Un peu plus de six mois après sa présentation en conseil des ministres, le projet de loi renforçant la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière a été définitivement adopté, mardi 5 novembre, à l'Assemblée nationale. Cela pourrait presque sembler anodin, tant l'air du temps pousse plutôt à entonner la ritournelle du « ras-le-bol fiscal » ou à se gausser des reculades de l'exécutif. Il s'agit pourtant d'un texte majeur pour augmenter les moyens de lutte contre le fléau de la fraude fiscale à grande échelle.
Un fléau dont, depuis quelques années, les Etats victimes de l'évasion frauduleuse de capitaux vers des paradis fiscaux et judiciaires ont commencé à prendre la mesure. Pour la France, le montant annuel des pertes fiscales se chiffre entre 60 et 80 milliards d'euros. En 2012, les contrôles fiscaux ont permis de procéder à des redressements à hauteur de 18 milliards d'euros. Il n'en reste pas moins une perte nette de recettes fiscales de l'ordre d'une cinquantaine de milliards d'euros, l'équivalent du budget de l'éducation. Cette fuite nourrit le sentiment d'inégalité devant l'impôt et contribue à l'alourdissement de la charge pour ceux qui le paient.
Il s'agit donc d'un enjeu national, qui s'est télescopé avec l'affaire Cahuzac, contraignant François Hollande et son gouvernement à presser le pas. Ce dispositif s'ajoute aux mesures adoptées dans le cadre de la loi de finances rectificative de l'été 2012. La lutte contre la fraude fiscale est bel et bien devenue à la fois un symbole et une priorité. « Une rupture par rapport à une certaine forme de tolérance », se félicite le rapporteur, Yann Galut (PS, Cher).
CRÉATION D'UN PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE FINANCIER
Le texte soumis au vote fait de la fraude fiscale « en bande organisée » une circonstance aggravante. Le champ de la procédure judiciaire sera élargi et les enquêteurs pourront avoir recours aux « techniques spéciales d'enquête » telles que la surveillance, les écoutes, l'infiltration, les saisies conservatoires ou encore la garde à vue de quatre jours.
Il autorise aussi l'administration fiscale à exploiter les listes ou les fichiers de fraudeurs qu'elle reçoit, « quelle qu'en soit l'origine ». La fraude fiscale en bande organisée sera passible de sept années d'emprisonnement et d'une amende de 2 millions d'euros.
Autre disposition importante du projet de loi organique examiné simultanément : la création d'un procureur de la République financier, doté de moyens spécifiques, avec des magistrats spécialisés. « C'est la clé de voûte de l'amélioration de la lutte contre la corruption et la délinquance économique et financière », a défendu la garde des sceaux, Christiane Taubira, malgré l'opposition du Sénat. L'Assemblée, qui a le dernier mot en cas de désaccord entre les deux chambres, l'a rétabli dans la version définitive.
4000 DOSSIERS DE RÉGULARISATION
Les députés ont par ailleurs introduit de nouvelles dispositions reconnaissant aux associations le droit de se constituer partie civile, ainsi que sur les lanceurs d'alerte ou le statut des repentis. Ils ont aussi autorisé les douanes à recourir aux techniques spéciales d'enquête et durci l'amende dont est passible le détenteur d'un trust non déclaré. « Avec cette loi, nous nous hissons à la hauteur de nos partenaires européens, assure M. Galut. Ceux qui vont faire l'erreur de ne pas se régulariser doivent savoir qu'à un moment ou à un autre ils ne seront plus dans l'impunité. »
Depuis le mois de juin, en effet, le gouvernement a publié une circulaire indiquant les conditions dans lesquelles les détenteurs d'un compte à l'étranger peuvent faire une demande de régularisation, avant la promulgation de la loi. « Depuis cette date, 4 000 dossiers ont été déposés », a indiqué le ministre délégué chargé du budget, Bernard Cazeneuve, à l'Assemblée nationale, qui espère atteindre en 2014 un niveau de recettes au titre de la lutte contre la fraude fiscale « inégalé ».
L'examen, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, des articles non rattachés devrait être l'occasion, pour les députés de la majorité, de proposer de nouveaux amendements afin de freiner cette fois l'optimisation fiscale des grandes entreprises, qui contournent par des moyens divers les règles fiscales en vigueur.
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