Friday, May 25, 2012

Militaire contre « Frère », le choc redouté du second tour de la présidentielle égyptienne


Ce sera donc le "Frère" contre le militaire. Le second tour de la présidentielle égyptienne se jouera entre Mohammed Morsi, le candidat du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), la façade politique des Frères musulmans, et Ahmed Chafik, dernier premier ministre d'Hosni Moubarak et ancien général à la retraite. Prévu les 16 et 17 juin, ce deuxième tour s'annonce explosif : il va mettre aux prises les deux principales forces du pays de ces cinquante dernières années, les Frères musulmans et l'armée.
Les résultats officiels du premier tour ne sont pas attendus avant mardi. Mais voici, en nombre de voix et en pourcentage (sur une vingtaine de millions de suffrages exprimés puisque la participation a été de 50 %), l'ordre d'arrivée et le poids des principaux candidats. Attention, ces chiffres, compilés par nos soins de différentes sources n'ont rien de définitif :
- Mohammed Morsi : 5,5 millions de voix (27,5 %)
- Ahmed Chafik : 5,2 millions (26 %)
- Hamdin Sabahi : 4,7 millions (23,5 %)
- Abdel Moneim Aboul Foutouh : 3,9 millions (19,5 %)
- Amr Moussa : plus de 2 millions (plus de 10 %)

Le pire scénario
Pour beaucoup d'Egyptiens, le duel Morsi-Chafik est le pire possible : ils vont devoir choisir entre le partisan affiché d'un Etat islamique et le tenant sans complexe d'un retour à l'ordre ancien. Ahmed Khaïry, porte-parole du Parti des Egyptiens libres, résume cette confrontation à "un affrontement entre un islamo-fasciste et un militaro-fasciste".
La campagne, qui s'est jusqu'à présent déroulée sans incident, pourrait prendre un tour nettement plus conflictuel durant les trois semaines qui séparent du second tour. D'autant que le 2 juin est attendu le verdict dans le procès d'Hosni Moubarak, détenu dans un hôpital. Le parquet a requis la peine de mort, le jugeant personnellement responsable des tirs ayant provoqué la mort de près d'un millier de manifestants entre le 25 janvier et le 11 février 2011, jour de sa démission.
Handicaps surmontés
Ces résultats constituent une relative surprise au vu de la campagne et, surtout, des sondages. Chafik comme Morsi sont entrés dans la course quelques heures seulement avant la clôture des candidatures. Ils sont également entrés en campagne avec de gros handicaps : pour Ahmed Chafik, son image de "contre-révolutionnaire" et notamment sa nomination en pleine révolution par un raïs quasi déchu, deux jours seulement avant la fameuse bataille des chameaux ; du côté de Mohammed Morsi, son statut de remplaçant de Khaïrat Al-Chater, l'homme fort de la confrérie dont la candidature a été invalidée, ainsi que le piètre bilan des députés Frères musulmans depuis leur entrée au Parlement en janvier.
Une envie de positions tranchées
Chafik et Morsi ont tous deux largement contredit les sondages et les commentateurs, probablement parce qu'ils incarnent tous deux le mieux l'aspiration à l'ordre de la société égyptienne, un ordre religieux et social dans le cas des Frères et un ordre sécuritaire et économique dans celui du candidat de l'armée. La redoutable machine électorale des Frères musulmans a finalement eu raison du dissident Abdel Moneim Aboul Foutouh, qui tentait de concilier libéraux et islamistes, révolutionnaires et traditionalistes. Cette machine "frériste" a encore fait ses preuves vendredi en donnant avant même les autorités les résultats bureau de vote par bureau de vote. Quant à Ahmed Chafik, les électeurs l'ont préféré à Amr Moussa, probablement pour son passé militaire et sa réputation d'homme à poigne, tandis que le secrétaire général de la Ligue arabe et ex-ministre des affaires étrangères est resté trop flou, tentant de faire convaincre qu'il avait un pied dans la révolution et un pied dehors. Son effondrement est une surprise. Les électeurs égyptiens ont opté pour des discours clairs et tranchés.
La surprise Sabahi
C'est également le cas de l'autre grande surprise de ce premier tour : Hamdin Sabahi, qui arrive troisième et a même menacé un temps la deuxième place d'Ahmed Chafik. Issu de la gauche nassérienne, cet opposant historique inconnu du grand public il y a un an est arrivé en tête dans les grandes villes, qui ont été en pointe durant la révolution, au Caire et à Alexandrie. Il mène également dans les villes industrielles de Suez, à Port-Saïd, à Mehalla Al-Kobra, Damanhour. En revanche, sa faiblesse en Haute et Moyenne-Egypte constitue un handicap trop important. Reste à savoir si le ressort du vote Sabahi est plutôt social ou nationaliste. La question est importante en vue du second tour.
Reports et désistements
Ceux qui ne veulent à aucun prix de l'Etat islamique promis par les Frères musulmans se rallieront-ils à un homme qui brocardait les manifestants de la place Tahrir en pleine révolution en proposant de leur "distribuer des bonbons" ?
D'ores et déjà, les Frères musulmans ont cherché à gagner le vote des pro-révolution, qui s'est porté essentiellement sur le nassérien Sabahi mais aussi sur l'islamiste indépendant Aboul Foutouh, arrivé quatrième. Ce dernier a annoncé vendredi soir qu'il allait "commencer immédiatement un dialogue et des réunions avec toutes les forces nationales afin de rassembler nos efforts et nos votes et nous opposer au régime corrompu", une allusion transparente à Ahmed Chafik. La position de Sabahi, que son passé nassérien rend moins critique envers l'armée, risque d'être plus difficile.
Les trois semaines d'attente jusqu'au second tour s'annoncent passionnantes et mouvementées.
Christophe Ayad

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