Monday, January 14, 2008

Comment va l'économie mondiale ?

La crise mondiale des crédits et des liquidités, débutée en août dernier, s’est aggravée durant ces dernières semaines. Cela se démontre aisément : aux États-Unis, dans la zone euro et au Royaume-Uni, les écarts entre les taux d’intérêts Libor (auxquels les banques se prêtent entre elles) et ceux des banques centrales – et des obligations d’État – sont extrêmement élevés et ont augmenté depuis le début de la crise. Cela indique une aversion pour le risque et une méfiance entre les différents protagonistes.



Certes, les grandes banques centrales ont injecté des dizaines de milliards de dollars de liquidités dans le secteur des banques commerciales, et la Réserve fédérale américaine, la Banque d’Angleterre et celle du Canada ont baissé leurs taux d’intérêts. Mais la dégradation des conditions financières prouve que cette politique a échoué.

Il n’est donc pas étonnant que les banques centrales soient de plus en plus désespérées face à la pire crise financière qu’elles aient connue depuis l’avènement de la mondialisation financière. Au risque de paraître brusque, l’annonce récente d’injections coordonnées de liquidités de la part de la Fed et de quatre autres grandes banques centrales arrive un peu tard.

Ces mesures ne pourront réduire de manière significative les écarts interbancaires, car les politiques monétaires ne peuvent résoudre les vrais problèmes sous-jacents à la crise. Le problème n’est pas uniquement le manque de liquidités – des institutions financières avec des dettes à court terme et des actifs non liquides à terme plus long. Nombre d’autres agents économiques font face à de graves problèmes de crédit et de solvabilité, notamment les millions de ménages américains et européens qui ont contracté des emprunts hypothécaires excessifs, les centaines de prêteurs de subprimes en faillite, le nombre croissant de promoteurs en difficulté, les nombreuses institutions financières fortement endettées et, de plus en plus, le secteur des entreprises.

Par ailleurs, les injections monétaires ne peuvent résoudre l’incertitude généralisée d’un système financier dans lequel la mondialisation et la sécurisation ont entraîné un manque de transparence qui a fortement nuit à la confiance. Lorsque l’on ne fait pas confiance à ses interlocuteurs financiers, on ne leur prête pas, quel que soit l’argent dont on dispose.

Quoi que fasse la Fed, les États-Unis sont en route vers la récession. L’addition des problèmes concrets et financiers – la plus grosse récession immobilière qu’aient jamais connue les États-Unis, le pétrole à 90 $ ou plus le baril, une grave crise des crédits, la chute des investissements des entreprises et la faible épargne de consommateurs surendettés ayant subi plusieurs chocs négatifs – fait que la récession est inévitable. D’autres économies seront sans doute entraînées dans cette chute au fur et à mesure que la contagion américaine se propagera.

Pour atténuer les effets d’une récession américaine et d’une dépression économique mondiale, la Fed et d’autres banques centrales devraient réduire leurs taux de manière beaucoup plus agressive, plutôt que de compter sur des petites injections de liquidités vouées à l’échec. La baisse de 25 points de base des taux directeurs de la Fed en décembre était bien faible par rapport à ce qu’il aurait été nécessaire de faire ; des réductions similaires réalisées par la Banque d’Angleterre et la Banque du Canada ne commencent même pas à compenser l’augmentation des taux nominaux et des taux d’emprunt réels provoqués par la forte hausse des taux du Libor. Les banques centrales auraient dû annoncer une réduction coordonnée de 50 points de base pour montrer leur volonté d’éviter un atterrissage en catastrophe de l’économie mondiale.

De même, la BCE a tort de refuser de réduire ses taux – elle imagine à tort qu’elle pourra les remonter une fois que la crise soit disant “temporaire” des crédits sera passée. Compte tenu du dégonflement des bulles immobilières, de la hausse des prix du pétrole et de la force de l’euro, qui gêne déjà la croissance, la BCE est quasiment en train d’assurer à la zone euro un ralentissement brutal.

Dans tous les cas, les mesures récemment annoncées par la Fed et d’autres banques centrales ne vont pas dans le bon sens. Les marchés financiers d’aujourd’hui sont dominés par des institutions non bancaires – banques d’investissement, fonds de placements sur les marchés monétaires, fonds spéculatifs, prêteurs hypothécaires n’acceptant pas les dépôts, “structured investment vehicles” (SIV), voire fonds d’investissement nationaux ou locaux – qui n’ont aucun accès direct ou indirect aux liquidités fournies par les banques centrales. Toutes ces institutions non bancaires présentent aujourd’hui des risques de voir une pénurie de liquidités.

La législation américaine interdit formellement à la Fed de prêter à des institutions non bancaires – hormis en cas d’urgence, mais cela implique un processus d’approbation long et complexe, ainsi que l’apport de garanties élevées. Jamais dans l’histoire, la Fed n’a prêté à une institution non bancaire.

Le risque augmente donc de voir une sorte de “course aux guichets” (“bank run”) toucher les institutions financières non bancaires, en raison de leurs dettes à court terme et de leurs actifs non liquides à plus long terme – c’est du moins ce que laissent penser les problèmes récents de certaines banques (Northern Rock), de certains fonds de placements sur les marchés monétaires, de certains fonds d’investissements nationaux et de certains fonds spéculatifs. Il y a peu de chances que les banques re-prêtent à ces institutions non bancaires les fonds qu’elles ont empruntés aux banques centrales, compte tenu de leurs propres problèmes de liquidités et du peu de confiance qu’elles accordent aux agents non bancaires.

Des réformes majeures de politique, de régulation et de surveillance vont être nécessaires pour nettoyer le désordre actuel et assainir le système financier mondial. Les politiques monétaires ne peuvent à elles seules résoudre les conséquences de l’inaction des régulateurs et des superviseurs face aux excès de crédits de ces dernières années. Un atterrissage en catastrophe de l’économie américaine est donc aussi inévitable qu’un ralentissement de l’économie mondiale. Une baisse plus importante et plus rapide des taux d’intérêts officiels pourra, au mieux, influencer la durée de la crise à venir.

L'économie mondiale a connu quelques bonnes années. La croissance a été forte, le fossé entre les pays développés et les pays en développement s'est rétréci, l'Inde et la Chine ouvrant la voie avec une croissance de leur PIB de 11,1% et 9,7% en 2006 et de 11,5 et 8,9% en 2007 respectivement. Même l'Afrique ne s'en est pas si mal sortie, avec un taux de croissance supérieur à 5% en 2006 et en 2007.


Mais la période faste touche peut-être à sa fin. On s'inquiète depuis des années du déséquilibre général causé par les énormes emprunts américains à l'étranger. L'Amérique dit que le monde devrait la remercier : en vivant au-dessus de ses moyens, elle a soutenu l'économie mondiale, notamment grâce aux taux d'épargne en Asie, qui a accumulé des milliards de dollars en réserve. Mais il était évident que la croissance de l'Amérique sous Georges Bush ne pouvait durer longtemps. L'instant de vérité est arrivé.

La malencontreuse guerre américaine en Irak a participé à la multiplication par quatre du prix du pétrole depuis 2003. Durant les années 1970, les chocs pétroliers ont engendré l'inflation dans certains pays et à la récession dans d'autres, alors que les gouvernements augmentaient les taux d'intérêt pour combattre la hausse des prix. Certaines économies ont eu à faire face au pire des deux fléaux : la stagflation.

Jusqu'à présent, trois facteurs essentiels ont limité la hausse du prix du pétrole. Tout d'abord la Chine, avec l'énorme augmentation de sa productivité – reposant sur un haut niveau d'investissement, notamment dans l'éducation et la technologie – qui a exporté sa déflation. Ensuite les USA qui ont bénéficié de cette situation en baissant leurs taux d'intérêt à des niveaux sans précédent, provoquant la formation d'une bulle immobilière avec des prêts accessibles à pratiquement tout le monde. Finalement, ce sont les travailleurs partout dans le monde qui en ont supporté les conséquences, avec des salaires réels en baisse et une part plus faible du PIB.



Une menace mortelle pour les pays en développement

Ce jeu est terminé. La Chine est maintenant confrontée à une pression inflationniste. Par ailleurs, si les USA parviennent à convaincre la Chine de laisser sa monnaie s'apprécier, le coût de la vie aux USA et ailleurs augmentera. Avec l'augmentation du prix des biocarburants, les marchés de l'agriculture et de l'énergie sont devenus intégrés. Si l'on y ajoute l'augmentation de la demande des hauts revenus et une baisse de l'offre pour des raisons climatiques, on peut s'attendre à une hausse du prix dans l'alimentation - une menace mortelle pour les pays en développement.

Cela pourrait mettre un coup d'arrêt à la surconsommation aux USA. Même si la Réserve fédérale continue à baisser les taux d'intérêt, personne ne va se précipiter pour financer des prêts dans l'immobilier. Avec la baisse des prix dans ce secteur, de moins en moins d'Américains voudront et pourront poursuivre leur frénésie de dépenses.

Le gouvernement Bush espère d'une manière ou d'une autre retarder une vague de saisies, et va laisser au prochain président la tache de résoudre les problèmes économiques, exactement comme il le fait avec le bourbier irakien. Ses chances de réussite sont faibles. Pour l'Amérique, la vraie question est aujourd'hui simplement de savoir si le ralentissement va être de courte durée, mais brutal, ou moins marqué, mais prolongé.

L'Amérique exporte ses difficultés, non seulement par l'intermédiaire de ses prêts dangereux et de ses mauvaises pratiques financières, mais aussi par un dollar toujours plus faible, en partie conséquence d'une politique micro et macroéconomique erronée. Ainsi, il va être de plus en plus difficile à l'Europe d'exporter. Et comme l'économie mondiale s'est bâtie sur un “dollar fort”, l'instabilité des marchés financiers liée à son affaiblissement sera coûteuse pour tous.

En même temps, il y a eu une redistribution massive des revenus au niveau mondial d'une part des pays importateurs de pétrole vers les pays producteurs – dont un nombre disproportionné est constitué d'Etats non démocratiques – et d'autre part des travailleurs partout dans le monde vers les plus riches. Les salariés vont-ils accepter encore longtemps la baisse de leur niveau de vie au nom d'une mondialisation inéquitable dont les promesses apparaissent de plus en plus illusoires. En Amérique on sent déjà le mécontentement qui monte.



Douche froide

Pour ceux qui pensent qu'une mondialisation bien gérée peut bénéficier tant aux pays développés qu'aux pays en développement et qui croient en la justice sociale et à l'importance de la démocratie (ce à quoi adhère les éléments les plus dynamiques des classes moyennes), tout cela fait l'effet d'une douche froide. Les ajustements économiques de cette ampleur sont toujours douloureux, et la situation économique est d'autant plus difficile aujourd'hui que les gagnants ont tendance à resserrer les cordons de la bourse.

Le revers de la médaille d'un “monde qui croule sous les liquidités” est un monde confronté à une demande globale fléchissante. Au cours des sept dernières années, les dépenses débridées de l'Amérique ont comblé le fossé. Mais maintenant, tant les dépenses du gouvernement que des ménages américains sont appelées à diminuer, les candidats à la présidence des deux partis promettant un retour à une politique budgétaire responsable. Après sept ans durant lesquels l'Amérique a vu sa dette publique passer de 5600 à 9000 milliards de dollars, cela devrait être une bonne nouvelle, mais cela intervient au plus mauvais moment.

Il y a une lueur d'espoir dans ce sombre tableau : la croissance mondiale a des origines plus diverses qu'il y a dix ans. Depuis quelques années, ce sont les pays en développement qui sont les véritables moteurs de la croissance.

Néanmoins, une croissance ralentie – ou une éventuelle récession – de la première économie mondiale aura des conséquences planétaires. Il y aura un ralentissement généralisé. Si les autorités monétaires réagissent de manière appropriée à la pression inflationniste qui monte – en tenant compte de ce qu'elle est essentiellement importée et non la conséquence d'une demande intérieure excessive – nous allons peut-être nous en sortir. Mais si elles augmentent sans cesse les taux d'intérêt pour atteindre leurs objectifs en matière de lutte anti-inflationniste, nous devons nous préparer au pire : un nouvel épisode de stagflation*.

Si les banques centrales se laissent aller à cette politique, elles parviendront sans nul doute à juguler l'inflation, mais le prix à payer en termes de pertes d'emploi, de revenus et de mise à la rue sera énorme.

*La stagflation est la combinaison d'un taux de chômage élevé et d'un haut taux d'inflation. Avant la fin des années 60, les variations de l'activité économique provenaient principalement des perturbations de la demande (fluctuations de la demande globale ou des dépenses totales). Une hausse de la demande globale entraîne une augmentation de la production, de l'emploi et des prix, alors qu'un fléchissement provoque une baisse de la production, une augmentation du taux de chômage et une diminution du taux d'inflation. Dans les années 70 et 80, la stagflation découle en partie des soubresauts de l'offre (augmentation des prix provoquée par celle des coûts de production). Si les gouvernements réagissent à une forte augmentation des prix résultant de perturbations de l'offre en maintenant constante la dépense globale de l'économie, celle-ci connaîtra une grave récession, car des dépenses d'énergie ou d'alimentation plus élevées devront être compensées par une diminution des dépenses pour d'autres biens et services, ce qui aboutit à un recul de la production et de l'emploi. Si les gouvernements accroissent les dépenses totales, il y aura inflation. La majorité des gouvernements occidentaux ont choisi une politique qui se situe entre ces deux extrêmes, augmentant ainsi à la fois l'inflation et le chômage. Les anticipations peuvent aussi avoir un effet sur la stagflation. Quand les gens prévoient que l'inflation va se maintenir, ils déterminent les salaires et les prix en conséquence, donnant ainsi à l'inflation une impulsion qu'on ne peut freiner rapidement.

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