Monday, May 21, 2012

Bamako, président blessé, qui a le pouvoir ?


Juste au moment où une solution semblait avoir été trouvée à Bamako, la capitale malienne est secouée par une nouvelle crise, dans la journée de lundi, en attendant la suite. Celle-ci aurait pu entraîner une catastrophe. Même si tous les détails ne sont pas encore clairs, il semble acquis que les manifestants pro-junte qui ont envahi dans la journée le palais présidentiel de Koulouba ont réussi à pénétrer jusqu'au bureau du président de la transition, Diacounda Traoré, et à blesser - légèrement - ce dernier.

L'ex-président de l'Assemblée nationale, nommé début avril à la tête de la transition post-coup d'Etat, a depuis plus d'un mois toutes les peines du monde à s'imposer face aux militaires putschistes, qui avaient renversé le président le 22 mars avant de se plier à un retour à l'ordre constitutionnel. Cette fois, il a frôlé le pire. Il a été dégagé de son bureau et de la présidence envahis par des manifestants hostiles grâce à sa propre sécurité, qui a ouvert le feu. Il y aurait plusieurs morts parmi les manifestants pro-junte. Diacounda Traoré, lui, n'aurait été blessé que de manière superficielle, semble-t-il, à la paupière. Il ne semble pas avoir été transporté inconscient à l'hôpital comme cela avait été affirmé en fin de journée à Bamako.

Mais dans la capitale, d'autres mouvements ont eu lieu, au cours d'une nouvelle journée sur le fil du rasoir. Des manifestants pro-junte ont notamment bloqué un pont avec des pneus enflammés, et envahi des ministères. D'autres seraient allés jusqu'au camp de Kati, à une quinzaine de kilomètres de la ville, pour y demander aux soldats du CNRDRE de reprendre le pouvoir. car telle est la manoeuvre : l'ensemble de ces actions est destiné à demander, par la rue, le retour des militaires au pouvoir.

Justement, au cours du week-end, le capitaine Sanogo, chef des ex-putschistes du CNRDRE (Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'état) avait accepté de céder sur un point essentiel, en consentant à ce que la transition, présidée par Diacounda Traoré, soit prolongée d'un an au-delà de la date butoir du 22 mai qui devait marquer, selon le texte de la Constitution, la fin de la période de 40 jours accordée au pouvoir intérimaire pour organiser des élections, chose naturellement impossible, alors que le pays est en crise et le Nord aux mains de groupes rebelles. Dimanche, en tout cas, les militaires semblaient se résigner à laisser gouverner les civils. le capitaine Sanogo, chef du CNRDRE, avait même été honoré d'un statut "d'ex-chef d'Etat", avec tous les avantages inhérents.

Le lendemain, comme par enchantement, des manifestants envahissent certains points de Bamako pour appeler les militaires à rester au pouvoir... A ce stade, bien sûr, rien d'irrattrapable ne s'est produit. "Il y a eu plus de peur que de mal", assure Oumar Hamadoun Dicko, président du PSP et l'un des leader du Front du refus (FDR), anti-putschsites.
Une précision s'impose à ce stade : sur le papier, le capitaine Sanogo et ses proches, les membres du CNRDRE, n'exercent plus le pouvoir. La médiation du Burkina Faso a obtenu le retour à la légalité constitutionnelle le 6 avril, lorsque le capitaine Sanogo a accepté de signer un accord cadre restituant le pouvoir aux civils. Mais dans les faits, le centre nerveux de ce pouvoir était resté depuis dans le camp de Kati, d'où sont originaires la plupart des membres du CNRDRE. Cette situation avait pris fin pendant le week-end grâce à la signature d'un nouvel accord.

La Cédéao, l'organisation des pays de la région qui s'est dressée très vite contre le putsch du 22 mars et a encadré depuis les négociation, a multiplié les pression sur les militaires pour qu'ils retournent dans leurs camps et casernes. Le Burkina Faso a oeuvré pour que les négociations l'emportent sur la manière forte, redoutant les conséquences de sanctions ou d'une intervention militaire sur leur propre pays, qui a ses propres sources d'instabilité.

Jusqu'ici, l'approche du Burkina Faso s'est imposée. A présent, les autres chefs d'Etat de la Cédéao favorables à un ton plus dur, voire au déploiement d'une force, vont-ils imposer leur manière de voir ?
Le déploiement d'une force militaire régionale a fait l'objet de discussions. Une force de 3 000 hommes pourrait en théorie être mise sur pied pour se déployer au Mali, mais jusqu'ici, aucun accord n'a été trouvé sur son mandat, et par conséquent ses objectifs précis, pas plus que sur son financement ou son équipement.
La France et les Etats-Unis, l'Europe, ainsi que les Nations unies, pourraient être mis à contribution pour financer et équiper une telle force. Avant d'en arriver là, encore faudrait-il être certain de bien savoir à quelle force exactement il est fait référence. Une force qui se dirigerait vers le nord du pays, pour en chasser les rebelles parmi lesquels se trouvent des combattants islamistes et des groupes djihadistes, ne semble pas à l'ordre du jour. Il fait, à cette période de l'année, une chaleur telle dans la région du Sahara, qu'il semble difficile d'y déployer des soldats originaires de pays au climat moins rude.

Faut-il alors déployer des troupes ouest-africaines entre le Nord et le Sud, pour faire tampon entre les rebelles et le reste du Mali ? Cela risquerait de geler la situation pour longtemps, en offrant un sanctuaire aux rebelles. En Côte d'Ivoire, pays voisin, ce genre de déploiement a entériné une partition de fait pendant près d'une décennie. Nul ne veut reproduire cette expérience au Mali.

Reste alors l'hypothèse d'une force de protection des institutions, qui se déploierait à Bamako pour y protéger le président de transition, son premier ministre, le gouvernement, l'assemblée, certains responsables politiques. Cela afin d'éviter, justement, les violences de lundi. Les militaires, capitaine Sanogo en tête, y sont naturellement fortement opposés. Mais une partie de l'opinion malienne, dans des proportions impossibles à mesurer, y est également hostile, jugeant qu'une force régionale violerait la souveraineté du pays. Le gouvernement de transition devait régler cette question en appelant officiellement à ce déploiement. Le principe d'une force, une fois le mandat définir, aurait alors été validé par la Cédéao, puis par l'Union africaine, et enfin par les Nations unies. On en est encore loin, mais les événements de lundi vont pousser à réfléchir plus en profondeur sur ce projet.

Après tout, des manifestants pro-junte ont réussi entrer dans le palais présidentiel malien, jusqu'au bureau du chef de l'Etat par intérim. Koulouba (la présidence malienne) se trouve sur une haute colline qui domine la capitale. On y accède par une route en lacets. C'est dire si les manifestants, venus à pied, n'ont pas précisément bénéficié d'un effet de surprise. Petit rappel : le soir du 21 mars, lorsque une mutinerie s'est muée en coup d'Etat, renversant le président Amadou Toumani Touré, les soldats venus du camp de Kati, qui se trouve à une dizaine de kilomètres après Koulouba, avaient cerné les bâtiments avec leurs blindés. Il y avait eu des combats, contre les éléments des "bérets rouges", unité d'élite fidèle à Amadou Toumani Touré (ATT), qui s'est exilé depuis au Sénégal.

Alors que les "bérets rouges" décrochaient dans la nuit du 21 mars, une partie de Koulouba avait été la proie des flammes. Et l'ensemble du palais avait été pillé. Tout comme la "cité administrative" - ex-cité Mouammar Kadhafi - dont la construction avait été financée en grande partie par la Libye. C'est dans cette cité administrative que se trouvent la plupart des nouveaux ministères de Bamako, dans un quartier proche du fleuve. C'est aussi dans cet ensemble d'immeubles flambant neufs, mais déjà débaptisés (lors de la crise en Libye) et déjà pillés (dans les heures ayant suivi le putsch), que le premier ministre Cheick Modibo Diarra a installé ses propres bureaux. Il ne semble pas avoir subi de violences lundi, alors que des manifestants scandant des slogans favorables au maintien au pouvoir du président du CNRDRE, le capitaine Sanogo, avaient envahi les lieux.

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