 21, 2012

Supervirus H5N1 : les secrets de fabrication du mutant dévoilés

Il s'était presque fait oublier ces dernières semaines. Le supervirus H5N1 revient en fanfare en s'offrant la couverture de la prestigieuse revue Science. Après des mois de suspense et de polémiques, les travaux du virologue néerlandais Ron Fouchier (Rotterdam), qui ont abouti à la création d'un virus mutant de grippe aviaire capable de se transmettre d'un individu à l'autre chez les mammifères, sont finalement publiés in extenso dans un numéro spécial H5N1 de l'hebdomadaire américain, daté du 22 juin.

Les deux articles principaux s'accompagnent d'une série de points de vue sur les enjeux et les risques de telles expériences sur les virus grippaux. Les modalités de la nouvelle politique américaine de régulation des recherches duales - pouvant être exploitées à des fins de bioterrorisme - sont aussi discutées. Cette publication intervient un peu plus d'un mois après celle, assez comparable en termes de résultats, de l'équipe nippo-américaine de Yoshihiro Kawaoka dans la revue Nature (cahier "Science & techno" du 5 mai).
C'est peut-être l'ultime épisode d'un feuilleton qui a tenu en haleine et divisé la communauté scientifique depuis l'automne 2011. Son début remonte à septembre dernier, quand Ron Fouchier, un virologue reconnu, annonce ses derniers résultats lors d'un congrès international, à Malte. Il a réussi à transformer un virus grippal H5N1 (redoutable chez l'humain par sa virulence mais jusqu'ici quasiment incapable de se transmettre entre individus) en un mutant contagieux. Ces travaux ont été menés chez des furets, modèle animal pertinent pour l'étude de la grippe. Dans les médias, Ron Fouchier n'hésite pas à dire que ce mutant figure parmi les virus les plus dangereux au monde.

Depuis 2003, quelque 600 cas d'infections humaines à H5N1 ont été déclarés sur la planète, et 60 % de ces infections ont été mortelles. Peut-on mener des expériences rendant contagieux un germe aussi redoutable, et faut-il les publier ? La controverse prend vite de l'ampleur. Le manuscrit du virologue hollandais, soumis à Science, atterrit entre les mains d'un comité consultatif américain de biosécurité, le NSABB. Il en va de même pour Kawaoka et ses collègues, qui sont parvenus à un résultat semblable avec une autre méthodologie et ont envoyé leur article à la revue Nature. Leurs recherches, comme celles des Néerlandais, sont financées par les instituts de la santé américains (NIH).

 Fin 2011, le comité de biosécurité s'oppose à une publication ad integrum des travaux des deux équipes, arguant d'un risque d'utilisation par des terroristes. Il reviendra finalement sur sa position, après des conférences d'experts, notamment à l'Organisation mondiale de la santé, soulignant la nécessité pour la santé publique de mettre de telles données à disposition des scientifiques. Entre-temps, les spécialistes du domaine sont convenus d'un moratoire sur leurs travaux.

L'article signé par Ron Fouchier dans Science du 21 juin fait état des mêmes méthodes et résultats que la première version. "Aucune des données originales n'a été retirée", précise le chercheur dans un communiqué. En revanche, anticipant que leur lectorat serait bien plus large que celui d'une publication classique dans Science, les auteurs ont davantage développé certains aspects (objectifs de leurs recherches, bénéfices en termes de santé publique...) et fait un effort de clarté.
Pour comprendre comment des virus de grippe aviaire peuvent s'adapter à des mammifères, ils ont d'abord étudié les mutations qui ont conduit à l'émergence des germes des pandémies grippales de 1918, 1957 et 1968. Les chercheurs rappellent en effet que, jusqu'ici, toutes les grandes épidémies de grippe ont été le fait de virus capables de se propager d'un individu à l'autre par voie aérienne (par l'intermédiaire des germes présents dans les gouttelettes et aérosols générés par les malades quand ils toussent et éternuent).

INOCULATION DU VIRUS MUTÉ
Trois mutations considérées comme cruciales ont d'abord été introduites dans un virus H5N1. Puis ce germe modifié a été utilisé pour infecter par voie nasale des furets. Pour faciliter l'adaptation du H5N1 à ce mammifère, les chercheurs ont effectué dix passages successifs (le virus inoculé au premier furet a été prélevé quand celui-ci est devenu malade ; il a été instillé dans les narines d'un deuxième cobaye, reprélevé pour être inoculé à un troisième...). Après cette série de passages, le H5N1 modifié est devenu contagieux par voie respiratoire, infectant des furets sains placés dans des cages à proximité.
En revanche, et contrairement à ce que les chercheurs avaient initialement laissé entendre, les mutants se sont révélés moins virulents qu'un H5N1 sauvage, ne tuant pas les animaux infectés. En étudiant leurs caractéristiques génétiques, ils ont retrouvé un minimum de cinq mutations, soit deux en plus des trois qu'ils avaient introduites.
Ces recombinaisons génétiques pourraient-elles se produire spontanément et être à l'origine d'une pandémie ? Dans un deuxième article, cosigné par Yoshihiro Kawaoka, les chercheurs néerlandais ont tenté de modéliser ce risque. Selon eux, aucune estimation précise ne peut être avancée, mais ils soulignent que certaines des mutations nécessaires ont déjà été repérées dans des H5N1 et que les autres peuvent survenir chez un seul hôte mammifère. "Nos données suggèrent qu'il ne faut pas prendre à la légère les plans d'éradication du H5N1 ; nous devons stopper les épidémies dans les élevages de volailles avec un plus grand sens de l'urgence", insiste Fouchier.
Pour Jean-Claude Manuguerra (Institut Pasteur, Paris), cette publication devrait en tout cas clore la polémique sur le risque d'usage malveillant, car "cet article n'a rien d'un manuel pour terroristes". C'est aussi, selon le virologue, la confirmation que ces recherches ne nécessitaient pas un laboratoire de haute sécurité P4, le mutant H5N1 restant sensible aux antiviraux et vaccins.

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