Un hiver rigoureux suivi d'un printemps pluvieux et d'un été sec : les ruches ont souffert au cours de ces derniers mois. La récolte ne sera pas abondante en 2012 et le moral des apiculteurs, déjà fortement touché par les ravages des pesticides sur leurs abeilles, est au plus bas.
A Ribeauvillé, dans le département du Haut-Rhin, une autre mauvaise surprise attendait les apiculteurs. Début août, plusieurs d'entre eux constatent que leurs abeilles ramènent d'étranges produits de couleur, bleu ou vert, parfois marron chocolat. Les quantités transportées sont importantes au point de bloquer la ponte. Un désastre, car c'est en été que les reines pondent les "abeilles d'hiver" qui permettront à la ruche de passer la saison du froid. Puis, très vite, les apiculteurs récoltent une étrange mixture à la couleur tout à fait inhabituelle.Une douzaine de producteurs sont touchés. Le syndicat des apiculteurs de Ribeauvillé mène une enquête, fait fausse route plusieurs fois avant d'identifier au bout de trois semaines la source probable de l'altération du miel. Sur le site d'une entreprise de méthanisation de déchets – qui permet, entre autres, de produire du biogaz –, il découvre une colonie d'abeilles au-dessus de gros conteneurs abritant un produit de couleur identique à la mixture qu'elles ramènent à la ruche.
La PME concernée, Agrivalor, a ouvert ses portes le 26 janvier, à l'initiative de trois agriculteurs. Cette unité de méthanisation s'inscrit, pour la commune, dans un cercle vertueux. Elle produit de l'énergie à partir de la dégradation de déchets organiques, denrées alimentaires périmées ou invendues, résidus de cuisines ou de l'industrie agroalimentaire.
MIEL NON COMMERCIALISABLE ET AVENIR INCERTAIN
Alain Frieh, le président du syndicat des apiculteurs, s'inquiète auprès du directeur du site de ce qui se trouve dans les conteneurs et des conséquences sanitaires possibles sur ses abeilles et la qualité de son miel. D'où viennent ces résidus industriels ? Les colorants sont-ils d'origine naturelle ou chimique ? Contiennent-ils des OGM ? Interrogée par Le Monde, l'entreprise n'a pas souhaité "faire de commentaires", confirmant seulement "valoriser" des déchets sucrés.
Dans un courrier adressé, le 21 avril, au maire de Ribeauvillé, M. Frieh explique que le directeur d'Agrivalor, Philippe Meinrad, leur a indiqué, au cours d'une visite du site, que "les conteneurs contiennent des résidus de confiserie industrielle des établissements Mars". La multinationale américaine dispose de plusieurs sites de production en Alsace, notamment à Haguenau, où sont confectionnés les fameux M&M's, ces pastilles chocolatées de toutes les couleurs. Depuis plusieurs années, l'entreprise Mars vante son engagement dans le développement durable, en particulier la valorisation de ses déchets...
Agrivalor, dans un courrier adressé au syndicat apicole, le 6 septembre, reconnaît à demi-mot les faits, "déplore très sincèrement la situation", mais soutient que "les sous-produits sucrés" valorisés sur le site de méthanisation sont "conformes à l'arrêté préfectoral d'autorisation d'exploiter". "Nous n'imaginions à aucun moment que la présence de sous-produits sucrés dans l'enceinte de notre site aurait une relation avec l'exploitation de vos ruches."
La PME assure qu'elle va cependant vidanger et nettoyer les conteneurs et conditionner les futurs arrivages de sucreries dans "des contenants étanches et rapidement traités".
Mais pour les apiculteurs, le miel reste non commercialisable et l'avenir incertain. Le syndicat a décidé de faire analyser son "miel bleu". Il faudra attendre le printemps 2013 pour savoir si les abeilles de Ribeauvillé nourries aux résidus de Mars se portent bien.
Sophie Landrin
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