BORDEAUX (Reuters) - L'ancien mercenaire français Robert Denard, protagoniste pendant trente ans de plusieurs coups d'Etat en Afrique et dans l'archipel des Comores, est mort à l'âge de 78 ans, a-t-on appris dimanche auprès de sa soeur Georgette Garnier.
"Je vous confirme qu'il est décédé", a-t-elle déclaré à Reuters. Elle n'a pas voulu dire où et quand était survenu le décès.
Aux Comores, le commandant Abdallah Gamil, membre de l'état-major de l'armée, a confirmé à Reuters la nouvelle de ce décès. "Bob Denard a été admis à l'hôpital hier soir à Paris et il y a à peine quarante minutes qu'un de ses amis proches m'a appris qu'il est décédé", a-t-il dit dimanche.
Atteint de la maladie d'Alzheimer, Robert, dit "Bob", Denard résidait dans les derniers temps de sa vie dans son village natal de Grayan-et-l'Hôpital (Gironde), où habite aussi sa soeur.
Militaire de carrière jusqu'en 1952, ayant notamment servi en Indochine, Bob Denard, surnommé le "chien de guerre", venait d'être condamné en juillet à quatre ans de prison dont trois avec sursis et 100.000 euros d'amende par la cour d'appel de Paris pour un coup d'Etat sur l'archipel des Comores en 1995.
Aux Comores, Moustoifa Said Cheikh, dirigeant du Front démocratique qui avait été emprisonné pendant cinq ans, entre 1985 et 1989, a "regretté" que l'ancien mercenaire n'ait "pas répondu de tous ses crimes commis sur notre territoire, des meurtres et tortures dont il s'est rendu coupable".
"Moi, personnellement, je garde encore les séquelles des tortures que je subissais tous les soirs. Je souffre atrocement de problèmes de dos qui s'aggravent avec l'âge", a-t-il dit.
JAMAIS JUGÉ AUX COMORES
Pour Mzé Abdou Soulé Elbak, ancien président de l'île de la Grande-Comore, la mort de Denard "réveille les mauvais souvenirs d'un régime qui a violé les droits de l'homme et avait transformé les Comores en base arrière de l'apartheid sud-africain". "Cet homme a sali la mémoire de notre histoire", a-t-il dit.
Pour le leader syndical Ibrahim Ali, "Denard est mort alors qu'il n'a jamais été jugé aux Comores, mais seulement en France. Sa mort laisse beaucoup de questions sur les responsabilités de notre histoire récente".
La vie romanesque de ce "soldat de fortune", qui travaillait avec un groupe d'hommes de confiance, a divisé les observateurs.
Ceux qui lui étaient favorables reprenaient la version de son livre "Corsaire de la République", où il se disait le bras armé de l'Etat pour la politique de la France en Afrique, assurant qu'il permettait à Paris d'agir sans s'impliquer directement.
Ses détracteurs soulignaient au contraire ses liens avec l'extrême droite et son affairisme supposé, qu'il dissimulait selon eux sous de prétendues missions au nom de la France.
Les affaires judiciaires qui ont analysé certaines de ses actions ont mis au jour les deux aspects. Son nom restera indissolublement lié à celui des Comores, archipel de l'océan Indien et colonie française devenue indépendante en 1975.
Bob Denard, placé à la tête de la "garde présidentielle", y était devenu une sorte de vice-roi à la faveur d'un premier coup d'Etat, où son groupe avait renversé en 1975 le président Ahmed Abdallah pour installer à sa place son opposant Ali Soilih.
En 1978, le mercenaire réalise l'opération inverse, tuant Ali Soilih et réinstallant son prédécesseur.
COUPS D'ÉTAT EN SÉRIE
Bob Denard développe alors les liens entre les Comores et le régime d'apartheid en Afrique du Sud, autorisé à installer des stations d'écoutes sur l'archipel.
En mars 1988, Dulcie September, une proche de Nelson Mandela, représentante de l'ANC à Paris, est assassinée à Paris. Après la chute de l'apartheid, des représentants de l'ancien régime accuseront Jean-Paul Guerrier, bras droit de Bob Denard, d'avoir commis cet assassinat pour le compte de Pretoria. Aucune suite ne sera donnée en France.
Le premier passage de Bob Denard aux Comores s'achève en 1989 par l'assassinat du président Ahmed Abdallah. Jugé pour ce crime avec deux de ses hommes, dont Jean-Paul Guerrier, Bob Denard est acquitté au bénéfice du doute à Paris en 1999.
Dans l'intervalle, il mène avec ses hommes de nombreux coups de main au Biafra, en Angola, au Bénin. Il sera condamné une première fois à Paris à cinq ans de prison avec sursis en 1993 pour l'opération du Bénin.
Retiré en France, Bob Denard effectue un retour-surprise avec ses hommes le 28 septembre 1995 aux Comores, où ils déposent le président Mohammed Djohar et placent le pouvoir entre les mains des opposants Mohammed Taki et Saïd-Ali Kemal.
Le 4 octobre, l'armée française intervient et capture les mercenaires mais maintient les opposants au pouvoir à Moroni, scénario qui accrédite l'idée que Bob Denard agissait, comme il l'affirme, avec l'accord tacite de Paris.
Les deux procès de l'affaire, en 2006 et 2007, donneront, comme pour le personnage, une image plus ambiguë de l'histoire.
L'instruction a établi que l'opération avait été financée par l'opposition comorienne, par des hommes d'affaires corses contrôlant des sociétés de jeux de hasard en Afrique et par le fils naturel de Bob Denard, Eric Vicoletto, par ailleurs écroué pour trafic de drogue à l'été 2005.
Le but de l'opération, selon le juge d'instruction Baudoin Thouvenot, n'était pas philanthropique. Il aurait été de "créer aux Comores une zone franche et un système bancaire offshore", dit l'ordonnance de renvoi.
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