14 mai 2009 sur RFI
Forcé de quitter son pays le 17 mars dernier sous la pression de la rue et de l'armée, le président malgache déchu Marc Ravalomanana s'était jusque là peu exprimé sur les circonstances de son départ et sur son avenir politique. De son lieu de résidence en Afrique du Sud, Marc Ravalomanana répond aux questions de RFI.
RFI : Monsieur le président, depuis le 17 mars vous avez perdu le pouvoir. Est-ce que vous renoncez ou est-ce que vous y croyez encore ?
Marc Ravalomanana : Tout d’abord je pense que la communauté internationale devrait faire son possible pour établir l’Etat de droit à Madagascar. Donc je peux vous dire que je n’ai pas perdu le pouvoir mais c’est un transfert de pouvoir au militaire le plus haut gradé. On m’a forcé à faire cette ordonnance, sinon je risquais ma vie et la vie de ma famille. J’ai évité le bain de sang à Madagascar et je suis toujours le président de la République malgache et il n’y a qu’un seul président élu démocratiquement à Madagascar, et c’est moi !
RFI: Et si vous n’aviez pas signé cette ordonnance, est-ce que vous auriez risqué votre vie ?
Marc Ravalomanana : Bien sûr ! Si je restais là-bas quinze minutes, je perdais ma vie, c’est clair. J’étais forcé de faire cette ordonnance.
RFI : Qui vous a forcé à signer ?
Marc Ravalomanana : Vous le savez, il y avait un groupe militaire qui était avec les putschistes.
RFI : Les gens qui vous menaçaient, ils le faisaient par téléphone ou alors directement à côté de vous ?
Marc Ravalomanana : Le 16 mars dans la nuit, je contournais déjà le palais.
RFI : C’est-à-dire que dans la nuit du 16 au 17 mars il y avait beaucoup de militaires putschistes autour du palais ?
Marc Ravalomanana : Oui ! Ils faisaient déjà beaucoup de bruit dans la nuit du 16 mars, des explosions de grenades, des coups de feu, des tirs en l’air.
RFI : Et comment avez-vous réussi à fuir Madagascar après ?
Marc Ravalomanana : Ah ! Cela s’est fait avec l’aide de Dieu et ce n’était pas facile.
RFI : Et aussi avec l’aide des ambassades étrangères ?
Marc Ravalomanana : Oui, la communauté internationale a sollicité de l’aide pour moi. Par exemple, le leader Kadhafi a proposé d’envoyer un avion, ainsi que le chargé d’affaires de la France et aussi les Américains.
RFI : Et finalement, comment avez-vous fait pour aller de Madagascar en Afrique du Sud ?
Marc Ravalomanana : On m’a emmené jusqu’ici, en Afrique du Sud
RFI : Et ce sont les Sud-Africains qui vous ont emmené ?
Marc Ravalomanana : Non. Il y a un autre avion qui m’a cherché là-bas.
RFI : Marc Ravalomanana vous êtes soutenu par la SADC et par l’Afrique du Sud mais votre adversaire Andry Rajoelina est soutenu par l’armée malgache. Qu’est-ce que vous pouvez faire contre cela ?
Marc Ravalomanana : Ce n’est pas vrai. Il n’est pas soutenu par l’armée malgache. Voyez-vous, des colonels sont menacés et intimidés. Mais c’est un petit groupe de l’armée, des sous-officiers dans le CAPSAT (Corps d'administration des personnels et services de l'armée de terre), qui a pris le contrôle de ce camp.
RFI : Mais ces militaires aujourd’hui contrôlent la capitale et ils soutiennent votre adversaire Andry Rajoelina...
Marc Ravalomanana : Non ! Ce n’est pas vrai ! Il y a beaucoup de militaires loyaux qui restent toujours avec moi et qui sont fidèles, mais avec les menaces, le chantage des otages sur leurs familles. La vérité c’est qu’ils ne sont que 150 à 200 maximum qui travaillent avec les putschistes. La plupart des militaires restent juste dans la caserne.
RFI : Alors que souhaitez-vous maintenant ?
Marc Ravalomanana : Je souhaite l’appui de la communauté internationale pour que je puisse rentrer à Madagascar le plus tôt possible.
RFI : Justement quand allez vous rentrer ?
Marc Ravalomanana : Dans quelques semaines, peut-être.
RFI : C'est-à-dire que vous ne rentrez pas pour l’instant parce que vous risquez d’être arrêté ?
Marc Ravalomanana : Non ! Je n’ai pas peur de l’arrestation. Mais c’est la sécurité et l’attaque armée. Il n’est pas uniquement question de ma vie, mais aussi de celle des autres. Cela va peut-être créer des guerres civiles, des guerres tribales. Il faut éviter le bain de sang à Madagascar. C’est ça l’idée.
RFI : Donc vous pensez rentrer dans quelques semaines ?
Marc Ravalomanana : Oui ! Il faut rétablir l’Etat de droit et aussi respecter la Constitution. Établir un gouvernement de consensus, pour aller démocratiquement vers une élection présidentielle anticipée, s’il est nécessaire.
RFI : Est-ce que vous allez rentrer après avoir conclu un accord avec Andry Rajoelina ou pas ?
Marc Ravalomanana : Vous savez, ce n’est pas uniquement moi. Actuellement il y a les groupes de contacts et la délégation de la SADC, la Troïka, qui sont sur place à Madagascar. Donc si les groupes de contact et aussi les partis politiques sont prêts, moi, je travaille avec tout le monde.
RFI : La commission de l’Union africaine souhaite que vous acceptiez de négocier un partage du pouvoir avec Andry Rajoelina. Est-ce que vous êtes prêt à négocier cela ?
Marc Ravalomanana : C’est mieux d’attendre d’abord le travail des groupes de contact. Parce que vous savez que la SADC et l’Union africaine sont des institutions. Il faut respecter la procédure.
RFI : Mais vous personnellement, Marc Ravalomanana, est ce que vous êtes prêt à discuter avec Andry Rajoelina ?
Marc Ravalomanana : Je suis toujours ouvert à une discussion avec tous les Malgaches, même avec les opposants. C’est ça la négociation. Il faut avoir la capacité d’écoute.
RFI : Le 12 mars dans un discours vous avez eu cette phrase : « S’il y a une erreur que j’ai commise, cela prouve que je suis humain ». Un mea-culpa de chef d’Etat c’est rare, donc bravo ! Mais à quelle erreur pensez-vous en particulier ?
Marc Ravalomanana : C’est clair, je suis comme tous les êtres humains. Je ne peux pas dire que je suis parfait. Personne n’est parfait, donc s’il y a des erreurs je prends la responsabilité.
RFI : Et justement quelle est la principale erreur que vous avez commise ?
Marc Ravalomanana : C’est ce que je ne comprends pas ! Parce que j’ai fait de mon mieux pour servir le pays pendant sept ans. Nous avons construit 10 000 kms de routes goudronnées. En ce qui concerne l’éducation, en 2003 les enfants malgaches n’étaient que 63% à être scolarisés, en 2008 c’était 92%.
RFI : Oui mais vous vous êtes acheté un avion Boeing 767...
Marc Ravalomanana : C’est un 737 ! Ce n’est pas à moi, cela appartient à l’Etat. Donc si le peuple malgache veut que leur président vole avec un petit avion ou avec un vol commercial, il n'y a pas de problème pour moi.
RFI : Et puis, on vous a reproché aussi d’avoir confondu votre rôle de président et votre rôle de chef d’entreprise.
Marc Ravalomanana : Je peux vous dire que dans la présidence il y avait des conseillers européens, américains, japonais et ces conseillers suivaient de près ce que nous avons dépensé. Cela est aussi le cas dans la lutte contre la corruption avec la bonne gouvernance. Transparency international nous a félicités. Cela montre qu’il n’y a pas de détournement, il n’y a pas de conflit d’intérêt.
RFI : Mais tout de même, Monsieur le président, est-ce que vous n’avez pas commis une erreur le 7 février quand les forces de l’ordre ont tiré sur la foule et ont tué 28 manifestants ?
Marc Ravalomanana : Je peux vous dire une chose : les manifestants montaient au palais. Supposons qu’il y a des manifestants à Paris, devant l’Elysée ou encore devant la Maison Blanche à Washington ! Il ya des limites. Là, c’est la responsabilité du leader des manifestants.
RFI : Mais vous avez bien commis une erreur tout de même ?
Marc Ravalomanana : L’erreur que j’ai constatée actuellement c’est les moyens que nous n’avons pas donnés aux forces de l’ordre. Le 26 janvier, si nous avions eu le moyen de riposter avec des gaz lacrymogènes... C’est ça l’erreur, nous avons dépensé beaucoup d’argent pour la santé et l’éducation, mais pas dans l’armée. C’est ça l’erreur.
RFI : Monsieur le président, merci.
No comments:
Post a Comment