5 milliards de dollars au minimum. Tel est le montant des pertes de revenus subies par Madagascar depuis le début de la crise.
L’estimation est de la Banque mondiale qui
renoue avec son analyse économique trimestrielle « Madagascar Economic
Update » dont nous reprenons ci-après l’intégralité de la section
première intitulée « le contexte national : les coûts socio-économiques
de la crise 2009-2012 ». L’analyse décrit ce que le pays et sa
population vivent tragiquement au quotidien. Elle livre des chiffres
pour permettre à chacun de se faire une idée de ce qui nous arrive au
cas où on ne réaliserait pas encore la douloureuse réalité. Elle doit
réveiller la conscience nationale, et plus précisément celle des
politiciens de tous bords qui sont les premiers et les seuls
responsables. 5 milliards de dollars, c’est l’équivalent de notre dette
extérieure avant les aménagements internationaux (IPPTE, MDRI). 5
milliards de dollars, c’est 4 fois le budget général de l’Etat malgache
en 2008 qui est indiqué comme une année de forte croissance. Combien de
logements, d’hôpitaux, de routes, de rizières … auraient pu être
construits avec ces 5 milliards de dollars ? Madagascar a déjà assez
chèrement payé les divagations des politiciens. Les situations ci-après
décrites par la Banque mondiale devraient aider les uns et les autres à
se ressaisir. Touchons du bois …
Sa
La
crise politique qui perdure à Madagascar a imposé un lourd tribut à
l'économie et la population, et en particulier sur les couches les plus
vulnérables. L’économie est au point mort. La pauvreté a augmenté de
façon alarmante. Les indicateurs sociaux se sont dégradés. La crise a
mis un frein aux progrès vers les défis de longue durée que sont la
faible gouvernance et l’Etat de droit. La capacité d’adaptation aux
chocs exogènes (crise mondiale ou cyclones) est gravement compromise.
Les infrastructures se sont détériorées. L’enlisement dans la crise se
traduira inévitablement par une dégradation de la situation, avec des
impacts sévères à court, moyen et long terme.
Des années de développement socio-économique perdues
1.
Après trois ans et demi de crise politique, les indicateurs économiques
et sociaux de Madagascar ont été gravement affectés. Parmi les
conséquences de cette crise politique qui perdure, les dimensions
suivantes sont particulièrement pertinentes:
•
L’économie est au point mort: la croissance économique globale a stagné
entre 2009-12. S'ajoutant à une importante croissance démographique, le
revenu par habitant en 2012 a chuté pour atteindre son niveau de 2003;
•
La pauvreté a augmenté de façon alarmante: selon les premières
estimations, de 2008 à 2012, le pourcentage de population vivant sous le
seuil de pauvreté (qui était déjà élevé avant la crise) pourrait avoir
augmenté de 10 points, avec les effets les plus importants sur la
période 2011-12 avec la persistance de la crise. En conséquence, et en
combinaison avec la croissance démographique, nous estimons qu‘il y
aurait aujourd‘hui près de 4 millions de personnes de plus qu‘en 2008
qui sont passées sous le seuil de la pauvreté, plaçant ainsi Madagascar
parmi les pays ayant les taux de pauvreté les plus élevés dans le monde.
Ceci est en contraste avec un pays performant, comme le Rwanda, qui a
réduit son taux de pauvreté extrême de 9 points de pourcentage par année
au cours de 2006-11;
• Les
indicateurs sociaux se sont dégradés : malgré des financements liés à la
crise et injectés par les bailleurs de fonds dans les secteurs sociaux,
le nombre d‘enfants non scolarisés a augmenté de 500.000. La
malnutrition aiguë chez les enfants demeure un problème grave, avec une
augmentation de plus de 50 pourcent dans certaines zones. Cette
situation hypothèque le bien-être des générations futures;
•
La crise a mis un frein aux progrès vers les défis de longue durée que
sont la faible gouvernance et l’Etat de droit : la recrudescence de
l'insécurité, la mauvaise gouvernance de l'exploitation des ressources
naturelles (telle que l'exploitation illégale de bois de rose), les
progrès limités dans la lutte contre la corruption, et le problème de
longue date lié à la faible transparence dans la gestion des ressources
publiques sont devenus des enjeux dont l‘urgence s‘est accrue ces
dernières années;
• La capacité
d’adaptation aux chocs exogènes est gravement compromise: les risques
actuels liés au contexte économique mondial, en particulier en Europe,
augmentent la vulnérabilité de l'économie malgache, compte tenu de sa
dépendance aux exportations et au tourisme. Le pays est aussi très
vulnérable aux catastrophes naturelles — y compris les cyclones comme en
2008 et 2012. La crise politique est devenue un obstacle majeur qui
empêche de faire face à ces chocs et de réduire leur impact.
•
Les infrastructures se sont détériorées : en plus des dégâts
cycloniques, de sévères coupes budgétaires au niveau des dépenses
d'investissement et d‘entretien se sont traduites par un état de
dégradation croissant des infrastructures dans le domaine des routes, de
l‘énergie et de l‘eau, compromettant ainsi le développement à moyen et
long termes de l‘économie Malgache;
La croissance économique qui aurait pu être ...
2.
Madagascar dispose d‘un potentiel économique considérable. Au cours des
15 dernières années, le pays a connu 5 années de crise politique à deux
occasions distinctes, dont la plus longue s‘étale sur la période
2009-12. Mais en dehors de ces années de crise, la croissance de
Madagascar s‘est élevée à hauteur de 5 pourcent par an en moyenne (en
faisant abstraction du rebond post-crise de 10 pourcent en 2003). En se
référant à cette croissance annuelle de 5 pourcent, plusieurs
indicateurs donnent une idée de l‘immensité des coûts de la crise
actuelle:
• Le PIB de 2012
devrait se situer légèrement au-dessus du niveau de celui de 2008. Or,
ce chiffre est inférieur de près de 18 pourcent à ce qu'il aurait été
s‘il avait suivi la progression moyenne de 5 pourcent par an. Pour la
plus grande partie de la période depuis 2008, le PIB a été inférieur au
niveau atteint cette année-là. Par conséquent, si le PIB actuel pour la
période 2009-2012 était comparée à une alternative plausible de 5
pourcent de croissance annuelle, cela ferait ressortir une perte cumulée
de revenus pour le pays d‘environ US$ 6,3 milliards, ou environ 60
pourcent du PIB annuel rien que pour les quatre dernières années.
•
Une trajectoire de croissance alternative moins optimiste à cause de la
crise mondiale : les années 2008-10 furent des années de crise
mondiale, dont l‘impact négatif sur l'économie malgache se serait fait
sentir même en période politique normale. En supposant que cet impact
aurait réduit la croissance du PIB malgache autour de 1 pourcent par an
(un chiffre comparable à l'expérience d'autres pays d'Afrique
subsaharienne), de sorte que le taux de croissance de Madagascar serait
de 4 pourcent au lieu de 5 pourcent par an, la perte cumulative de PIB
en raison de la crise politique interne reste énorme: environ US$ 5,3
milliards jusqu‘en 2012, soit environ 50 pourcent du PIB annuel.
•
Chaque année sans croissance économique constitue une année de perte.
Ces revenus ne pourront jamais être récupérés. Les coûts de perte de
croissance resteront un héritage légué par la crise pour les années à
venir. Si la crise continue, ces coûts ne feront que croître, et
s'accéléreront probablement.
•
Avec un taux de croissance démographique élevé à Madagascar, il y aurait
aujourd‘hui environ 2,5 millions de malgaches de plus qu'en 2008. Or
depuis, l'économie s‘est peu développée. En conséquence, le revenu par
habitant a chuté à son niveau de 2003. En 2012, le revenu par habitant
est environ de $100 inférieur à ce qu'il aurait pu être dans le cadre
d'une trajectoire de croissance normale, ce qui fait peser un très lourd
impact sur un pays dont le PIB par habitant est d‘environ $450.
Madagascar, qui est un des pays les plus pauvres du monde, ne peut se
permettre une telle perte brutale.
•
Une plus forte croissance se serait traduite par une augmentation des
recettes publiques. La perte de recettes publiques due à une faible
croissance au cours des quatre années de la période 2009-12 s‘élève à
environ US$ 1,5 milliard, tandis que la perte cumulative en matière
d'aide des bailleurs de fond est de l'ordre de US$ 2,3 milliards. Le
total des deux chiffres (un montant cumulatif) représente près du tiers
du PIB annuel. La chute de 40 pourcent de l'aide entre 2008 et 2010 par
rapport au revenu national brut (RNB) de Madagascar contraste fortement
avec une hausse modeste du ratio de l'aide au RNB pour les pays à faible
revenu dans son ensemble. Tant que la crise politique perdurera, le
niveau des recettes publiques et de l'aide des bailleurs de fonds ne
pourra retrouver celui des années d‘avant la crise.
Les conditions sociales à Madagascar ne peuvent s'améliorer pendant la crise
3.
A ce stade, Madagascar n'atteindra pas les objectifs du Millénaire pour
le développement (OMD) d'ici 2015. En particulier, les OMD concernant
la mortalité infantile, le taux net de scolarisation et le taux
d'achèvement pour le niveau primaire, et surtout ceux concernant la
pauvreté (alors qu‘ils étaient estimés en 2007 être potentiellement
réalisables), ne pourront plus être atteints à temps. En revanche, la
région Afrique Sub-saharienne a atteint plus de 60 pourcent du progrès
nécessaire pour atteindre d‘ici 2015 les objectifs tels que la parité
genre, le taux d‘achèvement du primaire, l‘accès à l‘eau potable et
l‘extrême pauvreté.
4.
La situation dans les secteurs sociaux est particulièrement alarmante.
En se basant sur les chiffres de la croissance démographique, le nombre
d'enfants à l'école primaire aurait dû augmenter d'au moins 500.000. Or,
la situation actuelle illustre une diminution, en raison de facteurs
multiples allant de la pauvreté accrue des ménages à la dégradation de
la performance du système scolaire. De même, le secteur de la santé a
été affecté par la fermeture de centaines de centres de santé. De même,
la crise aggrave ou rend impossible à régler, des problèmes critiques de
longue date, tels que des indicateurs de nutrition infantile
extrêmement faibles par rapport au niveau de développement économique et
social de Madagascar. En raison de la malnutrition chronique, 53
pourcent des enfants de moins de 5 ans sont en retard de croissance,
taux parmi les cinq plus élevés dans le monde.
Les signes récents d'une croissance modeste ne constituent pas un motif de complaisance ...
5.
Certains segments de l'économie ont commencé à manifester des signes de
reprise: le tourisme; les activités des entreprises de zone franche;
certains projets immobiliers commerciaux dans les centres urbains; des
entreprises locales d‘agro-business désormais à la recherche de marchés à
l‘export; la poursuite des grands projets d'investissements miniers,
entrant bientôt en phase d'exploitation; ou les bénéfices temporaires
générés par le cours élevé du prix des clous de girofle.
6.
Mais il n‘y a pas lieu d‘être enthousiaste, et ce pour quatre raisons
distinctes. Tout d'abord, ces germes de reprise ne contribuent pas à une
reprise rapide de la croissance à grande échelle, dans la mesure où le
taux de croissance économique global se situe toujours pour le moment
autour de 2 pourcent. Deuxièmement, plusieurs de ces secteurs ne
contribuent pas de manière significative à la recette fiscale, en partie
en raison du régime fiscal qui leur est applicable, ou du fait de la
faible application de ce régime fiscal. Troisièmement, les obstacles
majeurs à une croissance, même modeste, ne cessent de s'accumuler,
notamment dans le secteur des infrastructures énergétiques et routières.
Quatrièmement, il n'est pas certain que cette croissance limitée
contribue à une réduction, même modeste, de la pauvreté. Cette
croissance est non seulement trop faible, mais elle se situe dans des
secteurs ayant peu d‘effet sur la réduction de la pauvreté. Pour toutes
ces raisons, les signes d'une reprise modeste ne constituent pas un
motif de complaisance. Au contraire, elles signalent l'impératif d'une
réconciliation politique, afin de permettre la reprise de la croissance
économique et des efforts conséquents en vue de réduire la pauvreté.
... et il en est de même pour les perspectives à court terme dans le secteur minier
7.
Dans moins d'un an, la croissance du PIB total devrait être boostée
au-delà de 4 pourcent par an, et ce, grâce à quelques grands projets
miniers. Il serait tentant d‘annoncer une nouvelle ère de reprise de la
croissance économique, mais il n‘est pas garanti que ce soit le cas dans
le sens ordinaire du mot. Bien qu‘ayant des impacts dans la région
d‘activité des projets, dont certains sont positifs (création d'emplois,
et une certaine contribution fiscale pour l‘administration locale) et
d‘autres à risque (sur l‘environnement), les activités d‘extraction de
ressources naturelles en définitive ne créeront qu‘un nombre modeste
d‘emplois (environ 12.000 pour le plus grand projet, comparé à une
population active de 13,5 millions). En outre, les revenus fiscaux, qui
représentent souvent la principale contribution de l'exploitation
minière à l'économie nationale au niveau global, prendront plusieurs
années à se matérialiser, et ce, jusqu'au remboursement de la majeure
partie des grands investissements. Le secteur minier représente une
opportunité économique importante à Madagascar, mais les bénéfices des
projets en cours et des projets à venir ne se feront ressentir que dans
un avenir lointain, et dépendront également d'une résolution de la crise
politique, d‘un cadre macroéconomique et structurel adéquat et un
renforcement significatif des institutions concernées.
L’économie fragile de Madagascar est exposée à d'importants risques exogènes
8.
L'économie de Madagascar est très fragile et sa capacité d‘absorption
de nouveaux chocs est à son niveau le plus bas. Pratiquant une économie
ouverte, Madagascar est vulnérable à tout ralentissement de l‘économie
mondiale. Le pays est particulièrement exposé aux développements au sein
de la zone euro, par le biais de 80 pourcent de ses revenus du
tourisme, 50 pourcent de ses exportations de marchandises, 15 pourcent
de l'IDE, ainsi que par d'autres voies, ce qui représente une
préoccupation importante. Selon nos estimations, un choc grave au niveau
de l'économie européenne pourrait se traduire par une perte de
croissance du PIB à Madagascar de l‘ordre de 1,5 pourcent par an pendant
deux ans. Le pays est aussi très vulnérable aux catastrophes naturelles
dont les cyclones, les sécheresses et les inondations; on estime qu'un
quart de la population, ce qui représente 5 millions de personnes, vit
actuellement dans les zones à haut risque de catastrophes naturelles. En
2008, les cyclones ont provoqué des pertes économiques équivalentes à 4
pourcent du PIB et les premières estimations prédisent des pertes
similaires pour 2012. La crise politique a exacerbé cette fragilité, et
la capacité du pays à développer des mesures d‘intervention publique,
même partielles, est fortement réduite.
Les compressions budgétaires dans le domaine des infrastructures hypothèquent l'avenir
9.
Les routes, l'accès à l‘eau potable, et l‘énergie resteront les
éléments essentiels d‘une croissance rapide à long terme, et dans ces
secteurs, les compressions budgétaires ont été tout simplement
spectaculaires. Sur le long terme, les coûts futurs engendrés par le
manque actuel de maintenance et de construction d‘infrastructures
publiques pourraient atteindre 1,5 pourcent à 2 pourcent de la
croissance annuelle du PIB. Pour chaque année de crise supplémentaire,
les coûts de reconstruction d‘infrastructures dégradées ou
non-entretenues ne feront qu‘augmenter plus rapidement.
La voie à suivre...
10.
Par conséquent, la crise politique est à l'origine d'énormes
difficultés économiques et sociales, dans un pays qui, en même temps,
possède un potentiel important mais dont les défis de développement
existent depuis longtemps. Dans ce contexte, la capacité de l'État à
répondre à ces défis, avec l'aide des acteurs non-étatiques et des
partenaires au développement, a été fortement réduite. Dans une
situation de ralentissement économique, de pertes de recettes publiques
et d'aide, les autorités ont réussi à maintenir une stabilité budgétaire
et monétaire, évitant ainsi des coûts supplémentaires, mais au prix de
coupes importantes dans les investissements publics et les services
sociaux pour assurer l'avenir de tous les citoyens de Madagascar. Mais
la crise elle-même met également en péril le maintien de la stabilité
macroéconomique: les grèves fréquentes, les revendications non
satisfaites, et la pression continue de la part de groupes d'intérêts ne
constituent pas un contexte dans lequel peuvent émerger et se maintenir
des politiques de développement pertinentes.
11.
Plus fondamentalement, Madagascar était déjà parmi les pays les plus
pauvres du monde avant que cette crise ne survienne, et la crise n‘a
seulement fait qu‘empirer la situation. Le pays se trouve dans un état
de pauvreté tel qu‘il ne pourra s‘en extraire sans l'accélération d‘une
croissance économique inclusive. Mais les perspectives d‘une telle
croissance, ainsi que d‘autres politiques et programmes de lutte contre
la pauvreté, ont été gelés avec la crise. La crise est en train de
détourner l'attention de cet ensemble d‘enjeux cruciaux, et par
conséquent hypothèquent le futur des citoyens malgaches. Du point de vue
strictement relatif au développement, Madagascar a besoin qu‘une
solution politique à la crise soit trouvée dans les meilleurs délais.
Toutefois, la solution doit garantir qu'une autre crise ne surgisse pas
ultérieurement.
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