Monday, October 28, 2013

François Hollande est-il de gauche ?


François Hollande, le 23 février lors d'une conférence de presse à la porte de Versailles à Paris.
François Hollande, le 23 février lors d'une conférence de presse à la porte de Versailles à Paris. | AFP/THIBAULT CAMUS

Beaucoup s'interrogent sur le caractère sinon socialiste du moins progressiste de la politique économique actuelle. Prenons pour illustration la politique en matière de coût du travail et de smic. Ce dernier est créé en 1970.

C'est l'un des piliers de la « nouvelle société », le projet progressiste du premier ministre de l'époque, Jacques Chaban-Delmas, pour désarmer l'extrême gauche révolutionnaire. Le smic prend acte des « distorsions » induites par le libre jeu de la concurrence sur le marché du travail. Il forge ce que la société considère comme la valeur sociale minimale du travail et sa progression.
Mais ce « contrat social » s'est étiolé face aux coups de boutoir des forces conservatrices, qui sont allées jusqu'à convaincre une partie de la gauche et du monde syndical, désemparés face à un chômage persistant. Sous couvert de bons sentiments –- il faut penser aux peu diplômés sans emploi et aux jeunes, le chômage est la vraie inégalité -–, les « préjugés de castes » et le « mépris » que dénonçait M. Chaban-Delmas chez les opposants au smic sont revenus en force dans les années 1990.
On a considéré que certains emplois ne valaient pas le smic, car leur productivité était trop faible. D'autant que le smicard est le plus souvent féminin, moins manufacturier, davantage issu des cités…
Pourtant, en pratique, on ne sait pas définir comptablement la productivité économique des travailleurs à bas salaire ; on ne peut faire abstraction de la montée du niveau de qualification globale de la jeunesse et, surtout, des progrès technologiques et organisationnels majeurs dans des secteurs à bas salaire et à hauts profits. La productivité d'une hôtesse de caisse ou d'un technicien de surface n'a ainsi plus rien à voir avec celle des années 1980.
LES EXONÉRATIONS, UN GOUFFRE POUR LES FINANCES PUBLIQUES
A défaut d'un rabotage du smic, politiquement impossible, on a diminué le coût des emplois à bas salaire pour l'employeur par des exonérations de cotisations sociales.
Ce fut le cœur de la politique de l'emploi, des allégements Balladur (1993) et Juppé (1997) jusqu'au dispositif Fillon (2003). Il relève d'une vision faussement dynamique du marché du travail, où l'appariement entre un employeur et un individu serait facilité par la seule baisse du coût du travail.
Comme toute subvention, les exonérations favorisent les entreprises qui en bénéficient et, en retour, la création d'emplois, mais aussi leurs actionnaires et clients, du moins partiellement. Mais les augmenter sans cesse gonfle les effets d'aubaine et les effets pervers. Les exonérations Fillon ont moins profité à l'emploi que les allégements Juppé.
Elles sont un gouffre pour les finances publiques. Pire, elles cannibalisent d'autres politiques, comme celles qui visent à favoriser l'emploi dans certaines zones géographiques. Elles accroissent l'immobilité salariale et, corrélativement, l'absence de formation des employés à bas salaires. L'impact proportionnel d'une augmentation salariale sur le coût du travail étant différent à chaque niveau de salaire, les négociations collectives, notamment de branche, s'en trouvent perturbées.
FILIATION CENTRISTE
La politique du gouvernement actuel marque une pause dans cette stratégie régressive. Michel Sapin, le ministre du travail, n'annoncera probablement pas de coup de pouce au smic. Mais la réforme de son mode de calcul, annoncée le 17 décembre 2012, l'a consolidé, en prenant plus en compte l'inflation des dépenses contraintes (loyer, énergie) que l'inflation en général, et le salaire de référence des employés, et non plus seulement des ouvriers.
La mesure-clé du gouvernement, le crédit d'impôt compétitivité emploi, gomme la distinction entre les employés à bas salaires et le reste du salariat. Enfin, alors que l'allégement des charges sur les bas salaires participe à la stigmatisation des jeunes, notamment peu qualifiés, c'est le traitement social de leur chômage qui s'impose à travers les emplois d'avenir, avec une nette hausse du budget du ministère du travail.
Ainsi, discrètement, le gouvernement revient aux conceptions de M. Chaban-Delmas, dont le secrétaire général pour la formation professionnelle et la promotion sociale, de 1969 à 1974, n'était autre que Jacques Delors.
Cette filiation centriste se retrouve dans des pans entiers de la politique actuelle : accent sur l'industrie, sur la politique de l'offre, sur une austérité budgétaire qui épargne l'éducation…
Quel est l'auteur du discours ci-dessous ?
"Pourquoi cette fragilité [de notre économie]? Avant tout, à cause de l'insuffisance de notre industrie. D'abord, [sa] part dans notre production est trop réduite ; ensuite, la rentabilité immédiate des industries de pointe est souvent faible, l'insuffisance est patente en ce qui concerne l'essentiel, c'est-à-dire les industries tournées vers le présent. Bien plus, le retard s'accroît. Or, la faiblesse de notre base industrielle handicape tout notre développement économique. (...…)
Le gouvernement considère la politique de formation et d'enseignement comme prioritaire. (...…) les crédits de l'éducation nationale augmentent. [Mais] j'ai pris l'engagement de contenir la progression des dépenses budgétaires à un taux inférieur à celui de la croissance de la production nationale. Il constitue le plus sûr moyen d'obliger les administrations à rechercher en permanence le meilleur emploi de leurs ressources. (...…) Nous appliquerons systématiquement les méthodes modernes de rationalisation des choix budgétaires. [Le] grand objectif est l'amélioration de la compétitivité nationale. »
François Hollande, Jean-Marc Ayrault ?
Non : c'est le discours de politique générale de Jacques Chaban-Delmas face aux députés, le 16 septembre 1969.

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