S'ils ne sont pas sur leur lit de mort, les SMS connaissent déjà leurs fossoyeurs. Dimanche 27 octobre, le service de messagerie instantanée chinois WeChat est devenu disponible en version française. Lancé début 2011 et disponible en 20 langues, le service compte désormais 600 millions de membres, dont plus de 400 millions en Chine. La propriété du premier groupe internet chinois, Tencent, équiperait déjà presque tous les smartphones du pays et aurait gagné près de 100 millions d'utilisateurs depuis août.
L'envoi de courts messages vocaux est au cœur de l'application. "WeChat compense l’incapacité en Chine de laisser des messages vocaux, les opérateurs ne fournissant pas de répondeur. Il n'y a pas de compétition", explique Alexis Bonhomme, son responsable marketing auprès des marques de luxeinternationales. "Pour des marchés comme l'Amérique du Nord (le Québec), l'Europe et l’Afrique francophone (où les communications sont en plein boom),disposer d'une version en français est idéal, notamment pour les marques", poursuit-il, même si le service subit toujours la censure du gouvernement chinois.
DES SERVICES ASIATIQUES QUI EXPLOSENT
Fin septembre, c'était le japonais Line qui arrivait en France. Le service équiperait la grande majorité des smartphones japonais, avec 45 millions d'utilisateurs locaux. Fin août, il revendiquait 230 millions d'utilisateurs. Deux mois plus tard, ce sont 280 millions de personnes qui l'auraient adopté. Le troisième acteur asiatique majeur est le coréen KakaoTalk, dont Tencent possède 13,5 % depuis mai 2012. Le service revendiquait 100 millions d'utilisateurs début juillet, avec une croissance plus lente que ses deux concurrents. Tous cherchent encore principalement leur croissance en Asie.
"Line, WeChat et KakaoTalk sont conçus directement pour le mobile, donc pour des écrans à la diagonale limitée, avec une durée de connexion limitée, contrairement à Facebook, d'abord conçu pour PC, affirme Alexis Bonhomme, de WeChat. Line a été précurseur sur les émoticônes, Kakao sur le jeu mobile, WeChat a intégré ces éléments." La stratégie de ces services serait tournée vers le recrutement. "Ils protègent les utilisateurs, au détriment des marques et au bénéfice de la masse ; la logique asiatique étant de prendre peu d’argent sur une masse", affirme le responsable de WeChat.
UNE CONCURRENCE RUDE
Line, WeChat, KakaoTalk, ChatOn (Samsung), Kik Messenger, Viber, WhatsApp... Toute une génération d'applications consacrées au "chat" arrive sur smartphone, proposant des discussions par texte, voix, photo, vidéo ou encore émoticônes. La plupart sont liés au numéro de téléphone de l'appareil, qui remplace le courriel comme identifiant. Certains proposent des fonctions plus étendues, comme des profils pour les utilisateurs et les marques (à la Facebook) ou la lecture de bandes dessinées (pour le japonais Line).
Pour tous, l'enjeu est d'amasser assez d'utilisateurs pour inciter leurs amis àutiliser le service. Cela passe notamment par la liaison avec le numéro de téléphone et l'import du carnet d'adresses à l'inscription.
L'américain WhatsApp est considéré comme le "leader" du secteur. Le service revendique 350 millions d'utilisateurs mensuels (sur une base totale non déclarée) et "une bonne pénétration en Europe, en Asie, en Amérique latine et aux Etats-Unis". Le service ChatON de Samsung (préinstallé sur les smartphones du groupe) aurait lui recruté 50 millions d'utilisateurs depuis mai, pour atteindre100 millions de membres fin septembre. L'application Viber, dont le siège àChypre, déclarait elle 200 millions de membres en mai.
Les services sont pour la plupart gratuits, le paiement existant pour des éléments annexes comme des émoticônes, des fonds d'écran ou des jeux intégrés aux applications. Ces possibilités ne sont pas nouvelles, existant notamment dans des services de messagerie historiques comme feu Windows Live Messenger (MSN) ou Yahoo Messenger. L'américain WhatsApp fait tout de même figure d'exception, en demandant à ses utilisateurs de payer le service passé un an d'utilisation, pour moins d'un euro.
DES ACTEURS À DÉTRÔNER
S'ils connaissent une croissance parfois fulgurante sur mobile, ces services de messagerie doivent affronter les géants historiques, souvent américains. A l'instar de BBM de BlackBerry, arrivé avec peine en octobre sur iPhone et smartphonesAndroid, de Yahoo! Messenger ou de Skype de Microsoft. Ce dernier, classé très haut dans les magasins d'applications d'iOS (iPhone et iPad) et Android, le service revendique "300 millions d'utilisateurs connectés chaque mois" ; même s'il se refuse à fournir des données plus précises. Un véritable géant dans lequel Microsoft investit lourdement.
Dans cette course, Google et Apple ont aussi leur avantage : ils fournissent les systèmes qui équipent les smartphones en question. Sur iPhone, l'application iMessage d'Apple gère directement les SMS, qu'il alterne avec des messages sécurisés quand les interlocuteurs utilisent tous deux le service. Les messages sont ensuite disponibles sur les autres appareils disposant de l'application, comme l'iPad.
Google intègre lui ses applications à son système Android, qui équipe les trois quarts des smartphones dans le monde. Mardi 29 octobre, le groupe a annoncé que son application de messagerie Hangouts supportera désormais les SMS, au lieu de l'application par défaut. Contactée, l'entreprise s'est refusée à livrer le moindre chiffre. Lors de son événement, mardi, le groupe a déclaré que 300 millions de personnes utilisent son réseau social Google+, auquel est lié Hangouts, chaque semaine.
Alors que les ventes de smartphones dépassent désormais celles de téléphones portables classiques, la concurrence du SMS va aller en s'intensifiant. Google a d'ailleurs récemment annoncé que la prochaine version de son système mobile, Android 4.4, permettrait aux applications installées par l'utilisateur de gérerofficiellement les SMS, comme le fera son application Hangouts. De quoiencourager la bataille pour l'accaparement de ces précieux messages, même si certains ont déjà subi une douche froide. Le premier réseau social mondial, Facebook, a annoncé que la prochaine version de son application Facebook Messenger abandonnera le support des SMS, qui serait trop peu utilisé par ses membres.
- Guénaël Pépin
Journaliste au Monde