Friday, September 06, 2013

Election en Australie:Tony Abbott, le « moine fou » déjà victorieux



Peut-on annoncer une victoire avant même le résultat d'une élection ? Dans le cas de Tony Abbott, l'affirmative s'impose de fait. Alors que les Australiens sont appelés à voter pour les élections législatives, samedi 7 septembre, le triomphe du chef de file des libéraux est déjà reconnu de tous. Car pour celui qui, sauf coup de théâtre de dernière minute, deviendra bientôt le 29e premier ministre du pays, la victoire la plus précieuse ne sera pas le résultat des urnes, mais bien celle d'être passé de"monsieur inéligible" à "l'homme providentiel".
Dernier jour de campagne, jeudi 5 septembre, dans les allées du marché aux fruits et légumes de Flemington, dans la banlieue ouest de Sydney. Alors que Tony Abbott évolue parmi les étals, posant volontiers pour les objectifs avec les bambins tendus à bout de bras par des parents ravis, Nio Barbaro, un producteur d'oeuf de la région originaire d'Italie, s'agenouille au pied du candidat. "Est-ce que vous êtes le bon ? On a besoin de vous pour réparer le pays""Oui, mon ami", répond calmement Tony Abbott, avant de se laisser embrasser sur le front par le vieil homme. La scène, quasiment biblique, résume à elle seule le tour de force réalisé par le conservateur.
Tony Abbott revient pourtant de très loin. Né à Londres en 1957, il arrive en Australie à l'âge de trois ans. Inscrit à l'université jésuite de Sydney, le St Ignatius College, il se fait notamment remarquer pour ses qualités sportives, et devient un membre éminent de l'équipe de boxe de l'établissement. Mais le sport n'est qu'un loisir pour celui qui, à 26 ans, décide d'entrer au séminaire pour devenir prêtre. Tony Abbott renoncera finalement à sa vocation, trois ans avant d'entrer dans les ordres. De ces années de jeunesse, Tony Abbott gardera une proximité avec l'Eglise, un sens du traditionalisme, et un surnom, "le moine fou".
Son parcours, ensuite, illustre bien toutes les contradictions de l'homme. Sous l'influence de son mentor, l'ancien premier ministre libéral, John Howard, Tony Abbott se lance en politique. En 1994, il est élu député dans la circonscription de Warringah, dans la banlieue nord de Sydney. Propulsé ministre de l'emploi puis de la santé dans les gouvernements de John Howard (2001-2007), il se taille au fil des années une réputation de combattant politique agressif, avec lequel il est difficile de traiter. "Un politicien doit être un chef, mais ne peut pas être un dictateur", expliquait-il dans l'un de ses premiers essais, "les partis politiques, comme les équipes de rugby, ont besoin d'hommes forts."
Après la victoire des travaillistes en 2007, Tony Abbott devient un membre de premier plan de l'opposition. En 2009, il est finalement élu par ses pairs pour diriger le parti, malgré ses dérapages réguliers qui lui valent les quolibets de la presse australienne. Farouche opposant au mariage homosexuel, Tony Abbott se fait connaître pour ses sorties misogynes, considérant notamment l'avortement comme"une solution de facilité", et ses positions climato-sceptiques, qualifiant le réchauffement climatique de "connerie absolue".
Peu réputé pour sa finesse d'esprit, il est ainsi caricaturé en maillot de bain moulant et traditionnel bonnet des sauveteurs en mer, tenue qu'il arbore à chaque manifestation sportive à laquelle il participe. Dans une note datée de 2007 et publiée par WikiLeaks,
un ancien ambassadeur américain en Australie qualifiait ainsi le conservateur comme un "homme marqué très à droite et qui polarise", avec une "forte propension à se montrer insensible et à provoquer la controverse""Monsieur inéligible", avait résumé l'un des poids lourds du parti libéral, alors que sa place de leader était controversé.
Après la prise de pouvoir de Julia Gillard en 2010, Tony Abbott campe pourtant encore un peu plus sur ses positions, ce qui lui vaut d'être qualifié de machiste par la première ministre en personne en plein Parlement, dans un discours qui a fait date. Elle répondait notamment à une sortie de Tony Abbott qui, voulant critiquer la taxe carbone mise au point par le gouvernement Gillard, avait expliqué "que les femmes au foyer australiennes doivent comprendreque, si elles amènent leur linge à repasser au pressing, elles vont payer plus cher, mais en même temps, leur facture d’électricité sera plus élevée si elles font leur repassage elles-mêmes".
Dans la même période, Tony Abbott a également été accusé d’avoir agressé physiquement, dans les années 1970 alors qu’il était étudiant, une rivale lors d’une élection interne au sein de l’université. Des accusations que le leader des libéraux a toujours réfutées.
Mais alors qu'est ce qui a permis à Tony Abbott de devenir celui dont le triomphe est annoncé samedi à la une de tous les journaux du pays ? "Ces derniers mois, Tony Abbott a énormément travaillé pour lisser son image", analyse Lisa Hill, professeur en sciences politique à l'université d'Adélaïde. "La carte familiale était son va-tout".
Honni par une large majorité des Australiennes, Tony Abbott a en effet su miser ces derniers mois sur la personnalité de sa femme et surtout de ses deux filles, Bridget et Frances, respectivement 20 et 22 ans. Les deux jeunes femmes ont ainsi fait des apparitions régulières à ses côtés, cherchant à donner une image différente de l'homme politique."Pour être honnête, papa est super cool"expliquait ainsi Frances dans une interview très remarquée au Sun Herald, c'est "la personne la plus cool et calme que je connaisse. C'est difficile de le décrire, mais ce n'est vraiment pas un gros idiot comme on voudrait le faire croire." Toutes les deux en faveur du mariage homosexuel, elles ont contribué à adoucir l'image de Tony Abbott, dont le rôle de père avait jusque là était résumé par le fait qu'il avait demandé à ses filles de rester vierges jusqu'au mariage. La tâche était toutefois difficile, comme le prouve la dernière gaffe de leur père, qui, dans un message diffusé vendredi 6 août, explique qu'il faut voter pour lui parce qu'il est "le mec avec deux filles pas désagréables à regarder".
Mais si le conservateur a beaucoup travaillé sur son image, abandonnant le plus souvent possible son costume de sportif dénué de sentiments, "il a avant tout profité du fait que les travaillistes s'entretuent en face", explique Zareh Ghazarian, analyste politique à la Monash University. Le chaos dans le camp adverse a en effet laisser un boulevard aux libéraux pour s'imposer dans le coeur des Australiens. "Le résultat, c'est que Tony Abbott est toujours assez impopulaire, mais que les libéraux vont gagner", analyse le spécialiste.
Son adversaire, l'actuel premier ministre travailliste, Kevin Rudd, s'est en effet échiné durant toute la campagne pour faire ressortir le spectre de ce Tony Abbott mal-aimé. Qualifié par son opposant de violent et d’extrémiste prêt à fait plonger l'Australie dans l'austérité, Tony Abbott "a eu la force incroyable de rester calme et de ne pas rentrer dans le jeu du dénigrement", explique Zareh Ghazarian. En se hissant au dessus du débat, il n'a cessé de répéter la formule magique sur laquelle il a bâti sa campagne :"la fin des dépenses inutiles, la fin des bateaux de demandeurs d'asile, la fin de la taxe carbone".
Forts de leur avance dans les sondages, les libéraux se sont même offerts le luxe de ne dévoiler le budget de leur programme que deux jours avant le scrutin. Celui-ci montre assez classiquement des coupes drastiques notamment dans l'aide extérieure de l'Australie et dans le secteur public. Symbole toutefois de la marque de Tony Abbott dans le parti, l'un des projets les plus ambitieux du programme met en place l'un des plus généreux congés maternité au monde, destiné directement à séduire l'électorat féminin. Une stratégie payante, à en croire les sondages, puisqu'il devance de plus de dix points son adversaire dans les derniers sondages.
Interrogé par The Economist, David Marr, l'auteur de la biographie de Tony Abbott,Animal politique, affirme que l'Australie "n'a jamais connu un potentiel premier ministre dont le comportement soit si difficile à prédire." "Parce qu'il n'a été jusque là qu'un chien d'attaque focalisé sur le fait de gagner les élections, sa capacité à gouverner en tant que premier ministre est tout à fait inconnue."

Source  Le Monde

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